Après les attentats de Paris, la pression s’accroît sur le Parlement européen pour adopter la proposition de directive sur l’utilisation des données des passagers aériens (PNR pour "passenger name record"). Le président du Conseil européen, Donald Tusk, le président du Parlement européen social-démocrate Martin Schulz ainsi que les groupes PPE et ECR ont appelé le 13 janvier 2015 les autres groupes au Parlement européen à mettre fin à leur blocage.
Les ministres de l’Intérieur invités à Paris en amont de la marche républicaine du 11 janvier 2015 avaient insisté dans leur déclaration conjointe sur l’urgence qu’il y a à avancer dans ce dossier.
Proposée en février 2011, ce projet de directive veut imposer aux transporteurs aériens de fournir aux États membres de l’Union les données des passagers de vols internationaux à destination ou en provenance du territoire de l’UE. Les États membres analyseraient et conserveraient ces données dans un fichier. La proposition de directive est contestée pour le grand nombre et la longue durée de conservation des données récoltées.
Le Parlement européen est divisé sur le sujet, la commission des libertés civiles l’ayant rejeté en avril 2013, sans qu’il n’ait été ensuite possible de confirmer ce rejet en plénière. Néanmoins, le Conseil JAI consacré au terrorisme et à la sécurité des frontières a exprimé en juin 2014 son souhait que le dossier progresse et aboutisse au plus tard avant la fin de l'année 2014. L’invalidation de la directive européenne sur la conservation des données en avril 2014 est un nouvel argument avancé par les eurodéputés qui sont contre la proposition. Il n’y aura "pas de système PNR avant de nouvelles règles sur la protection des données", avait déclaré en novembre 2014 le groupe S&D, qui est, avec les Verts et le GUE/NGL, opposé au PNR, tandis que les groupes PPE et ECR sont pour. Le gouvernement luxembourgeois a estimé également en octobre 2014 qu’il faut tenir compte des "enseignements à tirer de l'arrêt de la CJUE", une position réitérée lors du Conseil de décembre 2014.
Le Parlement européen a en outre adopté en novembre 2014 une résolution demandant un avis de la CJUE au sujet de l'accord entre l'UE et le Canada sur le transfert des données des dossiers passagers (PNR). Jusqu'à présent, l'Union européenne a signé des accords PNR avec les Etats-Unis d'Amérique, le Canada et l'Australie.
Ainsi, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a plaidé le 13 janvier 2015 devant le Parlement européen réuni en plénière pour un système unique au niveau européen. "Si l’on n’arrive pas à adopter un PNR européen, on finira par avoir 28 PNR nationaux. Ce sera un patchwork avec des trous", a-t-il déclaré. "Un seul système européen PNR est beaucoup mieux pour la sécurité et la liberté. C'était vrai en décembre (lors du Sommet européen), ça l'est encore plus aujourd'hui", a dit Donald Tusk. Il a appelé le Parlement européen à ne pas défendre seulement la liberté des citoyens, mais aussi veiller à leur sécurité.
Martin Schulz (S&D), président du Parlement européen, a pour sa part déclaré lors d’une conférence de presse qu’il était toujours pour la ratification du PNR européen. "Et lors du dernier Sommet européen, tous les chefs d'État m'ont demandé de me tourner vers les chefs de groupes politiques ; moi, j'étais favorable à la ratification et j'ai trouvé qu'en référer à la Cour de justice n'était pas la bonne procédure", a ajouté l'Allemand en faisant référence le recours introduit par le Parlement européen au sujet de l’accord PNR UE-Canada. "À l'heure qu'il est, nous transférons déjà des données au Canada sans qu’il y ait un accord. Cet accord PNR améliore les contrôles et la protection des données et introduit une limite dans le temps pour la capacité de stockage des données. Certains ont voulu plus, mais je trouvais cet accord correct, qu’on avait réussi à obtenir ce que l'on pouvait obtenir", a plaidé le président du PE.
Le groupe PPE a appelé à des "progrès rapides" sur le dossier PNR, comme le rapporte un communiqué. "Nous devons tirer les leçons des attaques terroristes qui ont eu lieu à Paris en prenant des mesures politiques claires" a déclaré Manfred Weber, président du groupe, au cours du débat en session plénière consacré au bilan du dernier Conseil européen. "Cela doit commencer par la mise en place d'une coopération plus étroite entre les autorités nationales et entre les services de renseignement" a-t-il expliqué. "La surveillance des mouvements des passagers aériens qui a démontré son efficacité est également cruciale" a indiqué Manfred Weber. "Nous demandons aux eurodéputés socialistes et libéraux qu'ils arrêtent de bloquer le texte concernant le PNR et ouvrent la voie à un accord. Il est préférable de mettre en place rapidement un seul et unique PNR européen avec des standards élevés en matière de protection des données, plutôt que d'attendre la création de 28 PNR différents pour chaque État membre" a-t-il expliqué, estimant qu’il faudrait renforcer les contrôles aux frontières extérieures au lieu de réinstaurer des frontières nationales.
Le groupe S&D a plaidé pour une "définition claire" du PNR et de ses objectifs, comme le rapporte un communiqué. En s’adressant à la présidente du Front National français, Marine Le Pen, le président du groupe, Gianni Pittella, a dénoncé "l'idée folle de suspendre Schengen, renvoyant l'Europe à l'époque des frontières nationales" et qui "représente l'essence même du populisme". Le groupe estime qu’il faut "instaurer un ensemble de mesures préventives et réactives, une combinaison de dimensions internes et externes, en impliquant les partenaires de l'Union européenne". Il plaide pour la mise en place d'un service de renseignements européen et une coopération judiciaire accrue sous un contrôle parlementaire clair et fort. Lors du débat, l’eurodéputé Enrique Guerrero Salom a déclaré : "Il est dangereux de légiférer pendant des périodes émotionnelles. Il faut offrir plus de sécurité, mais sans sacrifier les droits et libertés des citoyens".
Le groupe ECR a déclaré qu’il faut prendre au sérieux l’appel de Donald Tusk. Leur communiqué souligne que jusqu’à 16 Etats membres utilisent déjà des systèmes PNR nationaux sans un cadre européen. "Ainsi, les passagers n’ont pas de droits européens clairs qui protègent leurs données comme celles relatives au cartes de crédit, au numéro du siège ou au contact d’urgence".
Le rapporteur de la proposition de directive, Timothy Kirkhope, a qualifié le PNR de "vital" dans la lutte contre le terrorisme. "Le patchwork des PNR nationaux crée des points faibles que les terroristes peuvent exploiter tandis que les compagnies aériennes et les passagers ont peu de clarté sur leurs droits et leurs responsabilités", a-t-il souligné, en ajoutant que les chefs d’Etat et de gouvernement et les ministres de l’Intérieur ne demanderaient pas d’accord s’il n’y en avait pas une "nécessité claire". Il s’est dit confiant de trouver une majorité dans la commission LIBE pour une proposition révisée.
Guy Verhofstadt, le président de l’ALDE, a soutenu que le problème de l’UE n’est pas la collecte de l’information, mais le fait de ne pas la partager. "Nous avons l'information, mais nous ne la partageons tout simplement pas et ne l'exploitons pas. Dans toutes les grandes affaires de terrorisme (..), les auteurs étaient déjà connus des services secrets", a-t-il expliqué. Il estime que la Commission doit avancer une nouvelle proposition de directive sur le PNR qui "réponde aux demandes du Parlement européen" et qu’il faut une nouvelle directive sur la protection des données avant de commencer avec le PNR. Il a vivement dénoncé des "appels stupides" au renforcement des frontières nationales. "Il ne faut pas défaire le système Schengen, mais renforcer le contrôle des frontières extérieures". Il a également proposé d’étendre les pouvoirs d'Eurojust et d'Europol et de nominer un procureur européen.
Au nom des Verts, Jan Philipp Albrecht a déclaré que "la collecte en masse de données de passagers aériens entrave la loi européenne, comme l’a constaté la CJUE", en référence au verdict de la CJUE sur la directive relative à la rétention des données. Il ajoute que la collecte de données n’auraient pas prévenu les attaques de Paris puisque les auteurs étaient déjà connus des services de sécurité. "La Commission devrait retirer sa proposition de directive sur le PNR et présenter un plan d’action pour améliorer la coopération entre les services de police et de sécurité en Europe", juge-t-il.