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Justice, liberté, sécurité et immigration - Traités et Affaires institutionnelles
Conseil européen – En amont des discussions sur l’accord avec la Turquie sur les réfugiés, Xavier Bettel a expliqué son approche plus générale de la question migratoire et ses réticences juridiques et financières
17-03-2016


Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, à son arrivée au Conseil européen à Bruxelles, le 17 mars 2016bettel-ce-160317A son arrivée à Bruxelles, où il devait participer au Conseil européen des 17 et 18 mars 2016, consacré "essentiellement à de nouvelles mesures pour faire face à la crise des migrants", le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel,  a expliqué aux journalistes qu’il ne fallait "pas seulement parler de la Turquie", mais aussi des autres engagements pris par les Etats membres dans le cadre de la crise migratoire : des hotspots, du Liban et de la Jordanie, pays où se trouvent également plus de 2 millions de réfugiés, des relocalisations et des réinstallations, de Frontex et de la protection des frontières extérieures. Bref, "la Turquie doit faire partie d’un paquet plus large".

Le Premier ministre a dit avoir "des craintes pour l’aspect juridique du tout", c’est-à-dire du paquet de mesures qui ont déjà été abordées lors du sommet UE-Turquie du 7 mars. Il a déclaré avoir eu des assurances, mais de ne pas encore être convaincu. "J’attends donc de voir ce qu’on fera du côté grec et du côté turc ,  a-t-il dit, faisant allusion à deux processus : la reconnaissance par la Grèce de la Turquie comme "pays sûr" qui respecte le droit des réfugiés, et la reconnaissance par la Turquie de l’ensemble des dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés ainsi que la mise en œuvre de procédures conformes au respect des droits  des réfugiés. Il faut savoir que si ces conditions ne sont pas remplies, il n’est légalement pas possible de renvoyer en Turquie les réfugiés qui viennent en Grèce à partir de ce pays, malgré les mesures que la partie turque veut prendre pour empêcher ces traversées. Dans ce cas, le mécanisme "1 pour 1", qui prévoit que l’UE réinstallerait dans un de ses Etats membres  pour chaque réfugié syrien arrivé illégalement de Turquie en Grèce et renvoyé en Turquie un réfugié syrien reconnu comme tel en Turquie, serait inapplicable.  "Je n’ai pas envie qu’un juge nous dise dans quelques semaines qu’on s’est trompé sur toute la ligne", a mis en garde le Premier ministre.

Xavier Bettel a également douté qu’il soit possible d’arriver – d’aucuns ont avancé le mois de juin - à une décision rapide sur la libéralisation des visas, la Turquie devant satisfaire à 72 conditions, dont 35 sont actuellement remplis. "Ce n’est donc pas pour demain", a-t-il dit à deux reprises.

Xavier Bettel a par ailleurs annoncé son intention de ne pas souscrire à des engagements financiers  – 3 milliards d’euros sont envisagés – tant que l’on ne saura pas clairement à quels projets l’engagement de cette somme sera lié. Par ailleurs, il a estimé que la revendication turque de 3 milliards supplémentaires ne pourra être discutée que quand les premiers 3 milliards auront été absorbés par de bons projets. Donc "pas de chèque en blanc pour la Turquie", même s’il faut selon lui saisir l’opportunité de ce partenariat avec ce pays qu’il a remercié pour ses propositions.

Le Premier ministre a fait ces déclarations sur les fonds que l’UE pourrait destiner à la Turquie alors que la Cour des Comptes de l’UE publiait son premier rapport sur les dépenses de l'UE en matière de migration extérieure dans les pays du voisinage. Un rapport très critique, puisqu’il "met en exergue un certain nombre d'insuffisances affectant les dépenses, lesquelles doivent être corrigées si l'on veut améliorer la gestion financière : complexité des objectifs stratégiques et de la gouvernance, impossibilité de mesurer les résultats de la politique, succès mitigé en matière de retours des migrants dans leurs pays d'origine et problèmes de coordination entre différents organismes de l'UE ainsi qu'entre la Commission européenne et les États membres."

Pour Xavier Bettel, il est également impossible d’accepter que la Turquie continue à ne pas reconnaître Chypre, qui est un Etat membre de l’UE. Dans un partenariat tel qu’il est envisagé, il faut " du respect pour tout le monde".

Xavier Bettel a lancé un appel aux Etats membres de l’UE à remplir les engagements juridiquement contraignants pris en septembre 2015 dans le cadre de la relocalisation de 160 000 réfugiés et de la réinstallation de plus de 22 000 autres réfugiés en provenance d’Etats tiers. Parler de 72 000 réfugiés supplémentaires – un plafond de réfugiés que  la Turquie ne veut pas dépasser pour les réadmissions sur son territoire, alors que depuis janvier, 143 000 personnes ont déjà débarqué sur les rives grecques - à renvoyer de Grèce en Turquie et à réinstaller dans l’UE à partir de la Turquie en contrepartie, selon le principe "1 pour 1", lui semble problématique, alors que tant d’Etats membres "ne veulent prendre personne" et qu’à peine moins de 1000 réfugiés ont pu être relocalisés depuis septembre 2015.       

Pour Xavier Bettel, l’Europe ne pourra pas faire face à l’arrivée de 2 millions de réfugiés supplémentaires.  Il a donc salué toute initiative qui puisse donner des perspectives aux Syriens en Turquie. Mais ce n’est pour lui qu’une partie du problème. D’où une intervention de sa part au Conseil européen sur le Liban et la Jordanie, qui abritent eux aussi plus de 2 millions de réfugiés et qui n’ont selon lui pas été suffisamment mentionnés dans le projet de conclusions du sommet, alors qu’il faut craindre que des centaines de milliers de personnes se mettent aussi en route à partir de ces pays.

Jean Asselborn partage les réticences et les critiques de Xavier Bettel

tageblattDans un entretien publié par le Tageblatt dans son édition du 18 mars, le ministre des Affaires étrangères et européennes, ministre de l’Immigration, Jean Asselborn, a estimé qu’un "accord avec la Turquie vaut mieux que pas d’accord avec la Turquie".

Pour lui, l’UE doit "miser sur une coopération étroite avec l’UNHCR" tout comme elle doit veiller au respect du droit international. L’accord servira à ne pas abandonner à leur sort les réfugiés syriens, alors que selon lui, "les 28 Etats membres n’ont pas réussi à s’accorder sur une politique des réfugiés cohérente".  La situation à Idomeni à la frontière gréco-macédonienne est selon Jean Asselborn la conséquence de cet échec, et "c’est une honte pour l’Europe". Selon le ministre, la route des Balkans est fermée et ne rouvrira pas de sitôt, de sorte qu’il faut s’occuper des réfugiés qui se trouvent en Grèce. 

A l’instar du  Premier ministre, Jean Asselborn ne veut pas que l’UE double ses promesses de soutien financier à la Turquie de 3 à 6 milliards, car selon lui, il ne faut pas oublier "que nous devons soutenir la Grèce qui aura besoin de notre aide si l’on veut que l’accord fonctionne".