Le 14 septembre 2016, la Commission européenne a franchi la première de trois étapes menant à la création de la première liste commune, au niveau de l'Union, des juridictions fiscales non coopératives, en présentant son évaluation préalable ("tableau de bord") aux experts des États membres dans le cadre du groupe "Code de conduite (fiscalité des entreprises)" du Conseil.
L'établissement de cette liste fait partie du paquet de nouvelles mesures de lutte contre l'évasion fiscale des multinationales présenté le 28 janvier 2016 par la Commission européenne et approuvé par le Conseil Ecofin du 25 mai 2016.
Cette liste commune doit avoir "beaucoup plus de poids que l'actuelle mosaïque de listes nationales lorsqu'il s'agira de traiter avec des pays tiers qui refusent de respecter les normes internationales de bonne gouvernance fiscale", rappelle la Commission dans son communiqué de presse diffusé le 15 septembre 2016. Elle doit empêcher ceux qui pratiquent une planification fiscale agressive d'exploiter abusivement les asymétries entre les différents systèmes nationaux. "La liste de l'Union sera notre outil pour traiter avec les pays tiers qui refusent de jouer franc jeu", a précisé le commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Pierre Moscovici.
La réalisation de cette liste noire commune avait été accueillie favorablement par le Parlement européen, notamment dans les recommandations de la commission parlementaire spéciale sur les rescrits fiscaux II qu'il a adoptées le 6 juillet 2016. Les eurodéputés y demandaient toutefois que soit élaborée une définition commune des "juridictions non coopératives". Ils estimaient également qu'il serait judicieux de prévoir un dialogue constructif avec la juridiction dans laquelle des lacunes auraient été identifiées préalablement à son inscription sur liste noire, et ce afin de permettre à cette liste d'avoir aussi un effet préventif.
Basé sur des indicateurs neutres et objectifs, notamment les données économiques, l'activité financière, les structures institutionnelles et juridiques, et les normes élémentaires de bonne gouvernance fiscale, le tableau de bord permet de déterminer, pour le système fiscal de chaque pays tiers, le niveau de risque potentiel au regard de l'évasion fiscale. Il doit aider les États membres à choisir les pays avec lesquels l'Union doit engager un dialogue sur les questions de bonne gouvernance fiscale et qu'ils devraient commencer à examiner.
L'examen des normes de bonne gouvernance fiscale des pays tiers sera effectué conjointement par la Commission et par le groupe "Code de conduite". Un processus de dialogue avec les pays concernés sera mis en place pour leur permettre de réagir aux préoccupations exprimées ou d'envisager une coopération plus étroite avec l'Union en matière fiscale. Il est à noter que la Commission a décidé que les 48 pays les moins développés ne pouvaient être inscrits sur cette liste.
Une fois l'examen achevé, les pays tiers ayant refusé de coopérer ou de répondre aux préoccupations de l'UE en matière de bonne gouvernance fiscale devront être inscrits sur la liste définitive des juridictions non coopératives qui devrait être publiée d'ici à la fin de l'année 2017. La Commission européenne envisage l'inscription sur la liste noire comme "une solution de dernier ressort (…) qui n'interviendrait qu'après l'échec de toutes les autres tentatives de nouer le dialogue avec ces pays".
Dans un premier temps, le tableau de bord présente des données factuelles sur chaque pays selon trois indicateurs neutres : liens économiques avec l'Union, activité financière et facteurs de stabilité. Les juridictions particulièrement représentatives de ces trois catégories sont ensuite soumises à des indicateurs de risque, que sont leur niveau de transparence, leur recours potentiel à des régimes fiscaux préférentiels ainsi que l'absence d'imposition sur les sociétés ou pratique d'un taux zéro.
D'après des informations de l'Agence Europe, "les Etats membres ne voulaient pas que la Commission publie ce document, craignant que cela envoie un message négatif". C'était notamment le cas du Royaume-Uni. Pour cause, si de très nombreux pays tiers sont concernés par les deux premiers indicateurs, des juridictions dépendant de la couronne britannique (les Iles Caïman, les Bahamas, Jersey et Guernesey) font partie, avec Monaco, des cinq pays tiers qui ne disposent pas d'un impôt sur les sociétés ou pratiquent le taux zéro.
Dans son communiqué de presse, la Commission européenne précise toutefois que "l'évaluation préalable ne porte pas de jugement sur les pays tiers et ne constitue pas non plus une liste préliminaire de l'Union". De ce fait, "certains pays peuvent, pour un certain nombre de raisons, être mis en exergue au regard des indicateurs du tableau de bord, même s'ils ne constituent pas une menace pour les bases d'imposition des États membres", précise-t-elle.
L'Agence Europe note par ailleurs que la Commission n'a pas renoncé à estimer que les Etats-Unis ne remplissent pas le critère de transparence. "Comme l'UE, les États-Unis doivent examiner minutieusement leur propre système fiscal et changer ce qui doit être changé pour assurer une imposition plus juste et plus transparente à la maison et dans le monde", a expliqué la porte-parole de la Commission, Vanessa Mock.
Pour mener leur analyse des pays tiers visés dans le tableau de bord, les Etats membres pourront s'appuyer sur les quatre critères suggérés par la Commission européenne dans sa stratégie de janvier 2016 : la transparence de l'Etat en question, et notamment s'il a ratifié la Convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale et s'il respecte les normes internationales en matière d'échanges d'informations ; une concurrence fiscale loyale, et notamment si le pays tiers a des pratiques contraires au Code de conduite du Forum sur les pratiques fiscales dommageables de l'OCDE ; la mise en œuvre du cadre inclusif pour la lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) de l'OCDE ; et son niveau d'imposition, à savoir si le pays ne possède pas d'impôt sur les sociétés ou pratique le taux zéro.
La Commission souligne d'ailleurs que l'Union travaillera "en étroite collaboration" avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) durant le processus de recensement et tiendra compte de l'évaluation des normes de transparence des juridictions réalisée par cette dernière. Pour cause, à la demande du G20, l'OCDE doit également établir une liste noire des pays qui ne remplissent pas les critères internationaux en matière de transparence, qu'elle devrait publier aux alentours de l'été 2017.