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Entreprises et industrie - Fiscalité
La Commission européenne présente son plan de réforme de la fiscalité des entreprises dans l’UE qui prévoit notamment la relance du projet de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS)
17-06-2015


Les commissaires Moscovici et Dombrovskis lors de la présentation du plan d'action de la Commission sur la fiscalité des entreprises le 17 juin 2015 (source: Commission)Dans le cadre des mesures qu’elle entend mettre en place pour s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a présenté, le 17 juin 2015, son plan d'action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises au sein de l'Union.

Ce plan, détaillé dans une communication de l’institution, vient ainsi compléter le paquet sur la transparence fiscale proposé par la Commission en mars dernier. Il définit une série d'initiatives pour lutter contre l'évasion fiscale, assurer des recettes durables et renforcer le marché unique pour les entreprises, dans l’objectif "de rendre l'environnement fiscal des entreprises dans l'Union plus juste, plus efficace et plus propice à la croissance", explique notamment la Commission dans un communiqué diffusé le même jour.

Plusieurs "actions clés" sont mises en avant dans ce contexte par la Commission, à commencer par la proposition d’une stratégie visant à relancer le projet de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) ainsi que celle d’un cadre permettant d'assurer une imposition effective là où les bénéfices sont réalisés. Le renforcement de la transparence dans le domaine fiscal est une autre priorité, la Commission ayant à cet égard publié une première liste paneuropéenne des juridictions fiscales non coopératives de pays tiers et lancé une consultation publique pour déterminer si les entreprises devraient être tenues de rendre publiques certaines informations fiscales.

Des règles régissant la fiscalité des entreprises dans l'UE en décalage avec l'économie moderne

Pour justifier son plan d’action, la Commission rappelle que les règles régissant la fiscalité des entreprises dans l'Union "sont aujourd'hui en décalage avec l'économie moderne". "Des mesures nationales non coordonnées sont exploitées par certaines entreprises pour échapper à l'impôt au sein de l'Union, ce qui se traduit par d'importantes pertes de recettes pour les États membres, un alourdissement de la charge fiscale qui pèse sur les citoyens et des distorsions de concurrence pour les entreprises qui paient leur part de l'impôt", lit-on dans le communiqué.

Pour remédier à cette situation, le plan d'action définit une nouvelle approche au niveau de l'Union pour une fiscalité des entreprises juste et efficace. Pour atteindre cet objectif, "une série d'initiatives devront être menées à court, moyen et long termes", dit la Commission. Celles-ci se fondent sur les mesures déjà exposées dans le paquet de mars 2015 et "font également écho" aux travaux de l'OCDE visant à limiter l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (dits BEPS pour base erosion and profit shifting en anglais).  

Une proposition de relance de l'assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) en 2016

La première mesure mise en avant par la Commission consiste donc en la relance de sa proposition relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS), en tant que "solution globale à la réforme de la fiscalité des entreprises". Une nouvelle proposition, visant à instaurer une ACCIS obligatoire par étapes, sera présentée "dès que possible en 2016", et au plus tard "d'ici 18 mois", indique la Commission.

Pour mémoire, la proposition est bloquée au Conseil de l’UE depuis qu’elle a été proposée par la Commission en 2011, faute de consensus entre les Etats membres sur le sujet dans un domaine qui requiert l’unanimité. En décembre 2014, le commissaire européen à la Fiscalité, Pierre Moscovici, avait déjà indiqué qu’elle serait la réponse adéquate pour lutter contre les pratiques dommageables en matière fiscale mais qu’elle exigeait "un nouvel élan". Il répondait à l’appel de l’Allemagne, de la France et de l’Italie à engager l’UE sur la voie d’une harmonisation fiscale formulé dans le contexte des révélations "Luxleaks" et de la mise en cause de la pratique des "tax rulings" (ou rescrits fiscaux) dans plusieurs Etats membres, dont le Luxembourg.

Selon la Commission, la relance du projet d’ACCIS permettrait en effet "d'obtenir des résultats sur tous les fronts, en améliorant considérablement le marché unique pour les entreprises, tout en éliminant les possibilités d'évasion fiscale de ces dernières", lit-on dans le communiqué de l’institution. Elle relève à cet égard que si les négociations "sont actuellement au point mort […] un consensus général se dégage sur la nécessité de [les] relancer, compte tenu des avantages considérables que présente l'ACCIS". Par conséquent, la Commission assure que des travaux seront entamés "immédiatement" pour élaborer une nouvelle proposition.

La Commission justifie avoir retenu le caractère obligatoire, au moins pour les entreprises multinationales, car "les grandes entreprises qui bénéficient des failles actuelles sont peu susceptibles d'opter pour l'ACCIS, alors qu’elles sont "les plus susceptibles de participer à la planification fiscale agressive", lit-on dans une fiche d’information diffusée le 17 juin. Et la Commission d’expliquer que dans sa proposition originale, qui prévoyait un système facultatif, l'accent était surtout mis sur la simplification de l'environnement fiscal des entreprises dans le marché unique. "Depuis lors, le potentiel de l'ACCIS comme un outil de lutte contre l’évasion a été plus largement reconnu".

La proposition initiale sera par ailleurs scindée en plus petites parties pour progresser par étapes, ce qui devrait faciliter de potentiels accords entre les pays de l’UE. "Les Etats membres pourront ainsi, dans un premier temps, progresser plus rapidement sur la mise en place de l'assiette commune pour l'impôt, précise la Commission, qui souligne que "la consolidation ne sera introduite quant à elle que dans un second temps, étant donné que cet élément a été jusqu'ici la pierre d'achoppement des négociations".

Pour précision, la notion d'assiette commune implique un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable pour les sociétés exerçant leur activité au sein de l'UE. En d'autres termes, une société ou un groupe de sociétés éligible ne devrait se conformer qu’à un seul régime au sein de l’Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu'aux différents régimes propres à chacun des Etats membres dans lesquels l’activité est exercée. Comme c’est le cas aujourd'hui, chaque Etat membre imposerait alors les bénéfices des sociétés résidentes de cet Etat, au taux d'imposition choisi par celui-ci.

La notion de consolidation fiscale recouvre pour sa part la possibilité pour les sociétés de consolider tous les bénéfices et toutes les pertes enregistrés dans l'ensemble de l'UE. Elle offre ainsi la possibilité aux entreprises de compenser les pertes encaissées dans un Etat membre en réduisant les profits sur base desquels le groupe est imposé dans un autre. Elle permettrait enfin aux entreprises de produire une déclaration d'impôt unique pour toutes leurs activités dans l'UE par le biais d'une seule administration et ce dans leur propre langue. Concrètement, les résultats imposables consolidés d'un groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d’une formule simple permettant à chaque Etat membre, qui conserveraient leur droit souverain de fixer le taux d'imposition des sociétés, d’imposer les bénéfices des sociétés résidentes de cet Etat.

La Commission précise dans ce contexte qu’une base commune d’imposition, y compris sans consolidation, rendrait la fiscalité des entreprises dans l'UE plus transparente et plus efficace. Il ne serait ainsi plus possible pour les États membres de disposer d'éléments cachés dans leurs bases d'imposition et l’ACCIS permettrait de supprimer les disparités et les lacunes entre les systèmes fiscaux nationaux, qui sont souvent exploitées par les planificateurs fiscaux agressifs.

"Néanmoins, la consolidation demeure un objectif ferme pour le long terme", poursuit-elle, alors qu’elle permettrait "d’éliminer les principaux obstacles fiscaux pour les entreprises, ainsi que les possibilités d'évasion fiscale, telles que celles créées par le système complexe de fixation des prix de transfert". La Commission prévoit d'ailleurs des mesures pour compenser le manque de consolidation à court terme. Elle proposera ainsi un mécanisme de compensation temporaire des pertes transfrontalière qui permettrait ainsi une société mère dans un Etat membre de bénéficier d'un allégement d'impôt temporaire pour les pertes d'une filiale dans un autre État membre. Une fois que cette filiale serait devenue rentable, l'Etat membre dans lequel la société mère est établie pourrait récupérer le manque à gagner induit au cours de la phase de perte.

La nouvelle proposition ne serait cependant pas la prémisse d’une harmonisation fiscale dans l’UE. La Commission précise à cet égard que l'ACCIS ne porte pas sur les taux d'imposition. "Les Etats membres continueront de décider de leurs propres taux d'imposition des sociétés, ce qui est leur droit souverain", dit-elle, sa proposition se contentant de "créer plus de transparence à l'égard de la situation de l'impôt sur les sociétés en vigueur dans les États membres, créant ainsi une concurrence fiscale équitable au sein de l'UE". La Commission précise qu’il est "cependant nécessaire de faire en sorte que les bénéfices générés dans l’Union soient imposés dans l’Union et que les États membres puissent lever les impôts dus par les entreprises", diverses mesures permettant d'y parvenir, sans devoir pour cela harmoniser les taux d’imposition des entreprises dans l’Union.

Garantir une imposition effective

Le plan d'action définit par ailleurs "la voie à suivre" pour parvenir à une imposition effective dans l'Union, qui repose sur le principe selon lequel les entreprises devraient payer une juste part de l'impôt dans le pays où elles réalisent leurs bénéfices, détaille la Commission. Et de préciser qu’il "existe plusieurs moyens pour atteindre cet objectif sans harmoniser le taux de l'impôt sur les sociétés dans l'ensemble de l'Union, la Commission proposant "des mesures visant à combler les lacunes législatives, à améliorer le système des prix de transfert et à appliquer des règles plus strictes aux régimes fiscaux préférentiels, entre autres".

Dans une autre note d’information diffusée le 17 juin, la Commission précise que son plan d’action prévoit des mesures pour améliorer l’actuelle méthode de détermination des prix de transfert "afin qu'il corresponde davantage aux réalités économiques et aux modèles d'entreprise actuels" et faire en sorte que les régimes préférentiels n’encouragent pas le transfert des bénéfices. Alors qu’environ 70 % de tous les transferts de bénéfices se font en jouant sur les cessions internes et la localisation de la propriété intellectuelle des entreprises (via le régime fiscal référentiel dit des "patent boxes"), la Commission souligne qu’il importe d’améliorer la manière dont les entreprises déterminent leurs prix de cession interne et de veiller à ce que les taux d'imposition plus faibles appliqués à la propriété intellectuelle (marques et brevets) soient liés au lieu où se déroule l'activité de recherche et développement (R&D).

Ces initiatives devraient également permettre de faire avancer le débat en cours entre les Etats membres en vue de définir et d'adopter une approche commune au niveau de l'Union en matière d'imposition effective, assure la Commission. 

Renforcer la transparence

Le plan d'action définit également "les prochaines étapes" pour renforcer la transparence fiscale au sein de l'Union et à l'égard des pays tiers, en se fondant sur les mesures déjà envisagées dans le paquet sur la transparence fiscale de mars 2015. Pour lancer une approche de l'Union plus ouverte et plus uniforme vis-à-vis des juridictions fiscales non coopératives, le plan d’action prévoit l'établissement d'une liste paneuropéenne des pays concernés, la Commission ayant publié une telle liste le jour même. Celle-ci "peut être utilisée pour passer au crible les juridictions fiscales non coopératives et mettre au point une stratégie commune au niveau de l'Union à l'égard de celles-ci", indique la Commission.

Dans le même contexte, la Commission a également lancé le même jour une consultation publique afin de recueillir des contributions sur la question de savoir si les entreprises devraient être tenues de rendre publiques certaines informations fiscales, notamment sous la forme d'informations pays par pays (IPPP). "La consultation et les travaux d'analyse d'impact de la Commission permettront d'orienter les décisions stratégiques à venir en la matière", lit-on dans un autre communiqué de la Commission. Cette consultation sera close le 9 septembre 2015.

Pour rappel, la Commission avait annoncé en proposant son paquet sur la transparence fiscale en mars 2015, qu’elle allait "évaluer la nécessité d’étendre [cette] obligation", en vigueur pour les banques ou les entreprises forestières, aux multinationales. Elle a cependant été devancée par le Parlement européen, où, dans le cadre de la révision de la directive sur le droit des actionnaires, les eurodéputés de la commission des Affaires juridiques (JURI) ont inclus dans la position du Parlement l'obligation pour certaines "grandes entreprises et entités d'intérêt public" d’un "reporting" fiscal pays par pays. Le vote de cette position en plénière, prévu le 10 juin 2015, a néanmoins été repoussé à la plénière du mois suivant lors d’un vote le 8 juin.

Améliorer la coordination dans l'UE ainsi que l’environnement des entreprises

Le plan d’action décrit par ailleurs comment les instruments de coopération existants pourraient être améliorés et présente quelques nouvelles idées sur la manière d'exploiter tout le potentiel des groupes existants, alors que la Commission souligne que "pour empêcher l’évasion fiscale, il est essentiel que les États membres coopèrent entre eux". Parallèlement au plan d'action, la Commission a adopté une décision qui étend les travaux de la plateforme concernant la bonne gouvernance dans le domaine fiscal, un groupe auquel participent les autorités fiscales européennes, les entreprises et la société civile. Elle proposera également une réforme du groupe "Code de conduite", qui a pour objet de lutter contre la concurrence fiscale dommageable dans l’Union européenne.

Le plan d’action prévoit encore des mesures visant à supprimer les obstacles d'ordre fiscal que rencontrent les entreprises sur le marché unique et à faire en sorte qu'il soit plus facile et plus attrayant pour une entreprise d'étendre ses activités au-delà des frontières.

Le contexte

Pour rappel, le "paquet sur la transparence fiscale" proposé en mars 2015 par la Commission européenne et complété par le plan d’action du 17 juin 2015, s’inscrit dans le cadre du programme de travail adopté par la Commission en décembre 2014 qui prévoit de développer "une approche fiscale plus équitable" dans l’UE, conformément aux orientations politiques de son président, Jean-Claude Juncker, présentées au Parlement européen en juillet 2014.

Il s’inscrit par ailleurs plus largement dans le contexte des quatre enquêtes approfondies ouvertes dès juin 2014 par la Commission sur la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales – notamment les "tax rulings" – en vigueur dans certains Etats membres dans le contexte de la planification fiscale agressive pratiquée par les multinationales. Sont visés le Luxembourg, où la Commission se penche sur les rulings conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon, tandis qu’elle examine des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks). En février 2015, elle a par ailleurs ouvert une enquête identique sur le système belge, en tant que tel, des rulings.

Enfin, la proposition fait suite aux révélations dites "Luxleaks" par un consortium international de journalistes d’investigation en novembre 2014. Cette enquête avait alors mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (à cause des "tax rulings" accordés par l’administration), mais surtout, elle avait mis en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les pays de l'UE pour réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.

C’est encore dans ce contexte que le Parlement européen a mis en place la commission spéciale TAXE sur les rescrits fiscaux en février 2015, celle-ci étant notamment chargée d’examiner les pratiques relatives aux rescrits fiscaux depuis 1991, de déterminer l'impact négatif de la planification fiscale agressive sur les finances publiques et de présenter des recommandations.