Le 25 octobre 2016, le Commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Pierre Moscovici, a présenté une proposition, sous forme de communication, visant la mise en œuvre de l'Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Elle doit notamment permettre de lutter contre l'évasion fiscale et rendre les règles d'impositions plus simples pour les entreprises.
La Commission européenne avait déjà fait une telle proposition en mars 2011. Mais après quatre années de négociations, la proposition fut bloquée au Conseil. "Même si dans certains domaines importants, des avancées ont été enregistrées et qu'un soutien s'est manifesté, les discussions ont achoppé sur des aspects plus délicats, notamment la consolidation", résume à ce sujet la fiche d'information publiée par la Commission.
Les révélations "Luxleaks" et la mise en cause de la pratique des "tax rulings" (ou rescrits fiscaux) avaient remise cette proposition sur le devant de la scène. Le 27 juin 2015, lors de la présentation de son plan d'action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises au sein de l'Union, elle avait assuré qu'une nouvelle proposition, visant à instaurer une ACCIS obligatoire par étapes, serait présentée "dès que possible en 2016", et au plus tard "d'ici 18 mois". La relance du projet avait été à nouveau confirmée par la Commission lors de sa présentation, le 28 janvier 2016, d'un paquet de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale des entreprises.
Au des difficultés traversées par la première proposition, la Commission a décidé d'encourager "la réalisation de progrès rapides", en scindant en deux étapes l'adoption de ce qu'elle qualifie comme "la réforme de l'impôt sur les sociétés la plus ambitieuse jamais proposée dans l'Union". Ainsi, la proposition présentée concerne l'assiette commune, qui, pense la Commission européenne, peut rapidement faire l'objet d'un accord afin de dégager les principaux avantages à la fois pour les entreprises et les États membres.
La consolidation devrait intervenir peu après et permettrait de tirer parti de tous les avantages du système dans son intégralité.
Deux autres propositions visent à améliorer le système existant de règlement des différends en matière de double imposition dans l'Union et à renforcer les clauses anti-abus en vigueur.
"Il est ressorti clairement de mes nombreuses conversations en tant que commissaire chargé de la fiscalité que les entreprises avaient besoin de règles fiscales plus simples au sein de l'Union. Parallèlement, nous devons aller de l'avant dans la lutte contre l'évasion fiscale, avec de véritables changements à la clé. Les ministres des finances devraient envisager sous un nouveau jour ce paquet de mesures ambitieux qui arrive à point nommé car celui-ci va instaurer un système fiscal solide, adapté au 21e siècle", a déclaré le Commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Pierre Moscovici.
Tenant compte de l'avis des États membres, des entreprises, de la société civile et du Parlement européen, la Commission européenne a décidé de renforcer les éléments favorables aux entreprises de la proposition précédente afin d'aider celles qui exercent des activités transfrontières à réduire les coûts et les formalités administratives et de soutenir l'innovation. La nouvelle version de l'ACCIS instaurera également des conditions de concurrence équitables pour les multinationales en Europe en fermant les voies exploitées à des fins d'évasion fiscale.
A la différence de la proposition précédente de 2011, le nouveau régime d'impôt sur les sociétés sera obligatoire pour les sociétés dont le chiffre d'affaires total dépasse 750 millions d'euros par an. Ainsi, les grands groupes multinationaux, jugés par la Commission "les plus à même de pratiquer la planification fiscale agressive" seront imposés là où ils réalisent leurs bénéfices. Les entreprises qui n'atteignent pas le seuil auront toujours la possibilité d'appliquer l'ACCIS en vue de bénéficier de ses avantages, à savoir une simplicité et une sécurité juridique accrues et des économies plus importantes.
Avec l'introduction de l'ACCIS, les entreprises devraient désormais disposer, pour la première fois, de règles uniformes pour calculer leurs bénéfices imposables dans l'ensemble de l'Union. Elles pourront également compenser les pertes subies dans un État membre par les bénéfices réalisés dans un autre État, bénéficiant ainsi du même traitement que celles dont l'activité est exclusivement nationale.
La proposition entend désormais éliminer les failles associées au transfert de bénéfices à des fins fiscales, nées de systèmes qui permettent aux entreprises de déduire les intérêts sur leurs emprunts mais pas les coûts liés aux fonds propres. Elle doit aussi encourager les sociétés à financer leurs activités par des fonds propres et à tirer profit des marchés au lieu de s'endetter.
Enfin, la nouvelle proposition innove en soutenant l'innovation à l'aide d'incitations fiscales en faveur des activités de recherche et développement (R&D) qui sont liées à une activité économique réelle.
Dans le cadre de la nouvelle version de l'ACCIS, les États membres ont, dans un premier temps, la possibilité de convenir et de mettre en œuvre une assiette commune qui fournit un ensemble de règles uniformes. Ainsi, par exemple, l'assiette commune garantira que tous les États membres accordent le même taux d'amortissement pour un actif déterminé ou autorisent les mêmes charges déterminées à être déductibles fiscalement. "L'assiette commune améliorera aussi la transparence et l'efficacité de l'imposition des sociétés dans l'Union. Il ne sera plus possible pour les États membres de dissimuler des éléments de leur assiette fiscale, comme les décisions préférentielles, susceptibles d'entraîner une concurrence fiscale dommageable et le transfert de bénéfices", précise la Commission.
Dans une seconde phase, la consolidation devra à un groupe de cumuler tous les profits et toutes les pertes des entreprises qui le constituent situées dans différents États membres afin de parvenir à un résultat net pour l'ensemble de l'Union. Sur la base de ce chiffre net, les règles prévues dans l'assiette commune seront utilisées pour déterminer le montant final des bénéfices du groupe qu'il convient d'imposer. Les entreprises ont besoin de la consolidation pour compenser les pertes transfrontières et pour pouvoir déposer une seule et même déclaration d'impôt dans l'Union par l'intermédiaire du système de guichet unique. La consolidation est utile aux État membres pour supprimer le système complexe et contraignant des prix de transfert, qui constitue le principal canal de transfert de bénéfices.
Les bénéfices imposables de l'entreprise seront répartis entre les États membres dans lesquels l'entreprise exerce une activité à l'aide d'une formule de répartition. La part de l'assiette de l'entreprise qu'un État membre peut imposer sera déterminée sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération :
La Commission souligne que l'ACCIS améliorera le marché unique pour les entreprises et favorisera la croissance, l'emploi et les investissements dans l'Union. Les sociétés pourront utiliser un ensemble de règles uniformes et s'adresser à leur administration fiscale nationale pour déposer une seule déclaration fiscale portant sur toutes les activités qu'elles exercent dans l'Union. L'ACCIS permettra de diminuer de 8 % le temps consacré aux activités de mise en conformité chaque année tandis que le temps nécessaire à établissement d'une filiale pourrait être réduit (au mieux) de quelque 67 %, ce qui faciliterait l'installation des sociétés, et notamment des PME, à l'étranger. Une fois qu'elle sera pleinement opérationnelle, l'ACCIS pourrait faire augmenter les investissements totaux dans l'Union à hauteur de 3,4 %. Les obstacles fiscaux tels que la double imposition seraient levés et l'ACCIS accroîtrait la sécurité fiscale en fournissant un système d'imposition des entreprises stable et transparent à l'échelle de l'Union.
L'ACCIS entend supprimer les asymétries entre les systèmes nationaux qui sont actuellement exploitées par ceux qui pratiquent la planification fiscale agressive, dit encore la Commission européenne. Elle doit aussi éliminer aussi les prix de transfert et les régimes préférentiels, qui sont aujourd'hui "les premiers vecteurs de l'évasion fiscale". Le caractère obligatoire de l'ACCIS pour les grands groupes multinationaux exerçant des activités dans l'Union, empêchera qu'ils ne se livrent à l'évasion fiscale à grande échelle.
Enfin, l'ACCIS permettra de prendre des mesures pour remédier aux distorsions existant dans le système d'imposition qui favorisent l'endettement au détriment du financement sur fonds propres, en accordant une déduction pour l'émission de fonds propres. "L'atténuation de cette distorsion en faveur de l'endettement au détriment du financement sur fonds propres dans le système d'imposition est un élément important du plan d'action pour l'union des marchés des capitaux et souligne notre engagement à mener à bien ce projet", a déclaré à ce sujet le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis.
La Commission a également proposé un système amélioré pour le règlement des différends en matière de double imposition dans l'Union, laquelle constitue un "obstacle majeur" pour les entreprises. Environ 900 différends en matière de double imposition sont en cours dans l'Union, pour un montant estimé à 10,5 milliards d'euros, rapporte la Commission.
La Commission a proposé d'ajuster les mécanismes existants de règlement des différends afin de mieux répondre aux besoins des entreprises. Plus particulièrement, un large éventail de cas sera couvert et les États membres disposeront de délais précis pour convenir d'une solution contraignante à la double imposition.
La troisième proposition du paquet présenté le 25 octobre 2016 entend remédier aux asymétries existant avec des pays tiers. Elle doit mettre fin à l'exploitation, par les sociétés, de failles, dites "dispositifs hybrides", nées de l'existence de règles différentes pour l'imposition de certains revenus ou entités, entre les systèmes fiscaux des États membres et des pays tiers. "Si un dispositif hybride faisant intervenir un pays tiers donnait lieu jusqu'ici à une double non-imposition, l'entreprise pourrait désormais être tenue d'acquitter un impôt sur certains paiements effectués dans l'Union qu'elle n'aurait normalement pas dû acquitter ou n'aurait plus la possibilité de déduire certains paiements", explique la Commission. La proposition présentée vient compléter la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale adoptée le 17 juin 2016 par le Conseil ECOFIN, qui visait pour sa part les dispositifs hybrides entre Etats membres.
Le soir de la présentation du projet, le Commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Pierre Moscovici, en a fait la présentation devant le Parlement européen. Lors du débat, les députés ont salué les propositions de la Commission européenne en faveur d'une assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS), selon les termes d'un communiqué de presse du Parlement européen.
"Avoir une même définition du bénéfice imposable dans toute l'Union européenne n'est pas une idée révolutionnaire. Ni même un objectif nouveau: le principe en était admis il y a près de vingt ans par tous les gouvernements, y compris les Britanniques", a fait remarquer l'eurodéputé PPE, Alain Lamassoure, selon des propos rapportés par le Parlement européen. "Il aura fallu le scandale Luxleaks et la pression des opinions publiques pour que cette évidence sorte de l'oubli. Oui à la concurrence fiscale au sein même de l'Union, mais dans la transparence, l'équité et la loyauté !", a ajouté celui qui est aussi président des anciennes commissions TAXE et TAX2, qui ont formulé, dans leurs rapports finaux, des recommandations à la Commission allant dans ce sens.
"Aujourd'hui, c'est le moment de vérité durant lequel nous verrons vraiment l'honnêteté des Etats membres. Les Etats qui s'opposent à ces nouvelles règles veulent baser leur économie sur l'action de prendre le pain de la bouche des autres", a estimé l'eurodéputé PPE Burkhard Balz. Le PPE n'est pas pour autant pour une harmonisation des taux, a-t-il fait savoir : "Nous ne voulons pas harmoniser les taux d'imposition des entreprises, mais ce qui est taxé et où cela est taxé. Le groupe PPE veut renforcer le principe que les impôts doivent être payés là où la valeur est créée."
Au contraire, Pervenche Bérès, du groupe S&D, pense qu'"évidemment, à un moment ou un autre, la question du taux minimal d'un impôt sur les sociétés reviendra". "L'idée qu'il faut lutter contre l'évasion fiscale et que l'absence de base consolidée de l'impôt sur les sociétés favorise cette évasion fiscale a fait son chemin", a-t-elle en tout cas constaté. Dans un communiqué de presse, Pervenche Pérès prévient aussi que son groupe se battra pour un abaissement du seuil à 40 millions d'euros, ce qui rendrait obligatoire l'ACCIS pour 20 000 entreprises. Ce seuil, fixé aussi à 750 millions d'euros pour l'échange automatique d'informations sur la fiscalité des entreprises entre autorités fiscales nationales, avait déjà été jugé aussi trop élevé par les groupes S&D, GUE-NGL, Verts/ALE.
"Nous nous battrons pour faire en sorte que l'assiette commune soit suivie de la consolidation", ajoute le président du groupe S&D, Gianni Pitella, dans le même communiqué. "Cela implique que les sociétés devront soumettre une déclaration fiscale unique pour l'ensemble de leurs activités dans l'UE. Nous sommes conscients que cela provoquera des discussions difficiles entre États membres, mais nous les exhortons à soutenir ces propositions plutôt que de les affaiblir", a-t-il lancé. "Les sociétés ne peuvent pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Elles ne peuvent plus exploiter d'un côté l'équité des règles du jeu du marché unique et de l'autre faire leur marché fiscal à leur gré." La convergence des taux d'imposition serait selon Gianni Pitella, "la seule manière d'éviter que les États membres se livrent à un nivellement par le bas en matière fiscale."
En amont du débat, le président du groupe des Verts/ALE, Philippe Lamberts, avait déclaré que l'approche de la Commission "serait beaucoup plus efficace si elle était complétée par un taux d'imposition des sociétés minimum dans toute l'Europe, mettant un terme à la course vers des taux nominaux toujours plus bas". Il avait également estimé que la Commission ferait mieux de "se concentrer sur les États récalcitrants à l'instauration d'une justice fiscale au lieu de s'acharner contre ceux qui ne seraient pas de son côté sur les questions de politique commerciale".
Par ailleurs, le communiqué de presse du Parlement européen, note que "plusieurs députés ont jugé la proposition injuste, car favorisant les multinationales pouvant délocaliser leur production" et que "d'autres ont exprimé leur inquiétude quant aux effets d'une consolidation sur les plus petits États membres".