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Dans deux arrêts portant sur l’accès aux documents ayant servi de base à l’autorisation de pesticides, la CJUE tranche en faveur de la publication des études de l’industrie sur leur impact environnemental
23-11-2016


CJUEDans deux arrêts rendus le 23 novembre 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation des règles portant sur le droit d’accès aux documents en matière environnementale. Une des affaires portait sur l’accès aux rapports d’évaluation du glyphosate, un pesticide controversé dont le renouvellement de l’autorisation a fait l’objet d’âpres discussions ces derniers mois. L’autre concernait l’accès aux documents ayant servi de base à l’autorisation de mise sur le marché de plusieurs produits phytopharmaceutiques et biocides. Dans ses arrêts, la Cour a souligné que, lorsqu’une personne demande l’accès à des documents en matière environnementale, la notion d’"informations relatives à des émissions dans l’environnement" couvre notamment celles concernant la nature et les incidences des rejets d’un pesticide dans l’air, l’eau, le sol ou sur les plantes. Elle précise surtout que la protection du secret commercial et industriel ne peut pas être opposée à la divulgation de telles informations.

Deux affaires qui portent sur le droit d’accès aux documents en matière environnementale

La Cour de justice a été saisie de deux affaires qui, bien que différentes dans les faits, portent en substance sur le droit d’accès aux documents en matière environnementale.

Dans l’affaire C-673/13 P, les associations Stichting Greenpeace Nederland et Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) ont saisi la Commission, sur le fondement d’un règlement de l’Union, d’une demande d’accès à plusieurs documents relatifs à la première autorisation de mise sur le marché du glyphosate, l’un des herbicides les plus utilisés dans le monde pour le désherbage agricole et pour l'entretien des espaces urbains et industriels. La Commission a accordé l’accès à ces documents, à l’exception d’une partie du projet du rapport d’évaluation établi par l’Allemagne. La Commission a motivé son refus en indiquant que le document en question contenait des informations confidentielles sur les droits de propriété intellectuelle des demandeurs de l’autorisation du glyphosate, à savoir notamment la composition chimique détaillée de cette substance, son processus de fabrication ainsi que les impuretés et la composition des produits finis.

Les deux associations ont saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation contre cette décision de refus de la Commission. Par arrêt du 8 octobre 2013, le Tribunal a accueilli ce recours. Selon le Tribunal, certaines parties du document litigieux comprenaient des informations ayant trait à des émissions dans l’environnement. Il s’agit des parties du document contenant 1) des informations relatives à l’identité et à la quantité des impuretés contenues dans le glyphosate, 2) les données concernant les impuretés présentes dans les différents lots (y compris les quantités minimale, médiane et maximale de chacune de ces impuretés) et 3) les informations portant sur la composition des produits phytopharmaceutiques développés par les différents opérateurs concernés. Par conséquent, la Commission aurait dû donner aux associations accès à ces parties, sans pouvoir invoquer la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles. Insatisfaite de cet arrêt, la Commission en demande l’annulation à la Cour.

Dans l’affaire C-442/14, Bijenstichting, une association néerlandaise pour la protection des abeilles, a demandé à l’autorité néerlandaise compétente pour l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et biocides (College voor de toelating van gewasbeschermingsmiddelen en biociden, CTB) la divulgation de 84 documents concernant les autorisations de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques et biocides délivrées par cette autorité. La société Bayer, titulaire d’un grand nombre de ces autorisations, s’est opposée à cette divulgation, au motif que celle-ci porterait atteinte au droit d’auteur et à la confidentialité d’informations commerciales ou industrielles.

En 2013, le CTB a autorisé la divulgation de 35 des 84 documents demandés, au motif qu’ils contenaient des informations relatives aux émissions dans l’environnement. Ces documents contenaient notamment des études de laboratoire sur les effets de la substance active imidaclopride sur les abeilles ainsi que des études réalisées en partie sur le terrain mesurant les résidus des produits phytopharmaceutiques et biocides ainsi que de leurs substances actives présents à la suite de l’utilisation de ces produits dans l’air ou le sol, dans les graines, les feuilles, le pollen ou le nectar de la plante traitée ainsi que dans le miel et sur les abeilles. Cette autorisation a été donnée bien que cette divulgation soit susceptible de porter atteinte à la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles. En effet, en vertu d’une directive de l’Union, la protection du secret commercial et industriel ne peut être opposée à la divulgation de telles informations.

Tant Bijenstichting que Bayer ont attaqué la décision du CTB devant les juridictions néerlandaises. Celles-ci ont alors saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles visant notamment à déterminer si les informations demandées par Bijenstichting relèvent de la notion d’"informations relatives aux émissions dans l’environnement" au sens de la directive, de sorte qu’elles devraient être divulguées sans que Bayer ne puisse s’y opposer au motif que cette divulgation risquerait de porter atteinte à la confidentialité d’informations commerciales ou industrielles.

Les deux arrêts de la CJUE

Par deux arrêts rendus le 23 novembre 2016, la Cour précise ce qu’il convient d’entendre par "émissions dans l’environnement" et par "informations relatives [ou ayant trait] à des émissions dans l’environnement" au sens du règlement applicable dans l’affaire C-673/13 P et de la directive applicable dans l’affaire C-442/14.

Dans ces deux arrêts, la Cour déclare tout d’abord que la notion d’"émissions dans l’environnement" couvre notamment le rejet dans l’environnement de produits ou de substances, tels que les produits phytopharmaceutiques ou biocides ou les substances actives que ces produits contiennent, pour autant que ce rejet soit effectif ou prévisible dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation du produit ou de la substance.

Ainsi, en particulier, cette notion ne saurait être distinguée des notions de "rejet" et de "déversement" ni être limitée aux émissions provenant d’installations industrielles (telles que les usines et les centrales), mais couvre également les émissions résultant de la pulvérisation d’un produit, tel qu’un produit phytopharmaceutique ou biocide, dans l’air ou de son application sur les plantes, dans l’eau ou sur le sol. En effet, de telles limitations méconnaîtraient l’objectif de divulgation la plus large possible des informations environnementales, poursuivi par le règlement et la directive.

La Cour confirme également que le règlement et la directive couvrent non seulement les informations se rapportant à des émissions effectives, c’est-à-dire les émissions qui sont effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit phytopharmaceutique ou biocide sur les plantes ou dans le sol, mais aussi les informations concernant les émissions prévisibles de ce produit dans l’environnement. La Cour précise en revanche que sont exclues de la notion d’informations relatives à des émissions dans l’environnement celles qui se rapportent à des émissions purement hypothétiques, telles que, par exemple, des données extraites d’essais ayant pour objet d’étudier les effets de l’utilisation d’une dose du produit nettement supérieure à la dose maximale pour laquelle l’autorisation de mise sur le marché est octroyée et qui sera utilisée en pratique.

La Cour précise en outre que la notion d’"informations ayant trait/relatives à des émissions dans l’environnement" doit être interprétée comme couvrant non seulement les informations sur les émissions en tant que telles (c’est-à-dire les indications relatives à la nature, à la composition, à la quantité, à la date et au lieu de ces émissions), mais aussi les informations permettant au public de contrôler si l’évaluation des émissions effectives ou prévisibles, sur la base de laquelle l’autorité compétente a autorisé le produit ou la substance en cause, est correcte ainsi que les données relatives aux incidences à plus ou moins long terme des émissions sur l’environnement. En particulier, cette notion couvre les informations relatives aux résidus présents dans l’environnement après l’application du produit concerné et les études portant sur le mesurage de la dérive de la substance lors de cette application, que ces données soient issues d’études réalisées en tout ou partie sur le terrain, d’études en laboratoire ou d’études de translocation.

Dans l’affaire C-673/13 P, la Cour annule néanmoins l’arrêt du Tribunal, dans la mesure où celui-ci a considéré qu’il suffit qu’une information ait trait "de manière suffisamment directe" aux émissions dans l’environnement pour relever du règlement. La Cour rappelle en effet que ce règlement porte sur les informations qui "ont trait à des émissions dans l’environnement", c’est-à-dire celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un quelconque lien, direct ou indirect, avec les émissions dans l’environnement. La Cour renvoie donc l’affaire au Tribunal pour que celui-ci vérifie si les informations litigieuses se rapportent bien à des émissions dans l’environnement et, le cas échéant, statue sur les arguments des parties qu’il n’a pas examinés dans le cadre de son arrêt.

Les réactions

Greenpeace a salué la décision de la CJUE. La responsable des politiques alimentaires de Greenpeace Europe, Franziska Achterberg, a ainsi souligné que "l’arrêt dit que les régulateurs doivent publier toutes les recherches utilisées pour évaluer les dangers des pesticides, et ne peuvent les tenir secrets pour protéger les intérêts de l’industrie". Désormais, les autorités nationales et européennes devront publier ces études automatiquement, et pas seulement suite à une demande d’informations, se félicite-t-elle encore en rappelant que "la transparence en matière d’évaluation des pesticides est vitale".

Pour Hans Muilerman, de Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), les "tests de sécurité réalisés par l’industrie sur ses propres produits constituent un clair conflit d’intérêt" et "la publication des tests dans leur intégralité montrera si les résumés présentés aux autorités sont conformes aux résultats des tests originaux".