Le 25 novembre 2010, la Fondation du mérite européen a organisé une séance académique exceptionnelle au Forum Geesseknäppchen à l’occasion de son 40e anniversaire. Lors de cette cérémonie, cinq décorations ont été remises aux dirigeants des trois principales institutions européennes, au Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker en sa qualité de président de l’Eurogroupe, ainsi qu’au Grand-Duc Henri. Ce dernier s’est vu décerner le "Grand Collier du mérite européen" au nom du peuple luxembourgeois.
Les 4 autres personnalités furent honorées par la remise du "Collier du mérite européen".
Lors de son allocution de bienvenue, Jacques Santer, président du Conseil d’administration de la Fondation du mérite européen et ancien Premier ministre luxembourgeois et ancien président de la Commission, a tenu à rendre hommage à la concrétisation progressive de l’idéal européen à travers l’UE et ses institutions, processus auquel fait écho et que tente de promouvoir depuis 40 ans le projet de la Fondation du mérite européen.
L’ancien Premier ministre, après avoir brièvement évoqué l’histoire de la Fondation et son attachement aux valeurs fondamentales de l’Europe, a surtout cherché à mettre en valeur l’importance de la jeunesse comme "la condition du développement" du projet européen. L’UE, qui, selon ses mots, a rendu possible que "pour la première fois depuis des siècles l’Europe [soit] aujourd’hui pacifiquement rassemblée", connaît toutefois certains problèmes.
Evoquant les conséquences qui découlent de la vision "trop technocratique" de la construction communautaire et des dénonciations des politiques européennes par des dirigeants nationaux, il appelle les Européens à faire face aux "nouveaux défis" auxquels l’Union est confrontée. Afin de pouvoir relever les défis que sont l’image de l’UE auprès de l’opinion publique, la gouvernance économique européenne, la maîtrise de la globalisation, le changement climatique et la sécurité "au sens large", "il faut bien nous rendre compte que la construction européenne est autre chose qu’une forme de collaboration entre Etats membres".
L’UE et ses dirigeants doivent, surtout dans ces temps difficiles, éviter de privilégier la logique intergouvernementale au détriment de la méthode communautaire qui caractérise "cette constructio sui generis (…) imaginée par Jean Monnet", souligne Jacques Santer. Il clôt son intervention en rappelant que dans ce monde globalisé "l’Europe ne peut avoir de poids réel que si elle est forte et unie".
Avant la remise des décorations aux 5 personnalités européennes et luxembourgeoises, Bruno Turbang, président du directoire de la Fondation, s’est à son tour brièvement exprimé. Il a commencé par développer plus en détail l’histoire de la Fondation du mérite européen ainsi que les particularités liées aux décorations remises lors de cette séance académique exceptionnelle.
S’exprimant ensuite au sujet de l’Europe, l’orateur a insisté sur les différentes valeurs qui cimentent la construction communautaire et dont la fondation entend assurer et promouvoir la pérennité à travers ses diverses actions. "L’Europe, la Fondation du Mérite européen la veut et continuera à la soutenir plus que jamais (…) Nous avons en effet toutes les raisons de dire que l’Europe, c’est au monde l’endroit où il fait le mieux vivre" a-t-il réitéré à la fin de son discours.
Après avoir reçu le "Grand Collier du mérite européen" des mains de Jacques Santer, le Grand-Duc a prononcé quelques mots de remerciement. À cette occasion, le Grand-Duc Henri a aussi tenu à mettre en avant le rôle crucial que joue, et devra continuer à jouer, la jeunesse dans ce processus qui a pour but ultime "une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens". Il a exhorté les jeunes générations à "reprendre le flambeau laissé par leurs ainés" tout en ajoutant que "la construction de l’UE ne se fait pas qu’à coups de traités mais surtout à travers l’action individuelle" des citoyens.
L’ancien Premier ministre, Jacques Santer, a ensuite procédé à la remise des décorations aux 4 autres dignitaires qui ont tous tenu à s’exprimer par la suite. Toutefois, avant que les lauréats n’aient pu prendre la parole, trois étudiants ont eu l’occasion d’adresser des messages aux dirigeants européens au nom de la jeunesse luxembourgeoise.
La première à s’exprimer, Lynn Warisse, a fait part de son expérience au sein du 33e Model European Parliament qui s’est tenu à Istanbul. À la suite des nombreux débats qu’elle a pu suivre dans le cadre de cet événement, elle a constaté que la majorité des autres jeunes Européens partagent un souhait majeur. "Nous avons une grande requête à l’égard des hommes politiques de l’UE : il faudrait absolument mettre sur pied pour les jeunes atteignant le seuil de la majorité un programme spécial qui nous fournirait toutes les informations nécessaires sur le fonctionnement, sur les objectifs et également sur les problèmes de l’UE !" a-t-elle revendiqué devant l’audience.
Elle a continué son allocution par des références aux travaux effectués par les jeunes dans le cadre la Conférence de Copenhague sur le climat et à la fin de laquelle ils furent "poussés à croire que les politiciens de l’UE n’honorent pas assez leur travail, même s’ils affirment et croient faire le contraire".
Marie Back, qui s’est exprimée ensuite, a pour sa part abordé le domaine de la solidarité internationale "chère à l’UE". Après avoir rappelé que l’UE est le 1er contributeur mondial en termes d’aide au développement et les initiatives élaborées par son école dans ce domaine, elle s’est montrée critique face aux conséquences qui découlent de certaines politiques européennes. Elle s’est basée sur des exemples rapportés par les membres des écoles africaines partenaires pour stigmatiser notamment l’impact des subventions agricoles européennes sur la production agricole locale. Son intervention s’est close sur un appel aux dirigeants européen à "changer l’approche du problème" et à "exercer une pression [accrue] sur les dictateurs africains" afin de progresser vers les objectifs européens de l’aide au développement.
Enfin, le dernier étudiant à prendre la parole, Daniel Lang, à exprimé le souhait profond de "voir l’émergence d’un échange avec des camarades au niveau européen sur des questions fondatrices de la citoyenneté européenne". En référence aux acquis du projet communautaire et du contexte originel de l’idéal européen, il a insisté sur la nécessité, pour les jeunes générations, de se rappeler les affres de la guerre et le potentiel pacificateur transversal à l’UE.
Aux interventions de la jeunesse ont suivi des "messages" des 4 récipiendaires du "Collier du mérite européen" sur le thème de "l’UE, primordiale dans un monde en mutation".
Le premier orateur à s’exprimer a été le président du Parlement européen, le polonais Jerzy Buzek qui a commencé son allocution en saluant le Luxembourg comme "cœur de l’Europe", organe certes petit par sa taille mais vital à son bon fonctionnement. Il s’est également déclaré être honoré de pouvoir réceptionner la décoration au nom de l’institution du Parlement européen dont l’importance est ainsi reconnue et valorisée.
Concernant sa vision de l’Europe dans le monde actuel, il a appuyé la nécessité pour l’UE d’avoir une voix forte afin de pouvoir se faire entendre sur la scène internationale. Face aux nouveaux enjeux et défis qui se posent à l’Europe, il a réaffirmé sa foi dans les capacités de l’Union à proposer des solutions pertinentes. Au vu des "succès" récents de l’Union, notamment dans le cadre du G-20, elle peut valablement être considérée comme un acteur important de ce monde en mutation.
Dans ce contexte, Jerzy Buzek a ajouté que "l’Europe ne doit pas avoir peur d’exporter ses valeurs", que l’UE a une forte capacité à promouvoir son modèle, ses standards, ses valeurs et "sa culture du compromis" à l’internationale. L’exemple des pays du Balkan où l’Europe continue de s’engager notamment en "ouvrant ses portes", illustre, selon lui, parfaitement le fait que "le soft power » [européen] est plus fort que le hard power" et la capacité d’exemplarité de l’UE.
L’orateur suivant fut le président du Conseil européen, le belge Herman Van Rompuy. Après avoir déclaré être surpris mais heureux de se voir décerner le "Collier du mérite européen" après avoir été en fonction 1 an seulement, il a tenu à saluer l’action et "l’expérience inégalée" de Jean-Claude Juncker.
Herman Van Rompuy s’est ensuite tourné vers le thème de son intervention dont il a tout d’abord souligné l’importance de la jeunesse. Ensuite le président du Conseil à offert ses réflexions sur la dimension des valeurs fondatrices de l’UE. "On parle trop peu de nos valeurs. On parle trop de nos intérêts" regrette-t-il avant de s’attarder plus longuement sur deux valeurs fondamentales à ses yeux : la paix et la prospérité. Au sujet de la première, il déclare que elle reste toujours d’actualité pour les jeunes générations et un argument valable en faveur du projet européen, surtout eu égard des atrocités qui, récemment encore, ont secoué la région des Balkans. "L’Europe est la réponse à la guerre" répète-il avant de justifier son choix de mettre en exergue la prospérité.
Au sujet de cette deuxième valeur, le président du Conseil insiste sur la nécessité de maintenir un esprit de solidarité entre Etats membres. En effet, il considère que "le problème d’un pays est le problème de tous" et que dans le contexte de la crise économique récente il regrette la lenteur de la réaction européenne. Il en tire la conclusion que ce "monde en mutation exige que nous nous organisons mieux". Il finit son intervention en réitérant la volonté du Conseil européen de jouer un rôle important dans la définition "d’un cap stratégique [européen]" dans le domaine de la politique extérieure et ceci afin que l’UE parvienne à adresser "les mêmes messages-clés" à ses partenaires internationaux.
L’intervention du président de la Commission, José Manuel Barroso, s’est principalement caractérisée par une exhortation adressée aux Européens à faire front commun contre le "défaitisme ambiant". "Ne cédons pas l'Europe, notre Europe, aux défaitistes et aux "déclinologues"" a-t-il souligné avant d’insister sur la pléiade de "succès" de ces dernières années qui sont à mettre au crédit de l’UE. Dans ce contexte, le président de la Commission a rappelé les mécanismes financiers élaborés par l’Union en réaction aux crises budgétaires grecque et irlandaise ainsi que le potentiel de "plus d’Europe" offert par le traité de Lisbonne.
Revenant plus en détail sur les évolutions que l’Europe a subies cette dernière année et sur les dynamiques positives qu’elle a réussies à mettre en branle, José Manuel Barroso a salué l’esprit de coopération qui a prévalu au niveau communautaire au sein des différentes institutions. Il a conclu son allocution en émettant le souhait de voir "l'esprit européen (…) aussi présent dans les décisions des responsables politiques au niveau national"; " ce n’est pas le moment de l’égoïsme national".
Enfin, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, a qualifié l’UE d’affaire de cœur qu’il s’agit "de soigner, de respecter, d’aimer". De manière semblable à un entretien publié dans l’édition du 25 novembre 2010 de l’hebdomadaire Rheinischer Merkur et intitulé "L’Europe : l’amour de ma vie", Jean-Claude Juncker a tenu à réitérer son attachement profond à l’idéal sur lequel est fondé l’UE. Après avoir rendu hommage à la génération des Européens de l’après-guerre et à leur vision du projet qu’ils ont lancé et matérialisé progressivement, le Premier ministre s’est attardé plus longuement sur l’actualité immédiate.
Face à l’échec des négociations sur le budget européen, l’accord franco-allemand de Deauville ou encore les tractations concernant la crise budgétaire irlandaise, il a insisté sur la nécessité d’éviter que l’UE ne devienne "un terrain de lutte d’intérêts nationaux". Afin d’illustrer son propos, Jean-Claude Juncker a indiqué sur un ton plein d’humour "être étonné de voir les réactions des dirigeants européens à la sortie des réunions du Conseil (européen)". En effet, ces derniers se présenteraient devant leurs médias nationaux respectifs comme "les vainqueurs" ayant réussi à sécuriser la prise en compte des "intérêts nationaux" au cours des négociations. Cela ne correspondrait toutefois pas du tout à la réalité des événements tels qu’ils les constatent, ironise le Premier ministre.
Dans la même veine, le président de l’Eurogroupe a déploré que la logique intergouvernementale s’insinue progressivement au sein de l’Union. Il plaide pour un respect de la méthode communautaire ou du moins à ce que les dirigeants européens se montrent "plus intergouvernementaux d’une façon communautaire" afin de garantir l’égalité et la dignité de l’ensemble des Etats membres. Ensuite, Jean-Claude Juncker a réitéré sa foi inébranlable dans les capacités de résistance de la monnaie unique européenne. "L’euro et moi sont les derniers survivants du Traité de Maastricht et puisque je me porte très bien" a-t-il indiqué sur un ton moqueur, "il ne pouvait pas s’imaginer qu’il en aille autrement pour l’euro".
L’intervention du Premier ministre luxembourgeois s’est achevée sur des paroles légèrement plus pessimistes. Après avoir mis en exergue les "acquis de l’Europe", comme plusieurs des orateurs précédents, il a conclu en indiquant que pour réussir il faut plus de patience que nous semblions en avoir et "plus de détermination que ce qui semble être le cas dans cette période contemporaine".
La séance académique exceptionnelle de la Fondation du mérite européen s’est clôturée sur une note d’espoir et un appel à la persévérance auxquels une citation Victor Hugo a donné corps: "Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité … Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’humanité".