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Economie, finances et monnaie
Dans un entretien à la Neue Zürcher Zeitung, Yves Mersch émet des objections à la proposition de Jean-Claude Juncker de créer des euro-obligations
11-12-2010


Au lendemain de la conférence de presse qu’Yves Mersch a tenue à Luxembourg pour présenter la dernière édition du bulletin de la BCL sur la situation économique et financière du Grand-Duché, à savoir le 11 décembre 2010,  laYves Mersch sur le site de la Neue Zürcher Zeitung le 13 décembre 2010 Neue Zürcher Zeitung publiait un entretien accordé par le président de la BCL au journaliste René Höltschi.

Il y répondait à des questions sur la situation de la zone euro en pleine crise de la dette, et il plaidait notamment pour "un saut quantique" en matière de gouvernance économique. Mais le président de la BCE revenait aussi sur la question de la participation des créanciers au futur mécanisme permanent de stabilité, saluant notamment le fait que les ministres des Finances se sont orientés sur la base de l’expérience du FMI. Yves Mersch a par ailleurs émis des objections à la proposition de Jean-Claude Juncker d’émettre des euro-obligations, et, s’il invite à poursuivre la discussion, il appelle cependant à utiliser d’abord pleinement ce qui existe et donc à réfléchir à l’avenir du fonds européen de stabilité financière.

Pour Yves Mersch, "un saut quantique" est nécessaire en matière de gouvernance économique

"Comment calmer les marchés après la décision d’accorder à l’Irlande une aide financière ?", s’est vu demander le président de la BCL. Yves Mersch voit là deux voies distinctes.

D’une part, il revient à chaque pays concerné de convaincre les marchés par des mesures nationales, en sachant, comme le souligne le banquier luxembourgeois, que la volonté de faire des économies doit aussi être acceptée par la population, ce dont les marchés ne semblent pas être convaincus.

En second lieu, la question est de convaincre les marchés par des décisions européennes. "Des améliorations vont devoir suivre", juge Yves Mersch, mais elles devront selon lui porter sur des mesures de politique financière, et non de politique monétaire. Le président de la BCL voit dans ce cadre la nécessité d’un "saut quantique en matière de gouvernance économique".

Pour Yves Mersch, les propositions de la Commission en la matière ne sont "pas suffisamment ambitieuses" et il regrette que les efforts faits actuellement ne se concentrent trop sur le volet correctif de la réforme. L’enjeu est en effet aux yeux du président de la BCL de réussir à convaincre les marchés, en renforçant le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, que la prochaine crise ne surviendra pas si vite. Et il appelle donc dans un premier temps à plus d’automatisme dans le lancement d’une procédure de déficit qui ne devrait selon lui pas dépendre d’une décision politique. Dans un deuxième temps, Yves Mersch préconise une procédure visant à une réduction rapide de la dette. Enfin, le président de la BCL appelle de ses vœux une procédure de surveillance macro-économique renforcée qu’il conviendrait de prévoir dans le cadre d’une procédure plus automatisée. Car pour lui, "le problème de l’Europe est au fond un problème de compétitivité", ce que savent les marchés.

Mécanisme européen de stabilité : "Une participation des créanciers n’est pas exclue, mais elle n’est pas non plus une condition préalable, et elle n’intervient qu’à la toute fin du processus", résume Yves Mersch qui salue le fait que les ministres des Finances se sont orientés sur la base de l’expérience du FMI

Quant à une participation des créditeurs privés au futur mécanisme permanent de stabilité financière, principe sur lequel se sont entendus les ministres des Finances de l’Eurogroupe le 28 novembre dernier dans le cas où un Etat se trouverait insolvable, Yves Mersch se montre plutôt rassuré que les politiques aient décidé de s’orienter sur la base de la longue expérience du FMI en la matière.

"Une participation des créanciers n’est pas exclue, mais elle n’est pas non plus une condition préalable, et elle n’intervient qu’à la toute fin du processus", résume ainsi Yves Mersch qui estime que "prévoir une fin relève d’une bonne architecture institutionnelle". Mais il faut aussi avant d’y arriver prendre toutes les mesures disponibles, n’a-t-il pas manqué de préciser, expliquant que "se contenter de battre la campagne en brandissant un drapeau portant l’ultima ratio" ne saurait suffire, et que cela risque même d’effrayer les marchés. On comprend ainsi que l’idée, initialement proposée par les Allemands, d’impliquer systématiquement les créanciers, n’ait pas suscité l’enthousiasme du président de la BCL.

Selon les principes sur lesquels ils se sont entendus, les ministres des Finances devraient faire le constat de l’insolvabilité d’un Etat avant que les négociations ne soient ouvertes avec les créanciers privés, rappelait le journaliste suisse. Et il se demandait si le fait que cela dépende d’une décision politique ne poserait pas problème. D’après Yves Mersch, faire la distinction entre problèmes de liquidités et d’insolvabilité demandera toujours de peser le pour et le contre, et ce que la décision soit prise au niveau technocratique, politique, ou au niveau des marchés. A ses yeux, il en va d’une question de démocratie : "s’il s’agit d’argent public, il importe que ceux qui portent la responsabilité de cet argent public prennent part à une telle décision".

Yves Mersch émet quatre objections à la proposition de Jean-Claude Juncker d’émettre des euro-obligations, et, s’il invite à poursuivre la discussion, il appelle cependant à utiliser d’abord pleinement ce qui existe et donc à réfléchir à l’avenir du fonds européen de stabilité financière

En ce qui concerne la discussion qui fait suite à la proposition faite par Jean-Claude Juncker d’introduire des euro-obligations, Yves Mersch a souligné qu’elle était problématique pour quatre raisons.

Tout d’abord, le président de la BCL craint que l’on ne donne une fois de plus l’impression que la sortie de crise ne se fait que par plus de dettes encore.

D’autre part, la question de savoir pourquoi des pays qui n’ont pas fait preuve d’un comportement vertueux doivent être subventionnés n’est pas résolue.

En troisième lieu, Yves Mersch souligne que les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Or, rappelle-t-il, la souveraineté fiscale n’existe pas au niveau européen. "Il ne pourrait y avoir de dettes communes que si nous étions dans une Etat fédéral et si la compétence fiscale revenait au niveau européen", explique le président de la BCL, insistant bien sur le fait qu’il ne saurait être question d’européaniser seulement les dettes.

Enfin, Yves Mersch dit avoir quelques scrupules à l’idée de vouloir sortir de la crise par des mécanismes de dettes qui se répercuteront sur la génération à venir, laquelle fait déjà face au problème du vieillissement.

"Nous devons absolument poursuivre la discussion sur cette vision, et je crois qu’elle trouvera un jour sa place dans l’environnement européen", conclut Yves Mersch sur le sujet, en conseillant toutefois pour aujourd’hui "d’élever plutôt le potentiel de croissance par des mesures structurelles afin d’accélérer la réduction de la dette dans la plupart des pays".

"La création du mécanisme de stabilité financière a constitué un premier pas en direction de l’intégration", estime Yves Mersch qui jugerait cependant judicieux de "défaire ce mécanisme de ses entraves et de ne pas le voir trop petit quand il est question de le rendre permanent". Il y a plusieurs possibilités en vue en la matière, que ce soit en termes quantitatifs ou qualitatifs. Mais pour Yves Mersch, la proposition la plus simple serait, comme le suggère le FMI, de renflouer le fonds européen. Il évoque aussi la possibilité de faire en sorte que le fonds ne se contente pas d’absorber l’argent pour le transférer au cas par cas, mais puisse intervenir sur les achats et les ventes sur le marché secondaire. "Beaucoup d’agences de la dette interviennent aussi sur les cours", ajoute-t-il encore avant de préciser qu’il n’entend pas privilégier une proposition, mais plutôt stimuler une discussion qui lui apparaît plus "prometteuse que de nouveaux débats sur les euro-obligations". Son mot d’ordre, c’est en effet d’utiliser pleinement ce qui existe avant de penser la nouveauté.