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Economie, finances et monnaie
Jean-Claude Juncker a appelé le Parlement européen à redonner "du sens commun" au débat sur la gouvernance économique
08-11-2010


Jean-Claude Juncker a participé le 8 novembre 2010, en sa qualité de président de l’Eurogroupe, à un échange de vues avec les membres de la Commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen (ECON).

L’état des lieux qu’il a dressé de la situation dans la zone euro a donné à Jean-Claude Juncker l’occasion deJean-Claude Juncker auditionné par la Commission ECON du Parlement européen le 8 novembre 2010 © 2010 SIP / JOCK FISTICK soulever un certain nombre de questions de la plus vive actualité, et les eurodéputés présents n’ont par manqué de saisir la balle au bond, entendant bien le message d’un président de l’Eurogroupe qui a insisté à plusieurs reprises sur le rôle de codécideur du Parlement européen sur bien des sujets sensibles.

Pour Jean-Claude Juncker la situation est encore "des plus difficiles" et le taux de croissance "médiocre" qu’il observe dans la zone euro le pousse une fois de plus à rappeler que, dans la "chorégraphie de sortie de crise" qui a été lancée, "la précaution reste de mise" afin que les instruments de sortie de crise ne portent pas atteinte à la croissance. Il n’a pas manqué d’appeler les États membres de la zone euro à poursuivre des politiques économiques et financières saines afin d’assurer la stabilité, la crédibilité et la croissance de leurs économies.

Jean-Claude Juncker s’est dit confiant à l’idée que l’Irlande, le Portugal et la Grèce puissent traduire dans les faits leurs programmes de stabilisation budgétaire et de réformes structurelles

"Je reste admiratif devant le sérieux et la qualité de la réaction des autorités irlandaises", a déclaré Jean-Claude Juncker au sujet de l’annonce faite par l’Irlande le 4 novembre dernier de doubler les coupes budgétaires qu’elle entendait déjà faire pour l’année prochaine, les portant ainsi à six milliards d’euros. Saluant cet "effort considérable", le président de l’Eurogroupe s’est aussi montré "confiant" dans le fait que les autorités irlandaises sauraient traduire dans les faits le plan d’austérité pluriannuel prévu.

Jean-Claude Juncker a aussi tenu à "rendre hommage" à l'adoption, le 3 novembre dernier, par le Parlement portugais d'un budget d'une rigueur sans précédent pour 2011. Le président de l’Eurogroupe s’est ainsi dit "convaincu que le Portugal ne manquera pas d'entamer les réformes structurelles qui doivent être prises de façon à ce que le potentiel de croissance du Portugal puisse être corrigé vers le haut".

"Nous pensons que les autorités grecques seront à même de respecter dans la perspective de 2014 les objectifs de correction budgétaire qui ont été retenus", a par ailleurs déclaré Jean-Claude Juncker au sujet de la Grèce. "Le programme rigoureux du gouvernement grec reste crédible et sera traduit dans les faits", a ajouté le président de l’Eurogroupe qui a cependant tempéré en concédant que la croissance grecque connaîtrait en 2010 "un net repli". "Les autorités grecques seront dans l'obligation d'entamer les réformes structurelles que l'on peut attendre de ce pays", en a-t-il conclu, sans exclure "des mesures supplémentaires, pour faire en sorte que les objectifs budgétaires intermédiaires puissent être atteints".

Les "peer reviews" menés au sein de l’Eurogroupe ont permis d’identifier la nécessité de réduire les déficits structurels qu’accusent les budgets nationaux, la dette publique ainsi que l’endettement des ménages et des entreprises

Poursuivant son bilan des derniers mois devant les eurodéputés, Jean-Claude Juncker s’est félicité des débats menés au sein de l’Eurogroupe sur la surveillance des divergences de compétitivité et des déséquilibres macroéconomiques dans la zone euro.

Ces examens, pays par pays, les "peer reviews" sont concentrés sur les défis macro-économiques clés ainsi que sur l'élaboration de conseils opérationnels sur les actions prioritaires. L'objectif en est d'avoir une discussion franche et ouverte entre les États membres, et donc de faciliter l'échange de bonnes pratiques. En outre, les ministres des Finances sont invités à prendre en considération les conclusions de l'exercice lors de l'élaboration de leur stratégie de politique économique nationale et à rendre compte auprès de l'Eurogroupe du suivi prévu.

Jean-Claude Juncker auditionné par la Commission ECON du Parlement européen le 8 novembre 2010 © 2010 SIP / JOCK FISTICKLes pays ayant déjà fait l’objet de cet examen sont l’Espagne, la Finlande, le Portugal et le Luxembourg. Lors de la prochaine réunion de l’Eurogroupe, le 16 novembre 2010, l’Allemagne et l’Italie seront examinées.

Pour Jean-Claude Juncker, les débats qui ont eu lieu jusqu’ici ont permis de dégager certaines pistes prioritaires que devront suivre les États membres. Parmi ces priorités, le président de l’Eurogroupe a cité "la nécessité de réduire les déficits structurels qu’accusent les budgets nationaux", la réduction de la dette publique et "l’endettement des ménages et des entreprises pour éviter le risque de bulles futures".

L’Eurogroupe a également observé que les rigidités du marché du travail constituent une entrave à la compétitivité, mais Jean-Claude Juncker estime que les rigidités "ne doivent pas toutes être éliminées, parce que certaines soi-disant rigidités continuent à protéger le monde du travail contre l’arbitraire et les comportements aléatoires de ceux qui sont les maîtres de l’emploi".

Jean-Claude Juncker, qui juge que "le dollar ne se trouve pas être au niveau auquel il devrait être", voit dans les récentes décisions de la FED "plus de risques et plus de possibilités de dérapages globaux que de bienfaits"

Le président de l’Eurogroupe a par ailleurs expliqué que les taux de change "doivent d'abord refléter les données fondamentales économiques" et "ne doivent pas donner lieu à des comportements nationaux qui sont inspirés plus par des réflexes égoïstes que par le sentiment qu'il faudrait que la communauté internationale s'occupe des soucis globaux".

Jean-Claude Juncker s’est montré ainsi très critique à l’égard des récentes décisions de la FED, la Réserve fédérale des Etats-Unis, déclarant qu’elles ne lui paraissaient pas "répondre à tous les éléments d'attente que nous aurions pu nourrir" et y voyant "plus de risques et plus de possibilités de dérapages globaux (…) que de bienfaits". "La décision de la Fed ne me paraît pas être la bonne. On combat la dette par la dette. On s'érige en critique sévère de la politique monétaire chinoise, alors que d'une certaine façon et d'une façon certaine, on fait par des moyens détournés exactement la même politique", a encore ajouté Jean-Claude Juncker qui a mis en garde contre "le risque de voir déferler vers les pays émergents des volumes de liquidités que ces pays ne pourront pas absorber".

Jugeant que "le dollar par rapport à l'euro ne se trouve pas être au niveau auquel il devrait être", Jean-Claude Juncker a assuré que "les Européens qui seront autour de la table" du prochain sommet du G20 qui se tient les 11 et 12 novembre prochain à Séoul "ne manqueront pas de poser un certain nombre de questions à nos amis américains". C’est en effet au sein de cette enceinte qu’ont lieu les "véritables débats", comme l’a expliqué Jean-Claude Juncker qui s’est montré quelque peu amer à l’idée que l’Eurogroupe n’y soit pas représenté.

"Il y a trop d’Européens autour de la table du FMI, mais pas assez d’Europe", a déclaré Jean-Claude Juncker, plaidant pour la zone euro soit représentée par un siège unique

Concernant la réforme du Fonds monétaire international, Jean-Claude Juncker reste d’avis que la zone euro devrait être représentée par un siège unique au Fonds monétaire international (FMI), mais il admet que cette idée est loin de faire l’unanimité parmi les membres de la zone euro.

"Il y a trop d’Européens autour de la table du FMI, mais pas assez d’Europe", a dit le chef de file des ministres des Finances de la zone euro. Avec un siège unique, la zone euro deviendrait l’actionnaire le plus important et le plus influent au FMI, a-t-il plaidé, disant "regretter profondément" que "les pays membres de la zone euro ne voient pas l’intérêt, ni l’attrait de concentrer les intérêts et l’influence européenne ". "Je suis convaincu que l’histoire ira dans ce sens", a cependant avancé Jean-Claude Juncker qui a dressé le constat désolé que "nous perdons du temps" dans la mesure où "les autres n’attendent que cela".

Le président de l’Eurogroupe appelle le Parlement européen à redonner "du sens commun" au débat sur la gouvernance économique

Abordant enfin la question de la gouvernance économique, Jean-Claude Juncker a insisté pour que la mise en œuvre des conclusions de la task force Van Rompuy ainsi que du dernier Conseil européen puisse se faire en étroite concertation et collaboration entre le Parlement européen et le Conseil. "Cela va de soi, le Traité requiert que le Parlement soit sur un pied d'égalité avec les Etats membres", a ainsi souligné le président de l’Eurogroupe, invitant les députés à redonner "du sens commun" au débat.

Réforme du pacte de stabilité : Jean-Claude Juncker plaide pour la majorité qualifiée inversée à toutes les étapes de la procédure

Jean-Claude Juncker a plaidé à titre personnel pour que les décisions à prendre dans le cadre de la version réformée du pacte de stabilité et de croissance soient toutes et à chaque étape de la procédure prises à majorité qualifiée inversée.

Pour Jean-Claude Juncker, ce serait en effet un moyen d’avoir des décisions plus automatiques, sans pour autant mettre à mal "les éléments de jugement politique nécessaires" à ses yeux aux différentes étapes de la procédure.

Jean-Claude Juncker craint qu’en introduisant la majorité qualifiée inversée seulement pour la dernière étape, les sanctions ne puissent jamais être appliquées, les grands Etats pouvant constituer des minorités de blocage tout au long des premières étapes de la procédure. Il a donc plaidé pour "crédibiliser les étapes précédant les sanctions", ce qui permettrait d’anticiper les décisions et de renforcer le volet préventif du pacte de stabilité.

Jean-Claude Juncker met en garde contre l’idée "exaltée" que "dans toutes les résolutions de crise le secteur privé doit être impliqué"

Répondant au cours de l’échange de vue à l’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling (PPE) qui lui demandait si "un système de défaut de paiement, qui ferait porter une partie du coût de la dette publique sur le secteur privé ne serait pas utile dans le mécanisme de la zone euro pour la résolution des crises", Jean-Claude Juncker s’est voulu prudent. "Je ne voudrais pas que nous chassions les investisseurs de la zone euro et donc je souhaite une approche sage" sur cette option, qui est envisagée dans le cadre du futur mécanisme permanent de gestion des crises. 

S’il reconnaît qu’il faudra "parler de l'implication du Fonds monétaire international" et qu’il conviendra "d’examiner de plus près l'implication du secteur privé" dans ce mécanisme, Jean-Claude Juncker a tenu à mettre en garde contre l'idée "exaltée" que "dans toutes les résolutions de crise le secteur privé doit être impliqué". Un point sur lequel il rejoint Jean-Claude Trichet, le président de la BCE.

"Moi, de tempérament, je suis d'avis que les banques et les acteurs du secteur financier doivent payer pour qu'ils n'échappent pas à leur responsabilités", a souligné le président de l’Eurogroupe. "Mais dire que la zone euro est la seule zone monétaire au monde où, a priori, le secteur privé peut être mis à contribution me paraît exiger un examen plus approfondi", a-t-il précisé, rappelant que le FMI a pour habitude de mettre les banques à contribution dans seulement 20 % des cas lorsqu'il met en place des programmes d'aide.

Jean-Claude Juncker appelle à réfléchir sur la mise en place d’emprunts obligataires de la zone euro

Répondant aux questions de plusieurs députés sur ce futur mécanisme permanent, Jean-Claude Juncker a confirmé qu’il entendait proposer, comme il l’avait déclaré à la presse le 6 novembre 2010, une initiative en faveur d’emprunts obligataires de la zone euro, les Eurobonds.

"Si nous voulons avoir un mécanisme de crise permanent, il faut que nous nous penchions encore une fois sur ce sujet", a-t-il expliqué, jugeant nécessaire de "se réconcilier avec cette idée d’Euro-obligations". "Comme on réfléchit sur beaucoup de choses, y inclus la perte des droits de vote, je n’accepte pas que l’on refuse de réfléchir à la question des Eurobonds", a plaidé Jean-Claude Juncker, aiguisant sa pique pour ajouter que "si on réfléchit à ce qui est impossible, il faut qu’il soit permis de penser au possible".

Jean-Claude Juncker a aussi précisé qu’il n’avait pas de mandat allant dans ce sens de la part de l’Eurogroupe et il a proposé aux parlementaires de constituer une sous-commission pour travailler de façon approfondie sur ces questions.

Son idée est de privilégier "une voie de résolution de plus de bon sens" et non exclusivement celle de l’intergouvernemental, de créer un "mécanisme où personne ne gagne, où personne ne perd".