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" Le prix de la défense des intérêts nationaux, c’est la solidarité", a confié Jean Asselborn à la rédaction de la Berliner Republik
20-02-2012


Dans son premier numéro de 2012, la Berliner Republik, magazine bimensuel des cercles sociaux-démocrates allemands, publie un long entretien que le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn a accordé à Johanna Lutz et Michael Miebach. Les deux journalistes l’interrogent notamment sur la place de l’Allemagne dans l’UE. Si Jean Asselborn appelle l’Allemagne à "veiller à ne pas malmener inutilement la cohésion de l’UE", il affirme aussi qu’onBerliner Republik, das Debattenmagazin : www.b-republik.de attend d’elle "des qualités de leadership, surtout dans la situation actuelle". Plus généralement, Jean Asselborn constate "que l’Allemagne et la France ne dominent pas l’UE", contrairement à ce qu’ont pu laisser penser certains épisodes, comme la rencontre de Deauville à l’automne 2010. Cet entretien est l’occasion pour le chef de la diplomatie luxembourgeoise de plaider une fois de plus la cause de la méthode communautaire, l’enjeu étant à ses yeux actuellement de mettre en œuvre les dispositions du traité de Lisbonne en matière de processus décisionnels. "On ne doit pas étrangler l’économie européenne, mais au contraire tenter de favoriser la croissance", juge Jean Asselborn qui appelle de ses vœux une mise en œuvre rapide du semestre européen, du six-pack et du pacte euro plus.

"L’Allemagne doit veiller à ne pas malmener inutilement la cohésion de l’UE"

"Angela Merkel a tenu depuis son deuxième mandat des positions très dures et très strictes qui ont provoqué chez certains Etats membres de l’UE et partenaires internationaux de l’étonnement, voire de l’incompréhension", reconnaît le chef de la diplomatie luxembourgeoise lorsque les deux journalistes allemands l’interpellent sur l’image donnée de l’Allemagne par sa chancelière dans certains pays du Sud de l’Europe, mais aussi chez ses voisins. Et Jean Asselborn précise que ce n’est pas seulement dans le contexte de la crise : "Affirmer en tant que chancelière allemande que la société multiculturelle a échoué, c’est une déclaration très risquée qui dérange inutilement les relations de voisinage calmes, stables et confiantes", juge-t-il ainsi. "L’UE s’efforce depuis des décennies de promouvoir l’intégration non seulement dans un sens économique, mais aussi social", affirme le ministre luxembourgeois pour qui le succès du projet de paix qu’est l’Europe ne peut avoir pour base qu’une pensée inclusive. Ce qui explique aussi pourquoi c’est à ses yeux "une erreur que d’imposer aux Etats membres de l’UE qui souffrent très fortement des conséquences de la crise de la dette des concessions trop difficiles, voire de discuter d’une exclusion de la zone euro". "En tant que plus grande puissance économique de l’UE, en tant que championne européenne de l’exportation et en tant que pays qui compte parmi les plus grands gagnants de l’introduction de l’UE, l’Allemagne doit veiller à ne pas malmener inutilement la cohésion de l’UE", plaide encore Jean Asselborn.

Interrogé sur l’existence d’une "peur de la domination allemande en Europe", Jean Asselborn ne voit là qu’une "construction émotionnelle apparue dans le contexte de la crise de la dette" qui trouve une certaine "résonance parce qu’elle offre une explication simple", estime le ministre luxembourgeois. "En réalité, les Allemands sont devenus les citoyens les plus responsables de l’UE", avance Jean Asselborn qui poursuit en expliquant que, sur bien des plans, l’Allemagne est devenue un modèle pour d’autres pays. "On attend de l’Allemagne des qualités de leadership, surtout dans la situation actuelle", insiste ainsi le chef de a diplomatie luxembourgeoise. Ce que Jean Asselborn appelle de ses vœux, ce sont des décisions au niveau de l’UE qui tiennent compte de l’intérêt commun européen et qui ne sont en rien influencés par des intérêts de politique intérieure ou partisane. "Nous ne maîtriserons cette crise que si nous trouvons des solutions communes et si nous pensons européen", assure Jean Asselborn qui appelle surtout à asseoir cette action sur la méthode communautaire plutôt que sur les principes intergouvernementaux.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, Jean Asselborn constate qu’une lutte d’influence a éclaté

Aussi, lorsque les journalistes pointent "le système Merkozy" qui s’est développé sur la base de discussions bilatérales ces derniers mois, Jean Asselborn reconnaît qu’il a pu, "parfois, mais seulement l’espace d’un instant", avoir l’impression que "les petits voisins étaient évincés par les grands", comme le formule la rédaction de la Berliner Republik. Il cite même l’exemple de la rencontre de Deauville d’octobre 2010. "A ce moment-là on a eu l’impression que les accords importants étaient exclusivement trouvés entre l’Allemagne et la France et que les décisions étaient ensuite imposées aux 25 autres Etats membres", raconte ainsi le ministre. Mais, remarque Jean Asselborn, "de façon ironique", les décisions de Deauville, qui ont influencé de manière négative les discussions et les efforts des Etats membres de l’UE pendant des mois, ne sont plus à l’ordre du jour. Pour le chef de la diplomatie luxembourgeoise, c’est là "la preuve que l’Allemagne et la France ne dominent pas l’UE".

Si cette impression a pu naître, c’est aussi parce que tous les Etats membres s’efforcent de mettre en œuvre le traité de Lisbonne, ajoute Jean Asselborn qui explique que, "depuis l’entrée en vigueur du traité et l’entrée en fonction d’Herman Van Rompuy et de Catherine Ashton, c’est une vraie lutte d’influence qui a éclaté". L’UE, et c’est aussi lié à ses yeux aux conséquences de la crise de la dette, est retombée d’après Jean Asselborn dans une réflexion nourrie par les intérêts nationaux au lieu d’oser la voie d’une intégration plus profonde.

Pour Jean Asselborn, l’enjeu est actuellement de mettre en œuvre les dispositions du traité de Lisbonne en matière de processus décisionnels

Pour le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, il n’est pas question d’une "crise du voisinage", comme le suggèrent les deux journalistes. Il observe plutôt des "tensions de voisinage conjoncturelles qui résultent de la crise de la dette et de l’économie". Si certains pays ont clairement eu des difficultés à respecter le pacte de stabilité et de croissance, et ce notamment au niveau du marché intérieur, cela a incité certains politiques, explique Jean Asselborn, à stigmatiser publiquement, d’une façon simpliste et populiste, l’un ou l’autre de leurs voisins pour ces anomalies. Et il regrette que l’idée de la solidarité soit tombée dans l’oubli, ce qui a encore aggravé la crise. Pour autant, Jean Asselborn se veut confiant dans l’idée que tous les Etats membres continuent de pouvoir discuter de tous les problèmes : "nous trouverons les solutions dans une coopération constructive, quitte à avoir des mots un peu vifs", affirme-t-il ainsi.

De fait, il existe un fossé entre les 17 de la zone euro et les 10 Etats membres qui ont encore leur propre monnaie et il y a aussi un fossé entre les membres de l’Espace Schengen et les autres pays, répond Jean Asselborn lorsque les deux journalistes l’interpellent sur les divisions apparues avec la crise au sein de l’UE. Le ministre luxembourgeois souligne cependant aussi qu’il est prévu dans les traités que tous les Etats membres utiliseront un jour la même monnaie. La tension entre solidarité et coopération d’une part et défense des intérêts nationaux d’autre part est aussi vieille que l’UE elle-même, temporise encore Jean Asselborn en insistant cependant sur le fait que l’enjeu est actuellement de mettre en œuvre les dispositions du traité de Lisbonne en matière de processus décisionnels au niveau communautaire. Et c’est bien un point qu’il observe avec inquiétude, puisqu’il constate une tendance à s’éloigner de la méthode communautaire pour aller vers plus de décisions intergouvernementales. "Il faut agir contre cette tendance", affirme Jean Asselborn, qui appelle à "élargir d’urgence les compétences de la Commission aux domaines politiques dans lesquels une action selon la méthode communautaire apporterait les meilleures solutions, surtout si nous voulons avoir un jour une Union qui parle d’une seule voix".

Pour Jean Asselborn, "le prix de la défense des intérêts nationaux, c’est la solidarité"

Pour ce qui est du "gouvernement économique", Jean Asselborn précise aux journalistes que les négociations portant sur les compétences et les fonctions ne sont pas encore achevées. "Bien qu’on ait pu avoir en effet l’impression ces derniers jours que le Parlement européen et la Commission pourraient être marginalisés, je suis fermement convaincu que cela n’arrivera pas, d’autant plus qu’en fin de compte, le traité intergouvernemental doit être intégré aux traités européens", affirme Jean Asselborn qui rappelle que l’équilibre institutionnel entre Commission, Parlement et Conseil doit être garanti.

Faut-il copier le modèle allemand ? A cette question, Jean Asselborn rétorque que le modèle à suivre, c’est l’UE, et qu’un certain nombre d’Etats membres doivent d’ailleurs mener de profondes réformes afin d’éviter que ne puissent advenir des crises d’une ampleur comparable à celle d’aujourd’hui.

Interrogé sur l’attitude de la Grande-Bretagne, Jean Asselborn rappelle que ce pays a, historiquement, toujours eu une relation particulière au continent européen. Cela fait longtemps, observe Jean Asselborn que la Grande Bretagne et l’UE ont une relation plutôt froide. "Les Britanniques sont plus soucieux que d’autres d’avoir une forte influence sur les processus décisionnels européens, surtout dans les cas où leurs intérêts nationaux sont concernés", explique le ministre. Or, pour Jean Asselborn, "le prix de la défense des intérêts nationaux, c’est la solidarité". A ses yeux, les Britanniques ont donc "manœuvré dans une impasse". Il s’inquiète de l’évolution des relations entre Royaume-Uni et UE. Et pourtant, souligne-t-il, le Royaume-Uni est un membre indispensable pour l’UE, tout comme le pays a besoin de l’UE. "Il est grand temps que certains membres du gouvernement britannique en prennent conscience", prévient Jean Asselborn, qui met en garde contre les risques qu’ils font encourir à la relation de leur pays avec l’UE, avec les conséquences imprévisibles qu’ils pourraient avoir.

"On ne doit pas étrangler l’économie européenne, mais au contraire tenter de favoriser la croissance", juge Jean Asselborn qui plaide pour une mise en œuvre rapide du semestre européen, du six-pack et du pacte euro plus

Pour ce qui est des difficultés des gouvernements à convaincre les populations de la nécessité de la solidarité, Jean Asselborn l’explique surtout par un manque de temps pour expliquer de façon adéquate à l’opinion publique toute la complexité de la crise et les mesures prises pour y faire face. A ses yeux, la politique doit mener une véritable course contre la montre : il s’agit en effet de courir d’un sommet de crise à l’autre, et ce en étant quasiment à chaque fois accompagné par des nouvelles chocs, qu’elles fassent suite aux fluctuations des marchés ou aux décisions des agences de notation. Au sujet de ces dernières, Jean Asselborn est d’ailleurs sans appel : "le rôle des agences de notation dans le cadre de la crise de la dette est, d’un point de vue européen, destructeur". En effet, souligne le ministre, depuis le début de la crise, les 27 pays de l’UE ont déjà beaucoup fait pour renforcer la solidarité. De plus, constate le ministre, la politique a le courage de continuer de renforcer la solidarité mutuelle au sein de l’UE, de faire avancer l’intégration et de justifier ce processus auprès de l’opinion publique. Mais, prévient Jean Asselborn, qui rappelle que l’UE compte 27 millions de chômeurs en ce moment, le succès dépendra de notre capacité à créer et à assurer la croissance, c’est-à-dire des emplois.

Lorsque Johanna Lutz et Michael Miebach l’interrogent sur le choix de l’austérité en Europe, Jean Asselborn répond que, de son point de vue, "trop de mesures d’austérité vont, à la longue, nuire à l’UE". "On ne doit pas étrangler l’économie européenne, mais au contraire tenter de favoriser la croissance", plaide le ministre luxembourgeois qui appelle de ses vœux, non de nouveaux programmes d’austérité, mais des améliorations structurelles des mécanismes de décision au sein de l’UE, ainsi qu’une meilleure coordination des politiques économiques. En bref, Jean Asselborn insiste pour que soient mises en œuvre les décisions prises, comme le semestre européen, le six-pack ou encore le pacte euro plus.