Les tests de sécurité menés à l’initiative de l’Union européenne après la catastrophe de Fukushima à la centrale de nucléaire de Cattenom, comme dans tant d’autres centrales nucléaires en Europe, ont révélé tant de défauts techniques et matériels et ont éludé tant d’aspects importants pour les pays voisins et la sécurité de leurs populations que les gouvernements du Luxembourg, de Rhénanie-Palatinat et de la Sarre demandent l’arrêt provisoire de la centrale nucléaire de Cattenom.
Faute de pouvoir l’arrêter définitivement – le gouvernement français, souverain en la matière, veut que la centrale fonctionne encore 40 ans - une nouvelle inspection devrait être menée sur les aspects éludés qui devraient être palliés dans les meilleurs délais, et non sur le long terme comme l’envisagent les autorités françaises. Et pour discuter de ces questions, les trois gouvernements demandent la tenue d’un sommet de la Grande Région sur Cattenom auxquels participeraient aussi EDF, qui exploite la centrale, et l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire française.
Ce sont là les conclusions politiques qui ont été tirées le 5 mars 2012 lors d’une conférence de presse donnée à Schengen par Mars Di Bartolomeo, ministre luxembourgeois de la Santé, Eveline Lemke, ministre de l’Economie, de la Protection climatique, de l’Energie et de l’Aménagement du territoire de la Rhénanie-Palatinat et Andreas Storm, chef de la chancellerie et ministre des Affaires fédérales de la Sarre. Les trois ministres s’étaient réunis pour évaluer le rapport final du groupe d’experts dirigé pour le compte des trois gouvernements par Dieter Majer sur les tests de sécurité menés à Cattenom.
Lors de la conférence de presse, Mars Di Bartolomeo a rappelé que la catastrophe de Fukushima, il y a bientôt de cela un an, avait montré que ce genre de catastrophe peut avoir lieu dans un pays hautement développé, et que "l’énergie nucléaire n’est pas sûre à 100 %".
Le Luxembourg, a rappelé le ministre socialiste, a refusé de recourir à l’énergie nucléaire en 1977 avec la construction d’une centrale à Remerschen. Le Grand-Duché a aussi critiqué la construction de Cattenom à ses frontières et critique aujourd’hui que la durée de vie de la centrale soit prolongée. En bref, le Luxembourg voudrait la voir arrêtée "plutôt hier qu’aujourd’hui".
Pour le ministre, les tests de sécurité ont néanmoins l’avantage d’avoir été menés, et ce à l’initiative de l’Union européenne, qui s’est immiscée dans des affaires qui sont normalement du ressort des Etats nationaux. Et dans l’Union, a-t-il souligné, onze Etats membres n’ont pas de centrale nucléaire. "Avec les tests de sécurité, nous avons mis un pied dans la porte, et ce n’est qu’un début" pour un débat plus approfondi sur les questions de sécurité liées au nucléaire. Les tests de sécurité ne changent certes rien à l’attitude négative et largement consensuelle du Luxembourg à l’égard de l’énergie nucléaire, pense le ministre. Mais il faudra maintenant évaluer de manière critique le rapport du groupe d’experts et exiger des partenaires français que tous les défauts qu’ils ont eux-mêmes mis en évidence soient réparés et que les défauts mis en évidence par le groupe de Dieter Majer soient eux aussi abordés.
Il s’agit entre autres des conséquences d’un dommage causé à l’enveloppe des réacteurs par une éventuelle chute d’avion, mais aussi des plans d’urgence pour la population, un élément qui devrait être, selon Mars Di Bartolomeo, d’autant plus « une priorité absolue » que toute catastrophe nucléaire à Cattenom mettrait en cause l’intégrité de la quasi-totalité du territoire du Grand-Duché.
D’autres éléments avancés par le groupe d’experts sont par contre entrés dans les considérations de l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN) française. C’est le cas par exemple d’une meilleure protection des postes de direction de la centrale contre la radioactivité, d’une protection améliorée contre les inondations, d’une amélioration de certains dispositifs de sécurité face à l’éventualité d’un tremblement de terre, ainsi que le constat qu’il faudra encore travailler sur la question des effets possibles d’une chute de pluie ou de neige sur le ravitaillement en courant électrique.
Une autre note d’optimisme de la part de Mars Di Bartolomeo : pour lui, Fukushima n’a pas été sans effet sur l’opinion publique française qui se pose depuis lors plus de questions sur la sécurité des centrales et le coût de l’énergie nucléaire. Les ONG sont autrement écoutées, et un débat se développe à la faveur des présidentielles et des éventuels reports de voix vers tel ou tel candidat en fonction de son discours sur le nucléaire.
Eveline Lemke, la ministre des Verts de la Rhénanie-Palatinat, a critiqué de son côté les délais trop longs envisagés par les exploitants français, en l’occurrence EDF, pour pallier les défauts constatés. Mais elle a remercié la France pour avoir accepté que les experts du Luxembourg, de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre aient accès aux documents et aux installations pour évaluer les choses par eux-mêmes. Elle juge le rapport de l’ASN française "techniquement excellent du point de vue du savoir-faire des ingénieurs", mais il faudra y travailler ensemble, d‘autant plus que le groupe de Dieter Majer juge l’état de la centrale "très insuffisant" du point de vue de la sécurité.
Mais pour l’instant, la France ne songe pas à fermer provisoirement la centrale, et il n’est pas possible de la forcer. C’est pourquoi Eveline Lemke pense qu’il faudra faire "ce qui est démocratiquement possible", c’est-à-dire développer une expertise propre, comme avec le rapport Majer, et puis faire remonter les informations et évaluations du groupe d’experts à tous les niveaux nécessaires, comme le gouvernement fédéral allemand, mais aussi la Commission européenne, à l’origine des tests de sécurité menés partout dans l’UE après Fukushima.
Finalement, Eveline Lemke pense qu’il faudrait montrer de manière vivante aux citoyens français ce qu’est concrètement la "Energiewende" qui s’opère en Allemagne, cette sortie du nucléaire et le changement de paradigme énergétique. La ministre des Verts a aussi souligné que tout le débat autour du nucléaire et de l’énergie en Europe montrait bien que ces changements en cours ont posé des questions de pouvoir, que l’enjeu est le pouvoir sur le marché européen de l’énergie, et que les exploitants des énergies traditionnelles, dont le nucléaire, résistent aux changements et font barrage à ceux qui misent maintenant sur des énergies nouvelles et renouvelables.
Pour le ministre démocrate-chrétien sarrois, Andreas Storm, la désignation du groupe d’experts autour de Dieter Majer est "la preuve de la bonne coopération dans la Grande Région", et ses remerciements sont aussi allés au gouvernement français. Les positions de Dieter Majer sont en partie entrées dans le rapport français, et lui-même fait des propositions. La meilleure solution pour la Sarre, ce serait d’arrêter Cattenom définitivement, mais comme la France ne peut pas accéder à une telle demande, il faudrait au moins l’arrêter provisoirement, conduire de nouveaux tests de sécurité et relancer la centrale seulement quand tous les problèmes découverts auront été résolus.
Mais, a-t-il insisté, ce n’est qu’avec l’assentiment de la France qu’une solution pourra être trouvée. D’où la nécessité d’un sommet spécial de la Grande Région sur Cattenom, notamment pour que la France soit convaincue de revenir sur l’idée de prolonger de 40 ans la durée de vie de la centrale de Cattenom, une idée qu’Andreas Storm ne juge pas opportune dans une Union européenne guidée par la logique du rapprochement entre Etats membres. Avec des lettres adressées à Berlin et Paris de la part de la ministre-présidente Annegret Kramp-Karrenbauer, une démarche dans ce sens a d’ores et déjà été entamée par le gouvernement sarrois, avec l’appui du Landtag.
Les trois ministres étaient aussi d’accord pour regretter qu’il n’y ait pas encore de règlementation au niveau de l’Union sur l’installation de grandes centrales énergétiques près des frontières d’autres Etats membres, et que ce serait là une prochaine étape, afin que dans l’Union, tout choix d’un site ne se fasse qu’en tenant compte du pays voisin.