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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Festival des migrations – Des représentants espagnol, luxembourgeois et portugais du parti de la Gauche européenne ont plaidé pour un changement des politiques européennes dans le contexte de la crise
17-03-2012


Dans le cadre du 29e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté organisé par le Comité de liaison des associations d'étrangers (CLAE), Déi Lénk ont organisé dans la soirée du 17 mars 2012 une conférence-débat qui avait pour titre "Les Portugais et les Espagnols dans le piège de l'austérité".

Partant du constat que "les pays du Sud de l’Europe sont confrontés à des politiques d’austérité extrêmement brutales" caractérisées par "des pertes du pouvoir d’achat, un démantèlement des acquis sociaux et une dégradation des conditions de travail", la conférence entendait s’articuler autour de trois questions : Quel est l’état des résistances sociales dans ces pays ? Quelles alternatives la gauche de gauche propose-t-elle face à une crise sociale qui ne cesse de s’aggraver ? Quelle attitude adopte-t-elle face à la dette publique ?

Autant de questions auxquelles étaient invités à répondre Fabienne Lentz, membre de la Coordination nationale de déi Lénk qui représente son parti au sein du bureau exécutif du Parti de la Gauche Européenne, Maite Mola, responsable pour la politique internationale au Parti communiste d’Espagne, membre de la direction d’Izquierda Unida et vice-présidente du parti de la Gauche Européenne et l’eurodéputé portugais Miguel Portas, membre du bureau national du Bloco de Esquerda et membre du Conseil des présidents du parti de la Gauche Européen03-17-clae-lenk-affichene.

Au Luxembourg aussi, on mène des politiques d’austérité, a souligné Fabienne Lentz

"A la base, la crise de la dette était une crise de la dette privée", a commencé Fabienne Lentz qui souligne que les politiques d’austérité menées partout en Europe le sont pourtant au nom de la crise de la dette publique.

Fabienne Lentz a ébauché en guise d’introduction au débat un rapide portrait de la situation au Luxembourg, qui en comparaison avec l’Espagne et le Portugal, est certes bien meilleure. Mais, a-t-elle souligné, au Luxembourg aussi, on mène des politiques d’austérité : l’indexation des salaires est ainsi remise en cause de façon structurelle puisqu’il s’agit de modifier le panier qui sert au calcul des tranches indiciaires, la réforme des pensions s’inscrit elle aussi dans une même logique européenne qui vise à reculer l’âge de départ à la retraite.

Par ailleurs, dans le pays d’immigration qu’est le Luxembourg, le contexte de la crise ouvre certaines barrières en termes de xénophobie, a soulevé Fabienne Lentz, comme en écho à la table-ronde qui s’était tenue au Festival quelques heures à peine auparavant. La question des migrations et de l’asile doit être abordée dans le contexte de la crise, a lancé la jeune militante qui a cité un rapport de l’OCDE qui fait état d’un "racisme latent au Luxembourg". Elle cite pour exemples la réduction des allocations des demandeurs d’asile, qui témoigne selon elle d’une forme de "racisme institutionnel", mais aussi la "stigmatisation des demandeurs d’asile" qu’a opérée le ministre Nicolas Schmit lorsqu’il a parlé de "tourisme d’asile". Autant de réflexes exacerbés en temps de crise.

Le Parti de la Gauche européenne entend lancer une initiative citoyenne appelant à créer un fonds européen de développement social et solidaire

"Comment faire face à une situation si terrible ?", s’est interrogée Maite Mola en jugeant que "ce n’est pas le moment de la mélancolie, mais de la lutte".

Maite Mola et Fabienne Lentz lors d'un débat organisé par Déi Lénk dans le cadre du Festival des Migrations le 17 mars 2012En Espagne, 5,5 millions de personnes sont concernées par le chômage, soit 22 % de la population active et plus de 40 % pour les jeunes, qui représentent pourtant la génération la plus qualifié de toute l’histoire espagnole. A ce noir tableau, la représentante communiste ajoute les difficultés que rencontrent les femmes avec la remise en question par le parti populaire des efforts menés précédemment sur le terrain de l’avortement et de la lutte contre la violence faite aux femmes.

Maite Mola observe l’émergence de mouvements importants pour dénoncer cette situation. "Il y a un an, l’Espagne était un pays mort", raconte-t-elle en effet, expliquant qu’alors les syndicats ne bougeaient pas quand le gouvernement socialiste était en train de détruire tout ce qui avait été construit après la fin de la dictature. Mais depuis, se réjouit-elle, le pays a commencé à bouger, les gens sont descendus dans la rue et, de ce point de vue, la situation est à ses yeux meilleure qu’on ne le pense. Certes, la droite a gagné les élections, ce que Maite Mola explique tout simplement du fait qu’à avoir une politique de droite, autant qu’elle soit menée par la droite, plutôt que par les socialistes… La Gauche a eu de très bons résultats lors de ces élections, souligne-t-elle aussi, citant le chiffre de 1,7 millions de votes quand le parti n’en attendait que 900 000.

"Nous devons être optimistes", en conclut la représentante communiste puisque "nous sommes en train de lutter en Europe pour ne pas accepter la fin de la démocratie calculée par l’impérialisme financier les gouvernements de technocrates". Dans ce contexte, le Parti de la Gauche européenne, qui ne veut pas faire la révolution, essaie de faire bouger les choses en Europe lutte contre les traités récemment signés, la règle d’or et l’Europe de la gouvernance, a rapidement cité Maite Mola. Les alternatives communes qui sont proposées sont les 35 heures, le soutien au secteur industriel, la défense du secteur public, ainsi qu’une banque publique.

Le Parti est d’ailleurs d’ores et déjà en train de préparer une initiative citoyenne européenne qui appelle à la création d’un Fonds européen de développement social et solidaire qui remplacerait l’actuel EFSF. Conçu comme une sorte de banque publique destinée à faciliter les investissements publics en faveur du développement social et écologique, de la promotion des services publics et d’une croissance économique saine, ce fonds serait financé par le produit d’une taxe sur les transactions financières (TTF), par une contribution du budget communautaire et il aurait la possibilité d’emprunter auprès de la BCE à des taux très bas.

"Le Portugal ne peut pas s’en sortir avec ces politiques européennes, mais le Portugal ne peut pas non plus s’en sortir sans l’Europe", affiche pour credo l’eurodéputé Miguel Portas qui plaide pour un changement des politiques européennes

L’eurodéputé Miguel Portas a commencé son intervention par un rappel : les mots, souvent cités au Luxembourg ces dernières semaines, du Premier ministre portugais invitant les jeunes Portugais à émigrer. Au cours des deux dernières années, et notamment des six derniers mois, les Portugais arrivent à nouveau par milliers en France, au Luxembourg, mais ce n’est pas par choix, c’est pour une commune fatalité, une obligation, car, selon les termes de l’eurodéputé, "le Premier ministre s’est désisté de son propre pays".

Ce qu’on entend, c’est que le Portugal a vécu au-dessus de ses moyens, a déploré Miguel Portas qui s’est attaché à démontrer le contraire, chiffres et tableaux à l’appui. Ainsi, l’endettement du Portugal a commencé à monter en 2001, moment du passage à l’euro, et la hausse s’est ensuite accentuée à un autre moment critique, à savoir en 2008, année de la crise financière internationale. Miguel Portas a ensuite présenté un tableau comparatif des dettes publiques de différents pays de l’UE. Grèce et Italie y affichent pour constante une dette dépassant les 60 % du PIB de rigueur, 2008 marquant une hausse des dettes grecques et irlandaises liées à l’explosion de bulles spéculatives. Mais, Miguel Portas a surtout souligné que Portugal et Allemagne affichent peu ou prou la même courbe pour ce qui est de l’évolution de leur dette publique…L'eurodéputé Miguel Portas au Fesitval des Migrations le 17 mars 2012, à l'occasion d'un débat organisé par Déi Lénk

Se penchant ensuite sur le déficit public, Miguel Portas observe que le Portugal respectait les règles jusqu’en 2008, année marquée par la crise et la récession, où il a brutalement augmenté. Si on enlève le service de la dette, glisse encore l’eurodéputé, le déficit portugais ne serait pas si problématique… Au vu de l’évolution des taux d’intérêts payés par le Portugal, le service de la dette a commencé à devenir problématique en 2010 seulement, note Miguel Portas qui relève qu’en 2012, le service de la dette atteindra 8 milliards d’euros. Or, ajoute l’eurodéputé de la gauche, le programme d’austérité prévoit pour 2012 d’économiser environ 9 milliards d’euros via une hausse de la TVA, c’est-à-dire une coupe du pouvoir d’achat, une hausse des impôts, une réduction des investissements publics en matière de santé, d’éducation, de sciences, et même une coupe des salaires et des pensions. Toutes ces mesures vont donc servir à payer les intérêts de la dette, observe l’eurodéputé, qui voit là "une tragédie".

Quant au programme d’aide accordé par le FMI, la Commission et la BCE, qui porte sur 78 milliards d’euros, il va coûter 34 milliards d’euros, s’indigne Miguel Portas. "Cet emprunt va augmenter la dette à venir", dénonce-t-il, craignant que le pire ne soit à venir dans la mesure où il va falloir commencer à rembourser cet emprunt en 2016. "En 2016, nous allons devoir payer 20 milliards d’euros, puis plus de 20 milliards en 2022", calcule-t-il, soulignant que cet emprunt et la dette existante ne sauraient être remboursés sans croissance. "Mais le modèle économique de la troïka consiste à couper la consommation privée et la consommation publique", accuse Miguel Portas qui relève que la croissance ne dépend donc que de la capacité d’exportation du Portugal, dont le premier pays d’exportation est l’Espagne voisine, elle-même très affectée par la crise, tandis que 80 % de ses exportations se font dans l’UE, qui entrent en récession… "Ce modèle conduit au chaos", en tire comme conclusion l’eurodéputé. Il cite aussi les perspectives du FMI qui, en tablant sur 5 % de croissance d’ici 2016, un scénario optimiste, montrent cependant que le problème de la dette va empirer.

"Le Portugal ne peut pas s’en sortir avec ces politiques européennes, mais le Portugal ne peut pas non plus s’en sortir sans l’Europe", affiche pour credo Miguel Portas qui plaide donc pour un changement des politiques européennes. Observant les chiffres de croissance accumulée sur dix ans, Miguel Portas relève que le Portugal a mené, comme l’Allemagne, une politique de contention salariale dans l’objectif d’acquérir des avantages sur d’autre pays d’Europe. Se penchant sur le problème du chômage des jeunes, abordé fin janvier par les chefs d’Etat et de gouvernement, Miguel Portas a évoqué une enquête menée auprès des PME de l’UE qui montre que ces dernières ont pour principaux problèmes l’absence de clients et l’accès aux financements, la question des salaires n’arrivant qu’en cinquième position dans leurs préoccupations. Dans les années 1980’, Espagne et Portugal se sont lancés dans l’aventure européenne, convaincus que l’UE était une bonne chose et permettrait de voir s’améliorer les niveaux de vie. L’Allemagne, elle, qui était en déficit commercial jusqu’en 2001, a vu les choses changer du tout au tout avec le passage à l’euro, tandis que tous les autres pays ont commencé à avoir des problèmes avec un Euro trop cher. Résultat, avance Miguel Portas, quatre pays sont gagnants, et vingt autres sont perdants dans l’UE.

Les réponses qu’il propose, c’est donc d’investir pour la création d’emplois, de ne plus prendre en compte les investissements publics dans le calcul du déficit public, de défendre les salaires, mais aussi de donner à la BCE la possibilité de prêter aux Etats membres à des conditions au moins aussi favorables que celles accordées aux banques privées lors des deux grandes opérations de décembre 2011 et mars 2012. "L’Europe a toujours de l’argent pour ceux qui veulent continuer leurs spéculations", relève Miguel Portas qui juge toujours plus urgent un changement de ces politiques européennes.

Au cours de la discussion qui a suivie, Miguel Portas a noté que le cadre de la lutte sociale était en train de changer. En effet, le discours officiel de l’UE qui a eu tendance à présenter les pays du Nord de l’UE comme "organisés et travailleurs", tandis que ceux du Sud apparaissaient "corrompus et fainéants", avait été intégré par les opinions publiques des pays les plus riches. Mais, au fur et à mesure que ces pays sont eux aussi touchés par des mesures d’austérité, Miguel Portas se réjouit de voir qu’une "convergence d’intérêt se fait sentir".

Autre signal relevé par Miguel Portas, le fait qu’une mesure qu’il avait proposée il y a un an en commission ECON au Parlement européen, et qui consistait à exclure les dettes souveraines du champ de notation des agences car elles ne sont pas un produit financier comme les autres, est revenue sur la table quelques mois après, proposée par la Commission elle-même. Si l’Allemagne s’y oppose, les discussions se poursuivent cependant pour savoir s’il ne conviendrait pas d’appliquer une telle mesure pour certains pays en difficulté. De même, le dossier difficile de la taxe sur les transactions financières avance au Parlement européen, tandis que sur les obligations européennes, la bataille politique a changé, rapporte Miguel Portas.

La méthode proposée par Miguel Portas, c’est de conclure des accords sur des contenus très concrets, quand Maite Mola plaide pour mener une lutte idéologique en Europe, une lutte qui a été perdue et qu’il faut reconstruire.

"Nous ne défendons pas la sortie de nos pays de la zone euro, même s’il existe de bons arguments économiques allant dans ce sens", a précisé Miguel Portas en réponse à une question venue du public. Ce qui est craint en revanche, c’est un risque de fragmentation de la zone euro. "Nous sommes kidnappés, tant dans l’euro qu’en dehors de l’euro, et notre option, c’est de changer la politique de l’euro", a résumé l’eurodéputé portugais.