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Migration et asile - Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Un débat sur la migration interne dans l’UE à la Chambre a révélé les divergences économiques entre pays et ses conséquences en pleine crise
10-05-2012


www.chd.luLe 10 mai 2012 a eu lieu à la Chambre des députés une heure d'actualité demandée par le groupe politique DP sur les nouvelles migrations internes en Europe suite à la crise économique qui devait aussi examiner leurs répercussions sur le Luxembourg.

André Bauler : pour une politique d’immigration qui permette aux citoyens de l’UE de "migrer les yeux ouverts et en connaissance de cause"

Ce fut le député libéral André Bauler qui prit la parole au nom de son groupe. Partant de la crise financière, il a dressé le constat qu’elle renforce les disparités des développements économiques et sociaux entre Etats membres, notamment entre les Etats du Sud et du Nord de l’Europe. Un pays qui intéresse particulièrement le Luxembourg, le Portugal, est en récession, alors que l’UE en général connaît une légère croissance. Le chômage touche la moitié ou un tiers des jeunes dans les pays en crise. Toute une génération doit envisager son  futur, ce qui crée d’inéluctables tensions sociales. Les uns manifestent, d’autres quittent leur pays. André Bauler a cité le commissaire européen Laszlo Andor qui a parlé d’une génération perdue, mais qui a aussi mis en garde contre le danger du "brain drain", de l’évasion des cerveaux vers les USA et le Canada.

Faisant allusion à la table-ronde du CLAE en février 2012 sur les problèmes liés à la migration de citoyens d’Etats membres de l’UE en crise vers le Luxembourg, il souligne qu'il a été question de plus de 10 000 nouveaux arrivants, 30 % de plus que les années précédentes. A ce sujet, André Bauler a demandé que plus de chiffres et de données socio-économiques soient livrés sur ces migrants, comme le fait de savoir s’ils sont venus avec un contrat de travail en poche ou non, si ces personnes sont qualifiées ou pas.

Pour André Bauler, la décision d’émigrer est souvent une décision prise en désespoir de cause pour se construire une meilleure vie autre part, mais cela arrive de moins en moins souvent. Conséquence : des communes sont confrontées à de nouveaux cas de précarité sociale de migrants de l’UE qui ne trouvent pas de travail. Ils ne disposent plus de protection sociale, et ils commencent à travailler sur des chantiers "pour des broutilles" et dorment dans les camionnettes. Il ne faut pas pour autant se fermer à cette immigration, pense le député. L’ADEM a annoncé que nombre d’emplois non-qualifiés demeurent inoccupés - André Bauler a cité le chiffre de 3000 - ce qui veut dire que des services ne sont pas livrés, des impôts ne sont pas générés. Le Luxembourg a besoin de forces de travail qualifiées et non-qualifiées selon  les secteurs. Et sur cette dimension, André Bauler a voulu en savoir plus de la part du gouvernement.

Pour le député libéral, le Luxembourg doit mener une politique d’immigration claire, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit asociale. Elle doit être menée dans l’intérêt du pays, des entreprises et des salariés. Elle permettrait, et là il a cité Jean Lichtfous de l’ASTI, de "migrer les yeux ouverts et en connaissance de cause". Car pour le député, il n’est pas dans l’intérêt du migrant de venir au Luxembourg avec de faux espoirs. Une politique d’immigration dirigée éviterait aux migrants la précarité et les ruptures biographiques tout en profitant à l’Etat. Dans ce contexte, il a rappelé la loi de 2008 qui a transposé différentes directives européennes et demandé au ministre de l’Immigration, Nicolas Schmit, si le gouvernement irait prendre d’autres mesures. Il a fini par suggérer que le gouvernement informe par un site Internet polyglotte sur les besoins et les points de saturations existant dans chaque secteur du marché du travail luxembourgeois, car ce serait une mauvaise solution que de laisser courir les choses.

Marc Lies : une approche pragmatique pour protéger l’Etat contre le "tourisme social et les profiteurs"

Marc Lies du CSV a adopté selon ses propres mots "une approche plus pragmatique". La crise qui affecte les Etats membres de l’UE conduit de nombreuses personnes à prendre la décision d’émigrer. Le Luxembourg est devenu un des pays-cible de ce nouveau mouvement à l’intérieur de l’UE. Cela place le pays devant de grands défis. La pression sur le logement est forte. La  pénurie menace. Les chambres de café sont devenus un pis-aller dont certains profitent grandement, comme le font savoir les communes. S’y ajoute le risque d’abus en ce qui concerne certains transferts sociaux, comme les allocations familiales envoyées à des adresses fictives. La pratique de contrats de travail à court terme prend de l’ampleur. Les personnes concernées se retrouvent au chômage et c’est l’Etat qui doit payer. L’ADEM doit réagir avec des contrôles à ces abus et les communes devraient aussi effecteur plus de  contrôles pour voir si les enregistrements de citoyens de l’UE sur leur territoire correspond à la réalité. Ici, le projet de loi 6330 qui trait de l'identification des personnes physiques, du registre national des personnes physiques, de la carte d'identité et des registres communaux des personnes physiques devrait donner une meilleure base légale de contrôle aux communes. Il ne s’agit pas de monter de nouvelles barrières administratives, s’est défendu Marc Lies, mais de protéger l’Etat contre le "tourisme social et les profiteurs".

Lydia Mutsch : ces personnes recourent à une liberté fondamentale de l’UE, la libre circulation des personnes et des travailleurs et il s’agit donc d’abord d’une question européenne

Lydia Mutsch, députée-maire socialiste d’Esch-sur-Alzette voit dans le mouvement migratoire auquel le Luxembourg est confronté les conséquences d’une crise "qui ne nous lâcheront pas de sitôt". Les conséquences sociales de la crise deviennent de plus en plus visibles. Le chômage des jeunes,  22 % dans l’UE, 50 % en Grèce et en Espagne, un tiers des jeunes touchés au Portugal, les salaires sous pression, les salaires minimum surtout sous pression, la misère sociale, voilà ce qui déclenche selon elle les mouvements migratoires vers l’Europe du Nord, et donc aussi Luxembourg.

Mais, insiste-elle, ces personnes recourent à un droit établi, une liberté fondamentale de l’UE, la libre circulation des personnes et des travailleurs, dont  le Luxembourg a profité largement. Il s’agit donc d’abord d’une question européenne, et les Etats membres ne peuvent pas prendre des décisions unilatérales, en faisant cavalier seul.

De nombreux travailleurs portugais quittent le pays directement avec toute leur famille, et ce avec de grandes attentes. Mais, remarque Lydia Mutsch, "des problèmes de ce genre, nous n’en avons pas connus avant". Certains obtiennent des contrats à court terme, mais ceux-ci ne sont pas prolongés, et dès lors, ces personnes sont plongées dans le désespoir, car toutes les portes se ferment. Si elles ne reçoivent pas notre aide, elles tombent dans la déchéance complète, ils sont sans protection sociale, la précarité vient, et certains n’ont même plus de domicile fixe. A Luxembourg et à Esch, qui ont des infrastructures d’accueil pour les sans-abri, jamais le nombre de personnes privées d’un toit a augmenté de façon si rapide.

Les personnes qui migrent vers le Luxembourg devraient savoir sur quoi elles s’engagent. Il faudrait donc encore plus de coopération entre les acteurs concernés : les autorités gouvernementales, les communes, les organisations des étrangers, les syndicats, les consulats et ambassades concernées. Aussi faudrait-il réagir à la prolifération des contrats de travail à court terme, empêcher le dumping salarial et contrôler les nouvelles pratiques. Il faut surtout des réponses sur le plan européen.

Finalement, Lydia Mutsch pense qu’en termes de chômage, il n’y a pas de raison de tomber dans le catastrophisme, car les personnes qui viennent trouveront au bout du compte un emploi plus durable. Sur cette question d’immigration, la députée pense que "nous devons rester positifs et ne pas laisser les extrémistes et les profiteurs occuper le devant de la scène".

Félix Braz dédramatise : Nul besoin de légiférer, il suffit d’appliquer les lois en vigueur

Féix Braz a d’emblée exprimé l’espoir que l’UE prendra un chemin différent et autre que celui de la seule austérité après les élections françaises. Pour lui, il ne suffit pas d’invoquer les nouveaux arrivants, mais aussi d’inclure ceux qui quittent le Luxembourg. 10 000 sont arrivés en 2011, mais 6 000 sont aussi partis, et le solde migratoire est de 4 000, ce qui donne "une image plus réaliste du problème". Nul besoin donc de légiférer, il suffit d’appliquer les lois en vigueur. Sinon ceux qui en souffriront seront les migrants qui viennent au Luxembourg avec des espoirs et fausses illusions. Pour Félix Braz, il faut travailler dans les pays d’origine, informer là-bas, et ensuite il revient aux communes de faire leur travail. Et quant aux chantiers et autres abus, il faut plus de contrôles et de sanctions de la part de l’Inspection du travail et des mines et du Centre commun des Assurances sociales pour remonter aux profiteurs. Dans ce sens, les Verts soutiendront le travail d’information du gouvernement.

Jacques-Yves Henckes de l’ADR a souligné dans son intervention la fascination qu’exerce sur un travailleur portugais le salaire minimum luxembourgeois, qui est quatre fois plus élevé que le salaire minimum de son pays.

Serge Urbany : à l’origine du nouveau phénomène de migration la politique européenne de concurrence libre et non faussée

Serge Urbany (Déi Lénk) a plus insisté sur ce qui est pour lui la cause du nouveau phénomène de migration: la politique européenne de concurrence libre et non faussée qui conduit au dumping fiscal dans les Etats membres, les prive de ressources, et provoque d’autre part des bulles de crédits privés. Les banques sont alors en difficulté, elles doivent être soutenues, et pour ce faire, l’on pratique des coupes dans les budgets sociaux et les crédits d’investissement. Cela conduit de nouveau à la récession – il a cité l’exemple des mesures de consolidation luxembourgeoises qui coûteront un demi-point en termes de PIB au pays selon les dernières prévisions du Statec. Dans les pays les plus touchés, on décide donc d’émigrer. Le député de la Gauche a exprimé l’espoir que les changements en France, mais aussi en Grèce "où la gauche est devenue une importante force de résistance" -  conduira à des  changements. Encore faudra-t-il savoir ce qu’il en sera du pacte de croissance prôné ici et là : sera-t-il basé sur l’offre, avec son cortège de réductions de salaires, ou sur la demande, avec une politique d’investissements publics et une politique fiscale juste ?

Pour Nicolas Schmit, si l’on veut endiguer la migration interne dans l’UE due à la pauvreté,  "nous ne pouvons pas continuer avec la politique actuelle dans l’UE qui produit de la récession et du chômage"

Ce fut ensuite au tour du ministre du Travail et de l’Immigration, Nicolas Schmit, de répondre aux députés et d’exposer ses vues. Il a cité James Galbraith qui a très récemment parlé en Allemagne de "l’explosion de l’inégalité" qui menace l’Europe. C’est un fait pour le ministre qu’il y a plus de chômage et plus d’émigration qui est due à la pauvreté. Le chômage des jeunes est devenu si important qu’émigrer, c’est souvent le dernier espoir auquel on se raccroche pour gagner et construire sa vie.

A André Bauler, il a reproché de mêler, avec son idée d’une immigration dirigée, la  migration interne dans l’UE, le sujet du débat présent, et la migration en général. La migration interne est basée pour le ministre sur le principe de la libre circulation, un principe sur lequel le Luxembourg a peu d’influence. Une immigration dirigée est impossible ici, car il s’agit d’un droit à condition de trouver un travail dans un pays de l’UE, peu importe le type de contrat, et il suffit d’une promesse d’embauche pour l’inscription dans une commune. "C’est la norme dans l’UE, et ici nous ne pouvons pas être sélectifs selon les qualifications", a martelé le ministre.

Mais cela ne veut pas dire pour lui que l’on ne devrait pas mieux organiser le marché du travail dans l’UE. Il y a un instrument, l’EURES, une sorte d’ADEM européenne, "mais cela ne fonctionne pas très bien". L’aspect fondamental du problème est la citoyenneté européenne et la libre circulation des personnes et des travailleurs. Cela ne va pas sans poser certains problèmes, quand le chômage est élevé dans certains pays  et que ce sont surtout les travailleurs non-qualifiés qui sont touchés qui se mettent à migrer et arrivent dans d’autres Etats membres. Mais d’une manière ou d’une autre, les disparités économiques et sociales dans l’UE ne pourront pas plus être maitrisées si l’on arrive à maîtriser la migration interne. 4000 attestations ont été établies en 2011 pour des citoyens de l’UE, 1000 de plus qu’en 2010. Le solde migratoire de 2011 est aussi parlant. 13 000 personnes sont arrivées, 8 000 ont quitté le pays. Le solde migratoire est négatif pour les Luxembourgeois: 3 485 sont arrivés, 1 690 sont partis, soit un solde migratoire de 2149, égal à  32 % des citoyens de l’UE, qui représentent 72 % de la migration, contre 28 % pour les citoyens de pays tiers, une immigration maîtrisée, assortie d’un permis travail et d’un permis de séjour , avec comme première nation les USA, avec des personnes hautement qualifiées.

Dans ce contexte, les personnes non-qualifiées sont soumises au dumping social, avec des gens qui sont parfois seulement payés 5 euros l’heure sur des chantiers. Et là, il faut agir, pense Nicolas Schmit, qui veut introduire dès 2013 des cartes spéciales pour les gens qui travaillent sur les chantiers, surtout pour ceux qui sont en détachement, ce qui est souvent le cas. La douane, la police, l’ITM et d’autres coopéreront pour plus de contrôles sur les chantiers, car "nos lois doivent être respectées".  De même, il faudra contrôler ce qui se passe dans les logements.

Pour le ministre, le plus important, c’est le sort des enfants, car "ils sont les vrais perdants" dans cette affaire. Ils sont tirés d’un système scolaire et transplantés dans un autre où ils se sentent perdus. "Un défi énorme !", car rien qu’en 2011, ce sont 1 043 enfants qui ont dû être intégrés dans l’école fondamentale,  plusieurs centaines de plus qu’en 2010. 26 % de ces enfants sont des enfants de demandeurs d’asile, les autres des enfants de migrants de l’UE, surtout du Portugal. Il faut créer des classes spéciales pour qu’ils arrivent à faire la jonction avec le système général. Offrir quelque chose aux jeunes qui ont été tirés de l’enseignement secondaire de leur pays est encore plus difficile. Ici, on voit qu’il n’est pas possible de leur donner une bonne formation : "Nous produisons de nouveau de l’exclusion, du chômage et de l’inégalité." Le Luxembourg doit donc prendre ses responsabilités et adapter son système, au risque d’arriver au contraire de ce qu’est l’intégration, et cela concernerait des citoyens de l’UE.

Il est encore trop tôt pour s’énerver, mais il ne serait pas sage de laisser courir les choses selon le ministre. Pour lui, le risque existe que le phénomène de migration interne sape le système européen, qui vise la convergence, mais dont on voit d’abord, à travers les mouvements migratoires, "la divergence totale". C’est pour cela que Nicolas Schmit pense qu’il faut permettre aux Etats membres en crise un nouveau départ. Pour y arriver, "nous ne pouvons pas continuer avec la politique actuelle dans l’UE qui produit de la récession et du chômage, et ce chômage déclenche les migrations. Il faut  briser ce cercle vicieux, car avec de l’austérité seulement, on ne s’en sortira pas."