Le 6 juin 2012, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de laisser les taux directeurs de l’Eurosystème inchangés et de continuer à conduire les opérations principales de refinancement et les opérations de refinancement exceptionnelles aussi longtemps que nécessaire. Le taux fixe applicable sera identique à celui retenu lors de l’opération principale de refinancement en cours, qui consiste à injecter depuis le 8 décembre 2011 1000 milliards d’euros dans les banques afin que celles-ci soient de nouveau capables de se remettre au service de l’économie.
Pour Jean-Pierre Schoder, cette opération qui vise le long terme a enlevé une forte pression des banques. Elle leur a permis de financer des dettes qui venaient à échéance et d’aider les Etats à refinancer leurs emprunts. "L’effet désiré a été en partie atteint", a déclaré Jean-Pierre Schoder. L’allocation de crédits aux particuliers et aux entreprises est positive, même si la situation actuelle a mitigé la demande de crédits et que ces agents économiques sont prudents. Mais un vrai bilan ne pourra pas être établi avant la fin de l’année et dans les années qui suivront.
Un constat : La croissance économique reste faible dans la zone euro. L’incertitude pèse sur la confiance. Le PIB en volume de la zone a affiché une croissance nulle au cours du premier trimestre 2012, après avoir reculé de 0,3 % au dernier trimestre de 2011. Les indicateurs disponibles pour le deuxième trimestre de l’année 2012 vont également dans le sens d’une légère contraction de la croissance du PIB en volume.
Yves Mersch, le président de la BCL, écrit dans le bulletin : "Pour l’ensemble de l’année 2012, les projections de l’Eurosystème laissent augurer une croissance du PIB réel comprise entre -0,5 et +0,3 %. Une inflexion favorable se produirait en 2013, le PIB étant alors appelé à connaître une progression se situant entre 0 et 2 %. Ces projections sont largement inchangées par rapport aux projections effectuées en mars 2012 par les services de la BCE. Les perspectives économiques pour la zone euro sont soumises à des risques à la baisse accrus, liés en particulier à une intensification des tensions sur plusieurs marchés financiers de la zone euro et à leurs répercussions potentielles sur l’activité économique réelle de la zone. Des risques à la baisse ont également trait à la possibilité d’un nouveau renchérissement des matières premières à moyen terme."
Jean-Pierre Schoder a expliqué que le PIB réel du Luxembourg n’avait pas encore renoué avec le niveau d’avant crise, alors que ce n’est plus le cas de la Belgique et de l’Allemagne, et que la France tend à revenir au niveau d’avant 2009. L’évolution du PIB par travailleur est passée au Luxembourg d’un indice 100 en 2007 à un indice 90 en 2011, alors que la France a de nouveau légèrement rejoint cet indice, et que l’Allemagne et la Belgique sont tout près de l’atteindre. Dans son éditorial, Yves Mersch écrit sur les deux années à venir : "Selon les projections de la BCL, la croissance ne s’établirait qu’entre 0,7 et 1,3 % en 2012. Elle reprendrait quelque peu en 2013, pour s’établir autour d’un peu plus de 2 %. Au cours de ces deux années, elle demeurerait nettement inférieure à la progression habituellement observée au cours des dernières décennies." L’inflation par contre va ralentir, grâce, explique Jean-Pierre Schoder, aux mesures prises en matière de modulation de l’indexation des salaires, elles-mêmes en partie neutralisées par l’impact des prix de l’énergie.
La BCL est particulièrement critique à l’égard de l’évolution des coûts salariaux unitaires dans l’industrie luxembourgeoise, qui sont passés d’un indice 105 en 1995 à un indice 125 en 2011. Ce qui équivaut pour elle à une perte de compétitivité. Yves Mersch écrit : "En ce qui concerne la compétitivité, le simple bon sens exige que l’évolution des salaires cesse d’être déconnectée de la productivité. Cette identité a été violée au cours des quinze dernières années, comme l’indique l’envol de nos coûts salariaux unitaires par rapport à l’ensemble des autres pays de la zone euro. Le dérapage cumulé à l’égard de l’Allemagne a atteint environ 35 % de 1998 à 2011 et en prime cette considérable dérive serait encore appelée à s’accroître d’ici 2014."
Yves Mersch prône ici "une action décisive" contre ce qu’il appelle "la dérive des coûts salariaux unitaires accumulée au cours des dernières années". Il prône une dévaluation interne, qui équivaut à une baisse des salaires (à noter que de 2010 et 2012, les salaires ont, en moyenne, baissé de plus de 20 % en Grèce, de plus de 10 % au Portugal et en Irlande, et qu’en Espagne, ce recul est d'environ 6 %. Nd.l.r.), et "un effort de diversification accru, qui passe par des actions décisives en matière de formation, d’éducation et de recherche & développement".
Un autre phénomène dans la mire de la BCL est la part de l’industrie dans la valeur ajoutée, qui est passée de 13 % en 2000 à 7 % en 2010. "L’évolution a été bien moins marquée dans la zone euro – où cette même proportion est passée de 22 % à 19 % en 10 ans – et en Allemagne. La proportion de la valeur ajoutée alimentée par l’industrie a à peine diminué dans ce dernier pays, où elle est passée de 25 % de la valeur ajoutée totale en 2000 à 24 % en 2010 – soit toujours plus du triple de la part luxembourgeoise correspondante", commente Yves Mersch dans le Bulletin. Il parle de "funestes évolutions" et d’une "désindustrialisation flagrante", un phénomène déjà évoqué par la FEDIL comme par le ministre de l'Economie Etienne Schneider. Preuve en est selon lui que "la production industrielle luxembourgeoise a diminué d’environ 15 % depuis son sommet "pré-crise", contre 8,5 % pour la zone euro." Une thèse contestée par des journalistes qui ont pointé le fait que la production industrielle était passée d’un indice 65 en 1996 à un indice 85 aujourd’hui.
La BCL a aussi mis en évidence le déficit important de la balance commerciale. Le déficit de la balance des marchandises s’est accru de 33 % au cours du premier trimestre de 2012 par rapport à la période correspondante de 2011. Jean-Pierre Schoder a cependant dû admettre "qu’en 2011, il y eu des achats de satellites et d’avions qui sont des biens d’équipement qui génèrent d’autres revenus, des revenus qui se retrouvent dans d’autres tableaux".
L’évolution du secteur financier a été quant à elle mitigée, constate la BCL. "En témoigne », écrit Yves Mersch, "notamment la diminution de 11 % des résultats avant dépréciations, provisions et impôts au cours du premier trimestre de 2012 par rapport à la période correspondante de 2011, ou encore la diminution du produit bancaire enregistrée à la même période", une diminution de l’ordre de 4,7 %.
La BCL a depuis plusieurs années recours à la notion de "croissance potentielle". On lit dans le bulletin, encadré, page 70 : "Le ralentissement de la croissance observée en 2011 et les perspectives d’une croissance faible en 2012 ont contribué à une nouvelle baisse des estimations de la croissance potentielle à un niveau près de 2 %. En juin 2011 la BCL situait la croissance potentielle « dans une fourchette entre 2 % et 3 %". Mais à la lumière des nouvelles données, quatre des six méthodes d’estimation considérées dans cet encadré suggèrent que la croissance potentielle serait même inférieure à 2 % en 2012. Ceci prolonge une baisse régulière depuis le début du siècle, quand la croissance potentielle avoisinait encore 5 %. » Yves Mersch commente : "Le PIB en volume ne se serait par ailleurs accru que de 0,5 % de 2007 à 2012, soit sur une période de cinq ans. Pire encore: le PIB réel par habitant et par employé a diminué de respectivement 8 et 11 % au cours de la même période. Le Luxembourg tend donc bel et bien à s’appauvrir en termes réels, à rebours de la posture de déni parfois observée."
Le marché du travail est caractérisé par un ralentissement de la croissance de l’emploi – passant de plus de 10 % autour de 2000 à moins de 2 % en 2012 - et une hausse tendancielle du chômage, avec un chômage des jeunes élevé et une composante structurelle croissante. Les projections de la BCL de juin 2012 laissent augurer une poursuite de la hausse du chômage, fortement due à des "flux entrants", qui atteindrait 6,4 % en 2014 contre 5,7 % en 2011. Pour les salariés âgés, Yves Mersch suggère "d’agir directement sur l’offre de travail des personnes âgées de 55 à 64 ans, par exemple en faisant preuve de plus de sélectivité en ce qui concerne l’accès à la préretraite ou en encourageant le travail de ces personnes au moyen de baisses ciblées des charges sociales".
Les finances publiques sont un autre sujet de préoccupation qui revient de manière constante dans les prises de positions publiques de la BCL.Yves Mersch écrit à ce sujet : "Des finances publiques fondamentalement déséquilibrées constituent un autre défi de taille pour l’économie luxembourgeoise. Tant nos projections que le Programme de Stabilité démontrent que les soldes publics devraient être structurellement déficitaires en 2014, le déficit de l’Administration centrale étant particulièrement important (-3,1 % du PIB, ndlr). Ces évolutions seraient observées en dépit des mesures de consolidation récemment présentées par le gouvernement. Selon nos calculs et compte tenu de la disparition d’une grande partie des recettes de TVA liées au commerce électronique en 2015, un effort de consolidation additionnel de l’ordre de 3 % du PIB s’imposerait d’ici 2015, soit au moins 600 millions d’euros en 2014 et 600 millions supplémentaires en 2015. Seul un tel effort additionnel permettrait aux Administrations publiques de respecter un objectif budgétaire à moyen terme (OMT) supérieur à 1 % du PIB en termes structurels, compatible avec les recommandations de la Commission européenne et de la BCL. L’OMT avancé par le Gouvernement, à savoir un surplus structurel de 0,5 % du PIB, est quant à lui insuffisant compte tenu notamment de la forte hausse prévisible des transferts sociaux."
Un aspect important des finances publiques seront dans le futur les dépenses liées au vieillissement de la population. Le Groupe de travail sur le vieillissement du Comité de politique économique de l’Union européenne a selon la BCL écrit dans son récent rapport de mai 2012 ( un rapport adopté par le Conseil ECOFIN du 15 mai 2012, n.d.l.r.) que le Luxembourg est le pays européen où les dépenses liées au vieillissement devraient augmenter le plus d’ici 2060, passant de 16 % du PIB en 2010 à 30 % en 2060. Yves Mersch écrit : "Le projet de loi portant réforme de l’assurance pension déposé à la Chambre des Députés en janvier 2012 permettrait de limiter quelque peu cette dérive, mais cette avancée devrait être complétée par d’autres mesures."
Les simulations que la BCL a effectuées au moyen de son modèle d’équilibre général a débouché sur une évaluation de la réforme du système des pensions projetée qui dit ceci : Sans réformes, la dette liée aux pensions passera à 150 % du PIB en 2060. La mesure "pension à la carte" réduira par contre "la dette des pensions" d’un peu moins de moitié en 2060. La mesure "pension à la carte" couplée à la mesure "d’ajustement partiel" aux salaires réels réduira sensiblement la dette des pensions en 2060, mais la dette resterait toujours en progression par la suite. La mesure d’une "hausse des cotisations sociales" aurait quant à elle un impact négligeable. La "pension à la carte" et "l’ajustement partiel" ont donc un effet insuffisant, mais substantiel, et vont dans le bon sens pour la BCL.
Pour Jean-Pierre Schoder, "il n’est pas nécessaire de dramatiser les choses" sur le dossier des systèmes de pensions. La situation est « maîtrisable », et elle le sera d’autant plus que des mesures seront prises dans les meilleurs délais, des mesures qui seront de ce fait aussi moins incisives. Mais il ne faut plus attendre une décennie pour se décider comme cela a été le cas jusque là. Quelle que soit la méthode de calcul qui a été utilisée, elles ont selon lui toutes abouti à la même conclusion. Finalement, il faut assurer la solidarité intergénérationnelle.