En vue de son académie d’été, qui sera consacrée, le 22 septembre prochain, au destin de l’Europe, le LSAP publie sur son site Internet un entretien avec le président du parti, Alex Bodry. Il y fait le point sur l’évolution de l’UE dans une période qu’il juge décisive, soulevant nombre de questions.
Depuis deux ans, explique Alex Bodry, l’UE est en train de se doter d'un nouveau système de réglementation économique et budgétaire. Un processus qui est encore à l’œuvre mais dont la direction semble nette aux yeux du président du parti socialiste : il s’agit d’introduire un contrôle préventif renforcé des finances publiques dans chacun des Etats membres, la surveillance portant sur le déficit budgétaire, la dette publique et les déficits macroéconomiques. Cette dimension préventive place la politique budgétaire nationale sous la surveillance d’instances européennes, que ce soit de la Commission qui doit l’évaluer d’une part, ou du Conseil européen, qui peut prendre des décisions concernant un Etat membre. Ce qu’Alex Bodry voit comme un "adieu progressif au monde des recommandations" allant de pair avec l’entrée dans un "système plus contraignant".
Et, si, d’un point de vue formel, les parlements nationaux conservent leur pouvoir budgétaire, le député luxembourgeois observe, non sans inquiétude, l’influence grandissante que prennent ces évaluations et possibles sanctions sur le contenu des budgets nationaux. "Ne devrions-nous pas nous occuper aussi très vite et très intensément, à côté du déficit des finances publiques, du déficit démocratique ?" Voilà une des questions qu’inspire le processus en cours à Alex Bodry. Il estime en effet que l’on est en train de sortir pas à pas du cadre du traité européen. En témoignent les accords intergouvernementaux, comme le pacte fiscal, qui soulèvent à ses yeux nombre de questions en termes de légitimité démocratique et de transparence. Il regrette ainsi que les parlements nationaux ne soient bien souvent informés de ces décisions qu’une fois qu’elles sont prises, les jalons politiques ayant été posés bien avant que les parlements nationaux n’aient à approuver formellement ces textes. Alex Bodry voit dans ce manque de dimension parlementaire et de débat public un grand défi pour l’Europe et son projet de gouvernement économique. "Le fossé qui sépare l’Europe réelle, telle qu’elle est perçue par les gens, et l’Europe légale, qui est établie dans les textes, ne doit pas devenir trop grand", met-il en garde.
Et, si l’Europe continue d’évoluer de cette façon, la question d’un référendum, ou tout au moins de la légitimation de cette nouvelle Europe va se poser tôt ou tard, augure le président du LSAP. Quelle que soit l’orientation que prendra l’Europe, Alex Bodry pointe la question de savoir comment on va en discuter dans chacun des pays. Mais il se demande aussi quel sera le contrepouvoir en matière de politique budgétaire. En effet, relève-t-il, dans la mesure où le Parlement européen n’ayant rien à voir avec les budgets nationaux, il ne pourra jouer ce rôle. Les parlements nationaux doivent donc être impliqués dans les nouvelles procédures, préconise Alex Bodry. Et le Luxembourg doit adapter ses procédures budgétaires aux nouvelles réalités : comme les orientations budgétaires ne sont plus fixées à l’automne, mais dès le printemps, il faut donc que la Chambre ait un débat d’orientation avant la rédaction par le gouvernement des orientations budgétaires transmises en avril à la Commission dans le cadre du semestre européen.
Le président du LSAP plaide aussi pour que les discussions sur la politique budgétaire et celles sur la stratégie Europe 2020 ne soient plus menées séparément, que ce soit au niveau national ou européen. Les deux sujets sont les revers d’une même médaille, affirme le député socialiste, prévisions budgétaires et priorités politiques allant de pair. Il s’agit donc de trouver le moyen de structurer le débat sur ces questions au Luxembourg, et d’associer plus fortement le parlement national dans toutes ces questions européennes. "Les déclarations d’intention du gouvernement dans ce sens ne suffisent pas", observe-t-il.
Autre question posée à Alex Bodry au vu de la pression d’harmonisation croissante qui se fait sentir sur les Etats membres : "le Luxembourg peut-il maintenir l’Etat social performant qui a été construit pendant des décennies sous l’impulsion d’une politique sociale ?". Le président du LSAP considère que le système social luxembourgeois repose, au moins à moyen terme, sur de bonnes bases. Certes, il va nécessiter d’être adapté, ce qui est d’ailleurs en cours, comme en témoignent la réforme du système de santé ou bien celle des pensions, mais il ne s’agit pas de remettre en question les fondements du système, en veillant à ce qu’il reste finançable, précise le député. Il se dit convaincu que le Luxembourg ne doit ni copier un modèle étranger, ni se laisser porter par les institutions européennes. De son point de vue, le gouvernement a d’ailleurs bien réagi, dans l’ensemble, aux recommandations formulées par le Conseil dans le cadre du semestre européen.
A cela, Alex Bodry ajoute que le gouvernement a pris de la distance par rapport à son objectif de déficit zéro pour 2014 parce qu’il a compris que les objectifs du Luxembourg doivent concorder avec ceux des autres Etats membres. Or, souligne-t-il, au vu des prévisions de croissance pour le moins faibles, le Luxembourg aura beaucoup de mal à atteindre l’équilibre de ses finances publiques. En des temps difficiles, le député socialiste juge qu’un déficit limité est acceptable pour le Luxembourg tant qu’il est assuré que les dépenses courantes de l’Etat ne sont pas financées par un endettement supplémentaire, ce qui serait, selon lui, "fatal pour le Luxembourg".
Lorsqu’on lui demande combien de temps le Luxembourg pourra encore maintenir sa situation exceptionnelle en termes de déficit et de dette publique au regard des autres Etats membres, Alex Bodry pointe aussitôt une inconnue de taille : l’évolution du secteur financier dans les années à venir. De son point de vue, les affaires bancaires classiques risquent de ne plus connaître de croissance au Luxembourg au vu des restructurations de certains groupes, une évolution qui a jusqu’ici pu être compensée par la croissance de l’industrie des fonds. Mais pour ce qui est de l’avenir, tout dépendra des règles qui seront définies au niveau européen, estime Alex Bodry qui pense notamment à la surveillance bancaire européenne. Le président du parti socialiste insiste aussi sur la nécessité de diversifier l’économie en soutenant des secteurs comme la logistique, les technologies de la santé ou encore la recherche. Autant de domaines dans lesquels le Luxembourg est en concurrence directe avec d’autres pays, glisse le député.
La question que soulève Alex Bodry est logiquement celle de la compétitivité du Luxembourg, l’enjeu étant son attractivité pour les investisseurs. Ce qui ne se réduit pas à une question de coûts salariaux à ses yeux. Le député voit un potentiel de croissance dans les domaines où le Luxembourg dispose d’un certain savoir-faire, sans perdre de vue les avantages géographiques ou ceux liés au plurilinguisme du Grand-Duché. Le député voit aussi une marge de manœuvre dans la simplification administrative, un aspect qui lui semble crucial.
Aux yeux d’Alex Bodry, la voie prescrite par les socialistes européens, qui plaident pour une mutualisation de la dette afin d’aider les pays en crise à se financer à des prix raisonnables, est envisageable. En effet, selon lui, les pays qui dont des efforts pour assainir leurs finances publiques et échapper à la spirale de la dette ne doivent pas être puni par le comportement irrationnel des marchés. Il se dit donc convaincu que l’idée d’une mutualisation de la dette va faire son chemin, même si elle portera en fin de compte un autre nom que celui d’eurobonds. S’il convient qu’il y a encore des obstacles, en comme par exemple la Cour constitutionnelle allemande, Alex Bodry pense que les choses iront dans cette direction car il n’y a tout simplement pas d’alternative.
Pour ce qui est des décisions que doit rendre la Cour constitutionnelle allemande dans les prochaines semaines, Alex Bodry précise que c’est en Allemagne que les problèmes éventuels que ses arrêts poseront devront être résolus. "Il n’est pas possible que l’Europe doive adapter son droit à la situation constitutionnelle d’un seul Etat membre", estime en effet le député socialiste pour qui ce serait donc à l’Allemagne d’adapter sa situation constitutionnelle le cas échéant.
Pour ce qui est de l’avenir de la zone euro, Alex Bodry reconnaît que "nous nous trouvons certainement dans une phase déterminante" et que les deux prochains mois seront à ce titre décisifs. Mais il se refuse à la spéculation : "Nous verrons ce qu’il adviendra de la Grèce, si le pays, ce qui est souhaitable, pourra rester dans la zone euro et remplir ses obligations ou si nous irons vers une dislocation de la zone euro", conclut Alex Bodry pour qui "personne ne sait exactement" ce qui va se passer.