Les Rencontres Européennes de Luxembourg existent depuis 1997. Leurs objectifs : encourager des échanges ouverts et pluridisciplinaires à l'échelle européenne ; stimuler le développement de débats éthiques, sociaux et politiques sur l'avenir de la (ou des) société(s) européenne(s). Pour 2012, les organisateurs ont choisi d’aborder la question de "l’Europe et du rêve des jeunes", partant du constat que "les ingrédients d'un clash entre l'Europe et sa jeunesse s'accumulent".
Au cours du colloque, de jeunes invités purent évoquer leurs expériences individuelles et exprimer leurs rêves.
Le premier à prendre la parole dans cet échange fut Sven Clement, 23 ans, étudiant en informatique, mais aussi président du Parti pirate luxembourgeois. Le discours fut simple : "Pourquoi s’engager dans des partis politiques dirigés par des hommes aux cheveux gris qui portent costume où les jeunes n’ont rien à dire ? Les jeunes s’engagent donc dans des organisations privées qui changent plus rapidement les choses. Ils veulent des réponses rapides à leurs questions, à la vitesse du twitter, et ne veulent pas attendre 15 jours qu’on leur réponde à une lettre". Le combat intergénérationnel existe bel et bien pour lui. Pas question de payer les pensions actuelles, trop élevées. Il faut repenser le système avant son crash. Mais aussi : "On va survivre à la crise". Et : "Je suis contre la guerre entre générations, même si le débat est chaud".
Marlene Schick-Witte, étudiante à l’Université du Luxembourg, a présenté son groupe de théâtre d’improvisation "Edudrame", un théâtre multilingue, multiculturel, misant sur les compétences interculturelles de ses membres, un théâtre de jeunes pour les jeunes qui se place résolument dans un contexte européen.
Vincent Laurent, de Génération Précaire, un masque blanc dans les cheveux, revendiquant sa qualité d’Européen convaincu, a parlé des jeunes qui ont de moins en moins confiance dans l’UE. Ils subissent une crise dont ils ne se sentent pas responsables. Ce sont les banques et le néolibéralisme qui ont un avenir, pas les jeunes, qui sont devenus "la variable d’ajustement de la crise". L’accès à l’emploi, au logement, car sans emploi, pas de logement, à une nourriture saine, à la santé et à l’éducation leur est rendu difficile. Ils trouvent face à eux une Union européenne qui est devenue une "Union de comptables" qui gèrent la crise "sans solution pour l’avenir". Ils sauvent les banques, mais pas les populations. Contre une telle situation, Génération précaire se dresse pour lutter en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, pour mettre en évidence les secteurs d’avenir qui ont besoin des jeunes, mais aussi pour leur garantir "un minimum de filet de sécurité". Il faut donc pour l’UE un socle commun et minimal de droits sociaux. A cet égard, la Commission et le Parlement européen devraient consulter les jeunes pour connaître leurs propositions.
Marie Schneider, étudiante à Halle et porte-parole du réseau Erasmus allemand, a fait l’éloge du programme Erasmus et décrit les tâches de son réseau pour accueillir sur place les étudiants étrangers. L’objectif de son réseau : les orienter, les aider à trouver un logement, ou en cas de problèmes linguistiques ou administratifs, leur montrer qu’ils peuvent s’intégrer dans la société d’accueil, voire s’identifier avec elle. L’idée de base : l’étudiant Erasmus reçoit, mais rend aussi. Marie Schneider reconnaît que nombre d’étudiants Erasmus vont uniquement à l’étranger pour que cela figure sur leur CV. Le reste, la culture, les personnes, ne les intéresse pas. Elle trouve cela "effrayant". Elle regrettera aussi au cours de la discussion que le problème financier auquel est actuellement confronté le programme Erasmus touche l’enseignement en général. Les enseignants ont par ailleurs à maîtriser tellement de tâches qu’ils n’ont plus le temps d’être accessibles aux étudiants. "Tout est moins structuré", pense l’étudiante de Halle, qui trouve que "c’est dommage d’avoir à lutter pour être entendu".
Abdelhak Chenouili est économiste et enseignant. Après avoir eu des problèmes pour accéder au marché du travail, il a finalement décroché un emploi dans la finance, pour découvrir ensuite que ce n’était pas sa vocation. Il a donc opté pour l’enseignement et est actif à Bruxelles dans le collectif Ras El Hanout qui, par le biais du théâtre, essaie de faire passer des messages contre la discrimination. Il est confronté à des jeunes qui culpabilisent parce qu’ils n’arrivent pas à intégrer le marché du travail. Il est aussi confronté aux grandes disparités entre jeunes, selon le quartier d’où ils viennent. Dans un quartier, le chômage des jeunes dépasse les 44 %, dans le quartier voisin, il est le plus bas de la Belgique. Des gouffres sociaux s’ouvrent entre groupes de jeunes que l’UE devrait considérer comme un vrai défi, ne serait-ce que pour gérer ces disparités. De tout cela, il a conclu qu’une des choses les plus importantes auxquelles les adultes devaient faire attention, c’est l’image qu’ils ont des jeunes et qu’ils leur renvoient.
Kathleen Hielscher a relaté son expérience personnelle avec l’UE. Elle aussi a passé un semestre en France dans le cadre du programme Erasmus, et a finalement décidé d’y rester. Les problèmes ont commencé lorsqu’il s’est agi de prendre pied dans la vie active. La jeune femme s’est rendue à Bruxelles pour y faire un stage et trouver un emploi auprès de l’UE. Là, elle découvre que ces stages ne sont pas rémunérés. Cela l’a fortement démotivée. A 33 ans, elle fait maintenant un doctorat à l’Université du Luxembourg. Elle a découvert Fraternité 2020, une initiative citoyenne européenne dont l’objectif est d'améliorer les programmes d'échange de l'UE tels qu’Erasmus ou le Service volontaire européen (SVE). Elle l’a rejointe et contribue au projet de pétition que cette organisation lancera le 29 octobre 2012 pour que tous ces programmes soient dotés de plus de fonds. Son autre message : pour pouvoir construire leur vie et fonder une famille, les jeunes ont besoin de plus de sécurité sur le marché du travail, de CDI et non pas de CDD. Tout cela, finit-elle, serait aussi positif pour la démographie de l’Europe.
Les jeunes invités ont pu poursuivre leur discussion dans l’après-midi en exprimant leurs rêves.
Sven Clement a listé cinq rêves qu’il pense être ceux des jeunes Européens :
Marlene Schick-Witte et Marie Schneider ont insisté toutes deux sur la nécessité de soutenir le soutien à la coopération à travers des petits projets culturels, citoyens ou transfrontaliers. Car il faudra beaucoup de temps et de pédagogie pour arriver à intérioriser l’Europe. Abdelhak Chenouli en a témoigné lui aussi de son point de vue d’enseignant.
Vincent Laurent a aussi exprimé son souhait qu’en cette période d’austérité, on ne joue pas que sur les dépenses, en les réduisant à tout va, mais aussi sur les recettes fiscales. Il espère donc voit une coopération européenne sur l’évasion fiscale.
Abdelhak Chenouli et Vincent Laurent ont tous deux affirmé l’accès à un emploi et à un logement comme un rêve partagé des jeunes européens. Il s’agit de pouvoir vivre décemment de façon à pouvoir concrétiser son avenir, ont-ils souligné.
Ils ont ensuite été invités à réagir aux remarques, parfois acerbes, d’une salle où la moyenne d’âge était élevée, l’agencement de la salle donnant l’impression d’un étrange face-à-face entre générations.
Dans l’assistance, de la part de laquelle les jeunes se sont vus rappeler à plusieurs reprises que leurs problèmes avaient aussi été ceux des plus anciens à leur âge, on a aussi pu entendre comme un reproche le fait que les études universitaires toujours plus longues coûtaient, elles aussi, comme les retraites beaucoup à la société, et qu’elles ne faisaient pas toujours l’avenir, face à l’apprentissage de vrais métiers. Abdelhak Chenouili a dû expliquer que faire des études plus longues n’a pas été un choix per se, mais répondait à une promesse de voir ses chances augmentées dans la vie. Quant à l’orientation des élèves vers des filières techniques et professionnelles, son expérience du système belge lui a démontré l’absurdité qu’il y a à demander à des enfants de 14 ans de faire un choix déterminant pour toute leur vie, qui fait que l’orientation vers ces filières ne se fait que par défaut, et pas par vocation. Vincent Laurent a ajouté l’exemple, plus positif, des pays scandinaves qui, comme la Suède, investissent dans l’éducation et le font de façon moins déterministe, en laissant les jeunes prendre plus d’initiatives et construire leur projet personnel et professionnel. Il a aussi souligné l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie pour l’avenir, plaidant, à la stupéfaction de certaines personnes dans le public, pour que le système permette à chacun d’avoir des temps de pause dans sa vie professionnelle pour se réorienter ou se former.
Lorsque les jeunes se sont vus demander si l’idée d’une Europe élargie était pour eux un rêve et s’ils jugeaient nécessaire d’exclure un pays qui aurait enfreint les règles, Vincent Laurent a confirmé que l’élargissement à la Turquie notamment était bien un de ses rêves. Il y voit en effet une perspective d’enrichissement et la concrétisation d’un pont vers le Moyen-Orient. Pour ce qui est d’une éventuelle exclusion de la Grèce, il est ferme : ce serait là un retour en arrière, et cela marquerait le début d’une dépression sans fond en Europe. La montée des partis nationalistes l’inquiète déjà, sans compter la menace qui pèse sur la paix sociale en Grèce, mais aussi en Espagne ou au Portugal. La paix sociale est à ses yeux l’un des enjeux les plus importants actuellement.
Sven Clément s’est vu interpellé au sujet du choix qu’il a fait de prendre une voie détournée plutôt que de rallier un parti traditionnel pour tenter de réformer les institutions. "Je crois qu’on peut faire les deux", a répondu le jeune militant qui a assuré les jeunes qui font un autre choix que le sien de son "respect". Mais, a-t-il expliqué, son "idéologie a évolué au-delà des frontières des partis", aussi, sa trajectoire n’est-elle pas à ses yeux une voie détournée, mais une façon d’aller droit au but en essayant de faire quelque chose de nouveau. Il assure d’ailleurs être en discussion avec les autres partis, "là où nos chemins se croisent", comme c’est le cas avec les Verts sur la revendication consistant à mettre en place un registre des lobbies au Luxembourg. Sans compter qu’il se réjouirait de voir émerger plus de petits partis. Vincent Laurent a souhaité lui aussi témoigner, montrant comment on pouvait concilier des engagements de nature différente au quotidien. Ainsi, son engagement auprès de Génération précaire lui a permis de faire avancer la question des stages en France grâce à une action décalée mais on ne peut plus sérieuse. Mais il est aussi actif au niveau syndical où il essaie de faire avancer sa position sur la précarité des salariés du monde associatif. Sans oublier son militantisme au sein d’un parti politique. Parfois, des collectifs spontanés autour d’un sujet bien précis ont une action efficace, a-t-il précisé.