Le 30 janvier 2013, la Commission européenne a présenté un nouveau rapport semestriel concernant la Roumanie dans le cadre du Mécanisme européen de vérification (MCV). Ce dernier a été instauré en janvier 2007 pour assurer le suivi des engagements pris par la Roumanie en termes de lutte contre la corruption et de réforme judiciaire lors de son entrée dans l'Union européenne.
L'analyse de la Commission européenne est fondée sur l’évaluation menée par les autorités roumaines et sur les informations fournies par les États membres, par des organisations internationales et des experts indépendants. La Commission tient également compte de missions entreprises sur place.
La publication du précédent rapport, le 11e, en juillet 2012, était intervenue en plein conflit politique entre le président Băsescu et le premier ministre Victor Ponta. Ce dernier avait réussi à obtenir le remplacement des présidents de la Chambre et du Sénat et la suspension du président par le Sénat, au mépris de la Constitution et en modifiant le rôle de la Cour constitutionnelle. En plus des chapitres qu'elle réservait habituellement aux progressions de la réforme du système judiciaire et à la lutte contre la corruption, la Commission avait également dressé dix recommandations spécifiques visant à restaurer l’État de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire, mis à mal par la situation politique.
Elle avait prévenu qu'elle observerait dans le rapport suivant les suites qui leur auraient été données. Entre temps, il y eut deux événements politiques importants : d'abord l'invalidation, le quorum n'étant pas atteint, du référendum du 29 juillet 2012 sur la confirmation de la destitution du président ; ensuite, les élections législatives du 9 décembre qui ont confirmé, avec une majorité confortable, la nomination de Victor Ponta au poste de premier ministre par le président Băsescu. Les deux rivaux politiques ont alors conclu un "accord de collaboration institutionnelle" qui implique un engagement en faveur de l’indépendance de la justice et de la primauté de l’État de droit.
L'apaisement politique, né de cette échéance électorale, donne de l'espoir à la Commission européenne. Elle se dit "convaincue que la nomination du nouveau gouvernement à l'issue des élections offre une nouvelle occasion de garantir le respect de l’État de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire, et de garantir la stabilité".
Elle rappelle qu'"une coopération loyale entre les institutions et la stabilité dans la séparation des pouvoirs sont les pierres angulaires de l’instauration du cadre idéal pour réaliser des progrès en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption".
Toutefois, son rapport fait état de nombreux efforts à réaliser. Certes, "des mesures ont été prises pour répondre aux vives préoccupations que nous avons exprimées en juillet", mais il reste également des "points sur lesquels des progrès restent à accomplir", a expliqué le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, à l'heure de la publication du rapport.
Pour ce qui est des satisfactions, la Commission européenne note que la Constitution, d'une part, les décisions de la Cour constitutionnelle, de l'autre, sont de nouveau respectées. Le respect de l'invalidation du référendum par la Cour Constitutionnelle et l'abrogation des deux "ordonnances d'urgence" anticonstitutionnelles, lesquelles avaient rendu possible la destitution des deux présidents des chambres en juin 2012, en témoignent. La Commission note par ailleurs que la majorité nette du Parti social-libéral "devrait contribuer à faire des procédures législatives ordinaires la norme pour légiférer". De même, tous les actes sont désormais de nouveau publiés sans délai au Journal officiel, y compris les décisions de la Cour constitutionnelle.
Par, contre, "le non-respect de l’indépendance de la justice et l’instabilité à laquelle les institutions judiciaires doivent faire face restent préoccupants". La Commission dit disposer de "nombreux rapports dénonçant des intimidations ou du harcèlement à l’encontre de personnes travaillant pour des institutions essentielles". Des juges et leur famille auraient même reçu des menaces personnelles.
La Commission européenne vise la responsabilité de la classe politique et des médias. "L'ensemble de la classe politique doit forger un consensus pour s’abstenir de discréditer les décisions de justice, de saper la crédibilité des magistrats ou d’exercer des pressions à leur encontre", dit-elle, en suggérant que l'Etat prenne l'engagement de sanctionner "tout membre du gouvernement ou d'un parti qui saperait la crédibilité des juges ou exercerait des pressions sur les institutions judiciaires". "L'accord de collaboration institutionnelle" signé entre le président et son premier ministre prévoit d'ailleurs un "cadre d’exigences clair" pour empêcher de dénigrer les décisions de justice.
Pour ce qui des campagnes médiatiques contre la justice, la Commission suggère un changement règlementaire, qui toucherait notamment le Conseil national de l'audiovisuel, jugé inefficace. Cette action doit "garantir que la liberté de la presse s’accompagne d’une protection adéquate des institutions et des droits fondamentaux des individus".
Dans son rapport de juillet 2012, la Commission insistait aussi fortement sur le renforcement de l'intégrité de la classe politique et des fonctionnaires de justice. Elle estimait essentiel de doter le ministère public et la Direction nationale anticorruption (DNA) de nouvelles hiérarchies et notamment de pourvoir le poste de procureur général et celui de premier procureur de la Direction nationale anticorruption (DNA) par des candidats "pouvant faire preuve de l’indépendance, de l’intégrité et du professionnalisme requis pour gagner la confiance des citoyens et continuer à produire de bons résultats". Toutefois, la Roumanie n'a pas encore pu nommer de "candidats de haut vol dans le cadre d’une procédure ouverte et transparente". Par contre, son Parlement a pu nommer un nouveau médiateur en janvier 2013, comme le lui avait enjoint le rapport de juillet. "Il sera donc primordial qu’il démontre, par ses actes, sa capacité à s’élever au-dessus des clivages politiques", rappelle à ce sujet la Commission.
Pour le volet politique, la Commission européenne a pris note de l’adoption de procédures claires imposant la démission de membres du Parlement à l’encontre desquels des "décisions définitives en matière d’incompatibilité et de conflits d’intérêts" ont été prises, ou "ayant été condamnés en dernier ressort pour délits de corruption de haut niveau". En effet, les élus ont adopté en janvier 2013 des changements modifiant la procédure de levée de l'immunité parlementaire. "Des mesures supplémentaires doivent encore être prises, dont l'établissement d'un code de conduite. (…) Il est également important de préciser que l’Agence nationale pour l'intégrité (ANI) reste la seule autorité chargée de vérifier les éventuelles incompatibilités des responsables élus et nommés."
Pour ce qui est des membres du gouvernement, la Commission européenne avait estimé que ne devait être désigné aucun ministre à l’encontre duquel "des jugements pour manquement à l’intégrité" ont été prononcés et que tout ministre dans cette situation devait démissionner. Toutefois, elle doit constater qu'en novembre 2012, des rapports de l’Agence nationale pour l’intégrité (ANI), incriminant des ministres et hauts fonctionnaires, n'ont pas été suivis par les révocations attendues. "Le nouveau gouvernement a rappelé son objectif consistant à s’attaquer à la corruption, mais parmi les nouveaux ministres, trois font l'objet d'une enquête pénale pour corruption", constate la Commission européenne.
Ce dernier reproche formulé par la Commission européenne n'a pas plu au Premier ministre, Victor Ponta. Réagissant au rapport, il a pointé "quelques erreurs matérielles", faites par la Commission, et dit : "J'ai lu qu'il y a trois ministres poursuivis pour corruption". Il cite le ministre des Transports mais dit ne pas avoir "trouvé les deux autres".
Un responsable de la Commission européenne a indiqué à l'AFP que les deux autres ministres visés sont le vice-Premier ministre chargé de l'Administration Liviu Dragnea et le ministre de l'Economie Varujan Vosganian. Le premier serait poursuivi pour son implication présumée dans des fraudes lors du référendum de destitution du président Traian Basescu durant l'été 2012, le second dans une affaire de livraisons illégales de gaz à des sociétés privées.
Victor Ponta a par ailleurs souligné avoir décidé, après les élections de décembre, de ne pas reconduire dans leurs fonctions quatre anciens ministres qui avaient des problèmes d'intégrité, et dont Bruxelles avait regretté le maintien au gouvernement jusqu'aux élections de décembre.
"Les onze engagements convenus avec le président de la Commission européenne ont tous été remplis", pensait-t-il pouvoir affirmer en amont de la publication du document.
Dans son rapport, la Commission européenne adresse de nouvelles recommandations ainsi résumées :
- revoir les normes existantes pour préserver des médias libres et pluralistes tout en garantissant des mécanismes de recours efficaces contre les violations des droits fondamentaux des individus et contre les pressions abusives et l’intimidation exercées par les médias à l’encontre de la justice et des institutions anticorruption. Le Conseil national de l’audiovisuel devrait voir son indépendance réaffirmée pour jouer pleinement son rôle en établissant un code de conduite en la matière et en veillant à son application;
- Garantir que les nouveaux responsables à la tête du ministère public et de la DNA soient choisis parmi un nombre suffisant de candidats de haut vol, à l’issue d’une procédure ouverte et transparente. L’obtention d’un avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature constituera une étape importante pour gagner la confiance des citoyens;
- Faire en sorte que le nouveau médiateur fasse preuve d’une autorité, d’une intégrité et d’une indépendance incontestables, et suive une approche non partisane;
- Prendre les mesures nécessaires pour garantir que les ministres condamnés pour manquement à l’intégrité démissionnent, et assurer une application rapide des règles constitutionnelles relatives à la suspension des ministres inculpés;
- Mettre en place, au niveau du Parlement, de nouvelles procédures claires et objectives pour suspendre les parlementaires à l’encontre desquels ont été prononcées des condamnations pour manquement à l’intégrité ou pour des faits de corruption; et de fixer des délais rapides pour traiter les demandes de levée de l’immunité parlementaire introduites par le ministère public.
Pour ce qui est des deux thèmes faisant habituellement l'objet du Mécanisme européen de vérification, le résultat est plus homogène. Certes, le calendrier pour l'application des quatre codes juridiques reste incertain. L’entrée en vigueur du code de procédure civile est toujours prévue pour février 2013, mais celle du code pénal et du code de procédure pénale ne devrait survenir qu'en février 2014.
La Commission européenne constate par ailleurs que le nouveau cadre réglementaire pour l’inspection judiciaire, adopté en 2011, "a permis à l’inspection judiciaire de fonctionner plus efficacement et d’intenter ainsi 21 nouvelles actions disciplinaires au cours de ses premiers mois d’existence". Elle constate également des progrès dans l'unification et l'amélioration de la qualité de la jurisprudence, par la transmission des décisions aux juridictions inférieures et l'amélioration de leur accès en ligne mais aussi la transformation progressive de la Haute cour de cassation et de justice en une véritable cour de cassation, avec moins de compétences d’appel.
La Commission européenne se réjouit particulièrement des progrès enregistrés dans la lutte contre la corruption à haut niveau. "Au cours des derniers mois, le ministère public, la direction générale anticorruption et la Haute cour ont continué à travailler de manière professionnelle et impartiale, en étant parfois soumis à des pressions extrêmes", écrit-elle. "La résilience dont ont jusqu’ici fait preuve ces institutions confirme encore que les résultats qu’elles ont engrangés dans la lutte contre la corruption à haut niveau sont l’une des manifestations les plus flagrantes des progrès enregistrés par la Roumanie au titre du MCV".
La DNA a pour sa part poursuivi ses enquêtes et a continué à obtenir des condamnations pour des faits de corruption. Le nombre de condamnations, desquelles elle est à l'origine, a doublé en 2012 par rapport à l’année précédente. En outre, le nombre d’inculpations et de condamnations dans des affaires de détournement des fonds de l’UE diligentées par la DNA a constamment augmenté. Par contre, "le ministère public affiche des résultats très variables selon les parquets", constate la Commission.
L’Agence nationale pour l’intégrité a pour sa part lancé un projet informatique ambitieux "visant à collecter des données sur les responsables élus et nommés et permettant des vérifications croisées avec d’autres bases de données de l’État comme le registre de commerce ou celui de l’administration fiscale, afin de déceler d’éventuels conflits d’intérêts".
La Commission européenne doit toutefois constater que les progrès "semblent" très mesurés en ce qui concerne la prévention et la sanction de la corruption en matière de marchés publics. Elle poursuit : "Le MCV exige également que de solides efforts soient fournis pour s’attaquer à la corruption à tous les niveaux de la société roumaine. Les études montrent toutes que la généralisation de la corruption constitue une importante source d’inquiétude pour les citoyens. Dans ce contexte, le rapport du mois de juillet saluait la stratégie nationale anticorruption."