Olaf Münichsdorfer, chef de bureau de l’eurodéputé Claude Turmes (Verts/ALE), signe dans le Luxemburger Wort daté du 21 janvier 2013 une tribune dans laquelle il s’inquiète du sort qui est fait à la politique sociale européenne, peu à peu mise sur la touche au fur et à mesure que se met en place la gouvernance économique européenne.
Le jeune politologue évoque pour commencer une information passée quasiment inaperçue en décembre 2012, à savoir l’échec des partenaires sociaux européens à trouver, à l’issue d’un an de négociations, un accord pour réformer la directive sur le temps de travail. Résultat, constate Olaf Münichsdorfer, les entreprises européennes vont pouvoir continuer ce qu’elles font déjà depuis dix ans, à savoir noyauter les règles européennes par des négociations contractuelles et des accords salariaux individuels. Ainsi, au lieu des 48 heures par semaine de rigueur, on peut travailler 90 heures par semaine, avec les risques de dumping social, de problèmes de santé et de risque d’accidents de travail que cela implique, dénonce Olaf Münichsdorfer.
La réforme de la directive détachement n’avance pas non plus, constate-t-il encore, et il craint que le dossier n’aboutisse à un mauvais compromis. Car, raconte Olaf Münichsdorfer, tandis qu’au Conseil on ne parvient pas à s’entendre sur les possibilités que pourraient avoir les Etats membres pour mieux contrôler la protection sociale des travailleurs détachés et pour mieux responsabiliser les sous-traitants en la matière, l’eurodéputée qui suit le dossier au Parlement européen tente d’orienter la réforme de façon à arriver à une réglementation a minima offrant les meilleurs avantages en termes de compétitivité aux Etats membres de l’Est de l’Europe, dont elle est issue.
Deux exemples qui illustrent selon le jeune politologue comment s’effiloche toujours plus la politique sociale européenne. Elle n’est pas affaiblie que par des législations qui se relâchent, mais aussi par les nouvelles hiérarchies décisionnelles au sein des institutions de l’UE, ajoute Olaf Münichsdorfer.
Il évoque à cet égard les ministres en charge des Affaires sociales qui observent depuis un certain temps déjà que leur voix peine toujours plus à se faire entendre au Conseil étant donné que les ministres des Finances ont élargi leurs compétences dans le contexte de la crise et sont donc désormais en première ligne pour mener les nouveaux processus de réforme de l’UE.
De la même manière, le chef du bureau de Claude Turmes constate qu’au Parlement européen, la commission des Affaires économiques et monétaires a pris d’une certaine façon le leadership pour ce qui est de lutter contre la crise, réduisant la commission Emploi et Affaires sociales à un rôle d’observateur. Au sein de la Commission, Olaf Münichsdorfer constate aussi que les choix du collège présidé par José Manuel Barroso sont la plupart du temps d’orientation néolibérale.
Pour le politologue, l’affaiblissement de la politique sociale culmine aujourd’hui avec la crise financière, mais il s’est préparé bien avant le début de la crise, et ce de façon structurelle. Citant l’exemple de la politique européenne de l’emploi, il évoque la stratégie pour l’emploi, intégrée aux traités il y a de cela quinze ans dans l’objectif d’améliorer la politique de l’emploi dans les Etats membres grâce à des objectifs chiffrés et des échanges de bonnes pratiques. Or, rapporte Olaf Münichsdorfer, ces objectifs ont été confondus avec les grandes orientations en matière de politique économique dès 2005. Et depuis 2011, la mise en œuvre des objectifs relevant des politiques économique et de l’emploi est suivie dans le cadre du semestre européen. Conséquence, les mesures relevant de la politique sociale doivent sans cesse être justifiées du point de vue de leur contribution aux objectifs de croissance et de discipline budgétaire, autrement dit, la politique sociale n’est plus considérée comme un objectif en soi, mais comme un moyen ou un appendice de la politique budgétaire, déplore l’assistant parlementaire en chef.
Ce processus d’affaiblissement de l’idée d’une Union sociale, Olaf Münichsdorfer l’explique en partie par un changement de paradigme libéral des Etats membres, ainsi que par une tendance à une renationalisation rampante. Selon lui, la politique sociale européenne, qui a souvent été le support de bien des illusions, est désormais instrumentalisée de façon à servir les intérêts nationaux, que ce soit en la brandissant pour détourner l’attention des possibilités et des faiblesses des politiques nationales, ou au contraire en l’oubliant pour ouvrir la voie à la concurrence fiscale et au dumping social. Loin d’entrevoir un consensus sur l’orientation à donner à la politique sociale européenne, il se désole de constater que le rêve européen d’une communauté sociale s’émiette en autant de petits intérêts nationaux, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, échangeant en fin de compte des opportunités de marché et de compétitivité contre l’objectif fixé par les traités de la cohésion sociale.
Lors de la création de l’UEM, la politique commune de l’emploi a été présentée comme une sorte de dette portable, estime Olaf Münichsdorfer. La politique voulait ainsi donner un signe que l’UE ne perdrait pas de vue la hausse du chômage. Vingt ans après, l’objectif d’un progrès social constant fixé par les traités a perdu de sa pertinence, observe le politologue des Verts. Car, estime-t-il, les ministres des Finances se sont imposés tant sur le plan des structures que du contenu avec leur ligne d’une consolidation budgétaire sans condition et les protestations des ministres en charge des Affaires sociales, certes justifiées, se perdent au loin.
Pourtant, la Commission vient de mettre en garde dans son rapport social contre le fossé social qui se creuse entre le Nord et le Sud de l’Europe et qu’il sera difficile de combler par des fonds structurels et un fonds social sous financés. Et Olaf Münichsdorfer en tire pour conséquence qu’il est grand temps de redonner au rêve européen une nouvelle allure, qui soit aussi sociale et qui apporte une offre politique crédible aux demandeurs d’emploi, surtout aux plus jeunes d’entre eux.
La solution, ce serait pour le collaborateur des Verts de mettre le paquet dans des investissements d’avenir. "L’Union économique et monétaire n’est pas une fin en soi", souligne-t-il, ajoutant que la politique d’austérité risque elle de sombrer au rang de fin en soi, ce qui pourrait sonner le glas de tout projet social ambitieux pour l’Europe et de menacer de façon dramatique la cohésion sociale et politique de l’UE.