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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Réhabiliter l’Etat social pour sortir (enfin !) de la crise – Un plaidoyer de l’économiste Christophe Ramaux contre le néolibéralisme qui "fait craquer les sociétés européennes"
21-03-2013


Le 21 mars 2013, l’économiste Christophe Ramaux, maître de conférences en économie à l'Université Paris I et chercheur auprès du Centre d’Économie de la Sorbonne (CES - équipe Matisse), était l’hôte de la Chambre des salariés (CSL), laquelle organise régulièrement des conférences (voir ci-dessous)) donnant la parole à des économistes qui mènent des recherches et expriment des avis qui tranchent avec la pensée néolibérale jugée toujours dominante dans les processus de décision européens.  

Les quatre piliers de l’Etat social

Christophe Ramaux a plaidé pour la réhabilitation de l’Etat social qu’il est faux  à ses yeux de réduire à la seule protection sociale, domaine certes important. Selon lui en effet l’Etat social est basé sur quatre piliers : la protection sociale, la régulation des rapports de travail (le droit du travail) et de production (l’organisation de l’entreprise selon L'économiste Christophe Ramaux lors de sa conférence organisée par la CSL sur la réhabilitation de l'Etat social, le 21 mars 2013 à Luxembourgune logique qui ne soit pas celle des actionnaires), les services publics et enfin les politiques économiques de soutien à l’activité et l’emploi (politique des revenus, politiques budgétaire, monétaire, industrielle, commerciale…). Cet Etat social pourvoit à un tiers des revenus des salariés sous forme de prestations en espèce et en nature après paiement des impôts et des contributions sociales. D’autre part, les services publics qui lui sont propres constituent 30 % des emplois, a expliqué l’économiste, sans parler des Etats qui tombaient sous ces caractéristiques.

Christophe Ramaux est convaincu que nous ne vivons pas dans une pure économie de marché, mais dans une économie de marché qui coexiste avec l’Etat social qui intervient et régule. Nous vivons néanmoins dans une économie capitaliste, puisque la majorité des salariés travaillent dans des entreprises capitalistes. Celles-ci ne représentent que 51 % de l’économie, 30 % allant au service public, 10 % à la santé, etc. Mais depuis les années 80, le tournant néolibéral vise le démantèlement de l’Etat social, veut privatiser la protection sociale, flexibiliser ou mettre en cause le droit du travail et privatiser les services publics. Et, selon Christophe Ramaux, c’est de là que vient la crise.

La crise en deux actes

Le premier acte de cette crise se déroule entre 2007 et 2010 dans un contexte de finance libéralisée, de libre-échange, d’austérité salariale et de contre-révolution fiscale avec la réduction des recettes des Etats et la baisse des impôts. "Un modèle qui n’est pas viable comme le montrent l’exemple des USA et du Royaume Uni", pense Christophe Ramaux, parce que cette politique jugule la demande à travers la baisse des salaires, conduit à la baisse des recettes de l’Etat et pousse les ménages privés à s’endetter parce que la relance de l’économie est unilatéralement basée sur le crédit. Forcément, le déficit commercial se creuse pour la plupart des pays, sauf pour des pays comme l’Allemagne qui affiche avec la Chine le plus fort excédent commercial qui représente 40 % de son PIB.        

Le deuxième acte de la crise est celui qui dure toujours. Les dettes publiques sont au centre du débat, notamment celles des pays en crise. Ceux-ci avaient avant la crise bancaire de 2007-2008, que Christophe Ramaux qualifie de "faillite néolibérale", une dette publique conforme aux règles du traité de Maastricht, mais aussi un fort endettement des ménages.

En 2010, après le constat que leur dette publique enfle pour couvrir les frais de la crise bancaire et que leurs ménages sont excessivement endettés, on leur applique l’austérité et on leur demande de rétablir leur balance commerciale en devenant plus compétitifs. Pour Christophe Ramaux, une dette publique de 90 % du PIB, ce n’est pas quelque chose d’excessif, puisqu’un Etat a un cycle de vie différent et autrement plus long que celui d’un ménage pour qui une dette de 100 % de son revenu annuel n’est pas à priori un problème non plus. Par ailleurs, il y a une relation entre dette et créance et ce qui a été créé avec la dette contractée. Une dette est donc pour lui « légitime », puisqu’elle finance le secteur public qui contribue au PIB, qui est pour lui productif. Et, a-t-il rappelé, une dette est en général à la base de toute création d’entreprise.

Crise de la dette publique, crise de la compétitivité : les fausses pistes des néolibéraux

Si les dettes publiques se creusent excessivement dans certains pays, ce n’est pas selon Christophe Ramaux à cause de la dépense publique qui décroît, mais à cause des cadeaux fiscaux et à cause de son financement par des obligations que les classes les plus riches achètent et dont elles profitent plutôt que de payer des impôts comme aux USA après 1945, où le taux marginal était de 85 %, ce qui a permis de baisser la dette publique américaine de 120 % en 1945 à moins de 30 % en 1970. Pour réduire la dette publique, Christophe plaide pour la croissance induite à travers les multiplicateurs budgétaires.

Pour affronter la crise de la compétitivité dans un système monétaire qui ne permet pas les dévaluations externes pour rétablir les balances commerciales, il faut selon Christophe Ramaux compenser les déficits commerciaux par des afflux de liquidités. Mais pas comme l’ont fait les néolibéraux en facilitant l’accès au crédit. Car cela n’a pas conduit, comme on le croyait, à ce que les acteurs économiques et les ménages se soient portés vers les investissements les plus compétitifs. Au contraire : ils se sont portés vers l’immobilier, de sorte que la bulle immobilière s’est gonflée et le déficit commercial s’est creusé encore plus.

Il y a une autre solution qui est aussi proposée par les néolibéraux : exporter plus. Mais cela a conduit selon Christophe Ramaux à la guerre commerciale au sein de l’UE. Et puis, tout le monde ne peut pas, comme l’Allemagne, tirer 40 % de son PIB de ses exportations.

Le fédéralisme budgétaire est une autre solution avancée au sein de l’UE. Elle est pour l’économiste français "bonne sur le papier". Mais il voit mal comment les salariés du Nord de l’Europe pourraient accepter de financer à travers leurs impôts les 30 % de chômeurs dans les pays du Sud de l’UE.   

Pour lui, la meilleure solution serait "l’inflation interne" provoquée par une forte hausse des salaires et des dépenses sociales. Mais une telle solution « n’est pas compatible avec les règles de l’euro qui est un moyen de discipliner les économies selon les règles du néolibéralisme ». Mais ne pas aller dans cette direction entraînerait en fait « la fin de l’euro ». Pour Christophe Ramaux, il est impossible de continuer la politique actuelle dans les pays en crise. A cause des baisses des salaires, des pensions, des impôts et finalement de l’activité économique, qu’il appelle des "brutalités", "ça craque dans les sociétés européennes", comme le montrent selon lui les derniers résultats des élections en Italie. Continuer fera aussi selon lui "de l’Europe une économie malade".

La réhabilitation de l’Etat social

D’où la nécessité de réhabiliter l’Etat social. Celui-ci se révèle plus efficace que les services publics privatisés. Il ne conduit pas non plus à une augmentation des prélèvements obligatoires, dans la mesure où il maintient les dépenses publiques alimentées par la collecte d’impôts à un niveau élevé. Partout en Europe, les services publics résistent. Les rapports de travail continuent à être régulés. Avec la crise, les politiques économiques, budgétaires et monétaires ont été remises à l’ordre du jour.

L’idée fausse que l’Etat social serait une émanation des Trente Glorieuses est battue en brèche. "L’essentiel, pour l’Etat social, s’est joué en fait à la fin du 198e siècle. C’est à ce moment que les sociétés, de façon très laborieuse, par mille et un canaux, avec de très grandes variantes nationales, sont arrivées à la conclusion que si l’initiative privée – le marché, la concurrence… – ont du bon, il est cependant des domaines qu’elle n’est pas à même de remplir de façon satisfaisante. Ces domaines renvoient, au fond, à la part de l’intérêt général qui n’est pas réductible au jeu des intérêts particuliers." D’où l’émergence des systèmes de protection sociale et de santé publique. "Concrètement, on arrive à la fin du 19e siècle au diagnostic que le marché laissé à lui-même ne permet pas d’obtenir le plein emploi, la réduction des inégalités, la stabilité financière, la satisfaction d’une série de besoins sociaux en matière de santé ou bien encore de retraite. On arrive à la conclusion qu’il est nécessaire de construire des économies mixtes, c’est-à-dire des économies avec du marché, de l’initiative privée, mais aussi avec de l’intervention publique", explique Christophe Ramaux.

Mais pour réhabiliter l’Etat social en 2013, il faut une remise en cause des quatre piliers du néolibéralisme, c’est-à-dire la libéralisation des marchés financiers, le libre-échange, l’austérité et la contre-révolution fiscale.  Or, même s’il a implosé en 2007, le néolibéralisme domine encore la conception des politiques économiques en Europe, constate Christophe Ramaux. D’autre part, il relève que, malgré tout, la part de la dépense publique dans les pays de l’OCDE est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était à la fin des années 1970, avant même la crise de 2007.

L’Etat et les fonctionnaires sont productifs

Néanmoins, l’idée qui domine toujours est que la dépense publique serait trop importante car elle serait faite de prélèvements obligatoires opérés sur le privé pour financer des activités publiques improductives.

Faux, affirme Christophe Ramaux qui cite en exemple la France où la dépense publique représente 1 100 milliards d’euros ou 56 % du PIB. La moitié de cette somme est immédiatement reversée aux ménages sous forme de prestations sociales en espèces (retraites essentiellement, mais aussi allocations chômage et familiales) ou en nature (remboursement de médicaments, de consultations de médecine libérale, prise en charge par les allocations logement d’une partie des loyers payés aux propriétaires…). Et comme cette somme représente un tiers du revenu disponible brut des ménages, cela débouche sur de la demande, sur de la consommation privée et donc de la croissance. L’autre moitié de la dépense publique sert à payer des services publics non marchands, ce que Christophe Ramaux appelle "le travail productif des fonctionnaires" qui ne produit pas seulement des valeurs d’usage, mais aussi de la valeur monétaire. Bref, l’impôt stricto sensu ne sert pas à « financer » le travail qui serait improductif du fonctionnaire, mais à "payer" son travail qui est productif.

Rien ne se perd donc : les dépenses publiques, qui représentent plus de 50 % du PIB, se retrouvent en termes de consommation des ménages ou bien d’investissements. Dans ce sens, le public et le privé sont liés. Et l’issue de la crise, il la voit clairement dans l’investissement public dans la croissance verte, y inclus le soutien aux individus.

Se recentrer sur des solutions nationales faute d’Europe facteur de progrès social

Raison de plus pour Christophe Ramaux de donner plus de voix aux citoyens sur les questions économiques. Or, cela se passe pour lui sur le terrain de la nation, le lieu où se construit le lien citoyen. L’économiste, qui revendique son appartenance à la gauche politique française, estime que la gauche libérale de son pays, celle qui est au pouvoir, a « la nation en horreur », « entretient une relation malsaine à la nation », et favorise donc la progression du parti d’extrême droite Front national.

La nation ne doit pas être contre une certaine concurrence, mais ne pas entrer dans la logique du libre-échange qui met selon lui en concurrence des pays avec des modèles sociaux trop différents et des règles environnementales trop différentes. D’autre part, la question des dettes publiques devrait être renationalisée. Car, conclut l’économiste, la manière dont les néolibéraux veulent la régler détruit l’Europe qui déclinera au bénéfice des nations, et ce tant qu’elle ne sera pas un vecteur de progrès social.