Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se sont retrouvés le 14 et 15 mars 2013 pour un Conseil européen de printemps qui a été l’occasion de faire le point sur la situation actuelle. S’il ne s’est pas agi d’un de ces "sommets de crise" qui se sont enchaînés ces derniers mois, la crise est restée l’arrière plan de discussions qui ont tenté de faire la part des choses entre une austérité de plus en plus critiquée pour ses conséquences sociales et la nécessité de redonner des couleurs et de l’élan à une croissance économique en berne.
Dans le cadre du semestre européen, les chefs d’Etat et de gouvernement devaient se pencher sur les orientations à donner aux politiques économiques européennes, sur la base de l’examen annuel de croissance mis sur la table par la Commission européenne en novembre dernier, mais aussi des dernières prévisions de croissance, pour le moins mornes, présentées fin février dernier. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a mis d’emblée l’accent sur la "détresse sociale grandissante", affirmant que les chefs d’Etat et de gouvernement sont "pleinement conscients des frustrations croissantes et même du désespoir des gens". Mais, a-t-il affirmé à l’issue d’une discussion qu’il a qualifiée de "sereine", "la seule voie pour sortir de la crise reste d’en attaquer les causes profondes".
Les chefs d’Etat et de gouvernement ont donc confirmé leur stratégie basée, premièrement sur la restauration et le maintien de la stabilité financière, deuxièmement sur la nécessité d’assurer des finances publiques saines, et ce notamment sur le plan structurel, troisièmement sur l’urgence qu’il y a à combattre le chômage, et tout particulièrement celui qui frappe les jeunes, et, enfin, quatrièmement sur la nécessité de réforme en vue d’une croissance à long terme et d’une meilleure compétitivité. Une stratégie sur laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement ont affiché "un large consensus", ainsi que l’a rapporté Herman Van Rompuy qui a insisté sur les discussions nuancées qui ont eu lieu pendant ce Conseil.
Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a expliqué à son arrivée au Conseil qu’il était nécessaire de poursuivre les politiques de consolidation budgétaire engagées, à la seule condition qu’elles ne doivent pas rendre impossible la croissance et ne doivent pas avoir pour conséquence une situation sociale intenable. En ce qui concerne le Luxembourg, Jean-Claude Juncker a ainsi expliqué que le pays n’était pas soumis à "une application aveugle d’une politique d’austérité", mais qu’il s’agissait d’y mettre en œuvre "une consolidation sérieuse et rigoureuse". "On ne peut pas lutter contre les déficits par des déficits, ni lutter contre la dette publique en laissant monter la dette", a-t-il indiqué, ajoutant qu’un pays ayant une forte dette et devant payer des taux d’intérêt élevés ne peut pas connaître la croissance. Il s’agit donc selon lui de trouver la voie médiane entre consolidation budgétaire et croissance durable et ciblée.
Les conclusions du Conseil ne disent pas autre chose, puisqu’elles rappellent que l’objectif des chefs d’Etat et de gouvernement est sans conteste de parvenir à la croissance et à l’emploi, mais que la question est de "trouver un bon équilibre, de fixer des priorités et de faire les bons choix" pour y arriver. Et ils se sont tous entendus sur la nécessité de mettre en œuvre les engagements pris : "les bons progrès en direction de budgets structurellement équilibrés doivent se poursuivre" et chaque pays doit faire des choix faisant "sens à long terme".
Parmi les priorités identifiées dans les discussions, Herman Van Rompuy a insisté sur la nécessité, pour chacun des Etats membres, de poursuivre les réformes structurelles, de se montrer impitoyable sur l’évasion fiscale, mais aussi d’alléger la fiscalité qui pèse sur le travail, de faire des coupes budgétaires là où elles sont nécessaires, sans sacrifier des domaines vitaux comme l’innovation ou l’éducation et enfin de prendre des mesures rapides et ciblées pour dynamiser la croissance et l’emploi, notamment pour la jeunesse. "Dans le cadre des règles budgétaires existantes, nous avons la possibilité de faire face à un ralentissement économique", assure Herman Van Rompuy qui a souligné que, derrière les objectifs budgétaires chiffrés, on tenait aussi compte des efforts structurels des différents pays.
En ce qui concerne l’examen de la situation luxembourgeoise dans le cadre du semestre européen, Jean-Claude Juncker a rappelé que l’indexation des salaires est dans la ligne de mire depuis longtemps déjà, ainsi qu’en avaient témoigné les recommandations émises en 2012. Mais le Premier ministre a assuré qu’au-delà de la modulation du système adoptée par le gouvernement, il n’était pas besoin d’agir sur l’index avant l’automne 2014, donc après les élections législatives de 2014. Le sujet n’en restera pas moins au cœur des débats qui vont animer la campagne électorale d’ici là, ainsi que l’a montré sa proposition, formulée lors du dernier congrès du CSV, de le plafonner.
Pour le court terme, c’est la lutte contre le chômage et, plus largement, les mesures visant à contrer les conséquences sociales de la crise, qu’Herman Van Rompuy a mises en exergue. Ainsi, la lutte contre le chômage des jeunes a-t-elle été au cœur des discussions de ce Conseil. Le chômage apparaît dans les conclusions comme "le défi social le plus important auquel nous devons faire face". Le président de la Commission a ainsi fait le point sur les résultats des décisions prises un an auparavant, expliquant que les 16 milliards d’euros provenant de fonds structurels non utilisés réorientés vers les pays les plus gravement frappés par le chômage des jeunes avaient permis d’aider près de 800 000 jeunes et 55 000 PME dans l’UE.
Les conclusions mentionnent aussi l’importance qu’il y a à mettre en œuvre les réformes du marché unique dans le cadre de l’Acte pour le marché unique. Un dossier sur lequel Herman Van Rompuy avait attiré l’attention des chefs d’Etat et de gouvernement en amont du Conseil dans une lettre les appelant à l’action en la matière. Comme le mentionnent les conclusions du Conseil européen en effet, "le marché unique demeure un moteur essentiel de la croissance et de l'emploi".
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont fixé un calendrier pour aborder dans les prochains mois, les différents "aspects sectoriels et structurels qui sont essentiels pour la croissance économique et la compétitivité européenne" : énergie en mai, innovation et stratégie numérique en octobre, défense en décembre, tandis que les questions de compétitivité et politique industrielles seront abordées en juin 2013 puis en février 2014.
Mais en attendant, le Conseil européen de juin sera aussi l’occasion non seulement d’examiner les plans nationaux de réformes des Etats membres, mais aussi les résultats du pacte pour la croissance adopté en juin 2012. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont eu un premier rapport le 14 mars 2013 sur ce pacte de croissance dans le cadre duquel l’augmentation de capital de la BEI décidée a déjà permis de cofinancer des projets pour les trois prochaines années à hauteur de 180 milliards d’euros.
Les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se sont réunis plus tard dans la soirée du 14 mars pour un sommet de la zone euro au cours duquel ils ont fait le point sur les travaux en cours consacrés aux quatre volets recensés dans ses conclusions de décembre 2012 sur l'approfondissement de l'UEM. Ils ont notamment adopté les règles qui régiront l’organisation des sommets de la zone euro.
La question de l’aide à Chypre, qui doit faire l’objet d’une réunion extraordinaire de l’Eurogroupe dans la soirée du 15 mars 2013, s’est invitée dans le Conseil européen, auquel participait pour la première fois le président chypriote nouvellement élu. Ainsi, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien président de l’Eurogroupe, a-t-il émis dans la nuit du 14 au 15 mars le souhait que la réunion de l’Eurogroupe permette "non seulement d’avancer sur Chypre, mais de trouver une solution". "Je ne peux pas imaginer que nous laissions passer le week-end sans avoir résolu le problème chypriote", a insisté le Premier ministre luxembourgeois qui n’a de cesse de rappeler que toute crise affectant aussi gravement un Etat membre de la zone euro que c’est le cas pour Chypre est systémique.
Interrogé sur un effacement de dette qui ferait subir des pertes aux créanciers privés, une solution rejetée par Nicosie, Jean-Claude Juncker a dit ne pas être d’avis "que nous devrions aller vers cette solution de manière aveugle", invitant plutôt à "rechercher une solution qui ne soit pas un effacement pur et simple"."La Grèce étant un cas unique, nous ne reproduirons jamais la solution qui fut appliquée à la Grèce", a-t-il insisté, attirant l’attention sur la "crédibilité" de la zone euro.
Le conflit syrien a longuement occupé les chefs d’Etat et de gouvernement lors de la deuxième journée du Conseil, la France et le Royaume-Uni défendant l’idée de livrer des armes à l’opposition syrienne.
"La question de la levée de l'embargo a été soulevée par quelques Etats membres. Nous nous sommes mis d'accord pour demander aux ministres des Affaires étrangères d'examiner d'urgence la situation au cours de leur réunion informelle prévue la semaine prochaine à Dublin et d'élaborer une position commune", a déclaré à ce sujet Herman Van Rompuy à l'issue du Conseil. Les Etats membres devaient "développer une position commune", en raison de la "frustration grandissante par rapport à la situation humanitaire et au manque de progrès" vers une solution politique, a-t-il précisé.
Au premier jour du Conseil, Jean-Claude Juncker avait confié qu’il souhaiterait que l’UE arrive à s’entendre sur une ligne commune. "Cela ne mène à rien si les uns et les autres disent des choses contradictoires, nous devons prendre une décision commune", avait-il indiqué.
Fin février, les 27 avaient décidé de proroger pour trois mois les sanctions contre la Syrie, parmi lesquelles compte l’embargo sur les armes. Ils ont toutefois levé les restrictions sur la fourniture d'équipements non-létaux et sur l'assistance technique "pour aider l'opposition et protéger les civils".
Mais l’idée de livrer des armes à l’opposition divise profondément l’UE.
Le président français, François Hollande, a indiqué que la France était "prête à prendre ses responsabilités "en l'absence de consensus européen. "Nous avons comme objectif de convaincre nos partenaires à la fin du mois de mai, et si possible avant. Nous allons employer notre sens de la diplomatie. Si d'aventure, il devait y avoir un blocage d'un ou deux pays, alors la France, elle, prendrait ses responsabilités", a-t-il dit.
Mais nombreux sont les pays européens affichant de la réticence à cette idée. Le chancelier autrichien, Werner Faymann, s'est ainsi déclaré "contre une levée de l'embargo" car une livraison d'armes "ne contribuerait pas à mettre fin au conflit". Il a mis en garde contre le risque que "ceux de l'autre côté", qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad, "livrent encore plus d'armes". Son homologue allemande, Angela Merkel, a également plaidé la prudence: "Nous devons faire attention" à ce que le régime "ne reçoive pas encore plus d'armes de la part de pays" qui le soutiennent, a-t-elle dit.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères s’était lui aussi ouvert des ses doutes dans un entretien accordé au matin du 15 mars 2013 à la Radio Berlin-Brandenburg (RBB). Jean Asselborn mettait en garde contre le fait que, "si des armes européennes doivent être livrées à l’opposition, il va falloir prendre la responsabilité de ce qu’il adviendra de ces armes". La lecture des rapports d’Amnesty international sur les manières de procéder de certains membres de l’opposition n’est pas pour le tranquilliser, sans compter qu’il faut bien réfléchir au fait que ces armes pourraient se retrouver aux mains de salafistes.
Mais Jean Asselborn mettait surtout en garde contre de mauvaises décisions, mais aussi de mauvais signaux en ce qui concerne l’unité de l’UE. Il rappelait en effet la décision toute récente de poursuivre l’embargo sur les armes, et il prévenait que si cette décision devait ne pas être respectée ce serait "un coup dur pour une politique étrangère commune, et un atout pour ceux qui misent toujours sur la désunion de l’Union dans les questions capitales".
"Nous avons une position commune, et je peux bien sûr comprendre que les pays affirment qu’ils sont souverains. Mais nous ne pouvons pas dire que nous sommes des pays souverains et ignorer ce qui a été décidé dans l’UE", a expliqué Jean Asselborn. Pour le ministre luxembourgeois, s’il faut adapter la décision en fonction de nouvelles analyses, de nouveaux points de vue, alors cela doit être fait en Conseil Affaires étrangères.
Lorsque la journaliste lui demandait s’il fallait comprendre qu’il ne voulait "pas se laisser mettre sous pression par la France et la Grande-Bretagne", Jean Asselborn n’était pas certain de pouvoir dire si la France et la Grande-Bretagne souhaitaient mettre leurs partenaires européens sous pression.
A l’issue du Conseil européen, Jean-Claude Juncker a dit toutefois "regretter", au nom des trois pays du Benelux, "certaines formes de pression exercées des derniers jours". Les jugeant "déplacées", il estime qu’elles ont donné l’impression que l’on ne pouvait "pas exclure que certains pays fassent cavaliers seuls". Or, estime le Premier ministre luxembourgeois, il en va de la crédibilité de la politique étrangère et de sécurité commune, ce qui explique pourquoi il a plaidé, avec ses homologues belge et néerlandais, pour que l’on parvienne à une position commune.