Dans le contexte de la crise chypriote, l’importance du secteur financier par rapport à l'ensemble de l’économie luxembourgeoise fait l’objet d’une grande attention. Les déclarations de Jeroen Dijsselbloem au Financial Times le 25 mars 2013, quelques heures après qu’un accord a pu être trouvé sur le plan d’aide à Chypre, a relancé de plus belle une controverse dont on avait commencé à sentir les premiers effets la semaine dernière.
Le Luxemburger Wort publie dans son édition datée du 27 mars 2013 un entretien que le ministre des Finances, Luc Frieden, a accordé à la journaliste Dani Schumacher.
Il y revient dans un premier temps sur l’accord qui a été trouvé au petit matin du 25 mars 2013 sur le plan d’aide à Chypre, rappelant, comme il l’avait déjà fait au sortir de la réunion, que l’essentiel était qu’une solution ait pu être trouvée. L’accord est le fruit d’un compromis très difficile, explique-t-il, soulignant qu’il s’agissait d’une part de mettre à disposition des fonds provenant de l’ESM et d’autre part de veiller à ce que Chypre même, ainsi que les banques, assument leur part de responsabilité. Conscient que "ce n’est pas une solution parfaite", le ministre luxembourgeois considère toutefois que le compromis a l’avantage de rencontrer l’assentiment des 17 Etats membres de la zone euro.
Interrogé sur les déclarations de Jeroen Dijsselbloem qui ont laissé entendre, avant d’être précisées par voie de communiqué, que la méthode choisie pour Chypre pourrait servir de modèle pour d’autres plans de sauvetage, Luc Frieden assure que la solution choisie pour Chypre ne peut s’appliquer que pour Chypre, et elle démontre d’ailleurs la difficulté qu’il y a à impliquer dans la responsabilité des acteurs comme les banques, et les risques considérables que cela implique.
"Les deux banques qui vont être respectivement restructurée et mise en faillite n’étaient pas en mesure de survivre", rappelle Luc Frieden qui rapporte qu’Herman Van Rompuy, José Manuel Barroso et Nikos Anastasiades sont donc parvenus à la conclusion qu’il vaudrait mieux restructurer fondamentalement ces deux institutions financières à condition que les dépôts bancaires en-dessous de 100 000 euros soient garantis. "Sur le principe, je ne trouve pas convaincant un tel modèle", confie Luc Frieden qui est d’avis, pour des raisons de stabilité, qu’il est important de sauver toutes les banques, ainsi que l’a fait le Luxembourg dans le cas de la BGL et de la BIL. Et il assure que tout sera fait à l’avenir pour garantir les dépôts des clients au Luxembourg, ce qui implique que les banques soient bien structurées et bien surveillées.
La journaliste du Wort évoque ensuite les "parallèles qui sont faits entre Luxembourg et Chypre", et Luc Frieden rapporte avoir eu une discussion la veille, le 26 mars 2013, avec le président de l’Eurogroupe, Jeroen Disselbloem. "Il m’a confirmé n’avoir à aucun moment dit que le secteur financier luxembourgeois était trop grand et aurait dû être réduit", annonce Luc Frieden.
Pour lui, la taille d’un pays ne dit rien sur la stabilité de sa place financière, ce à quoi il ajoute, comme il l’avait déjà fait, que le secteur financier luxembourgeois est très différent de celui de Chypre. "Il y a au Luxembourg 140 banques internationales, l’éventail de produits est bien plus large, les clients proviennent d’un très grand nombre de pays de l’UE et hors de l’UE", répète Luc Frieden. Noté triple A, le Luxembourg respecte les standards internationaux, et la place luxembourgeoise est donc toujours sûre, indépendamment de la taille du pays et de l’importance du secteur, poursuit Luc Frieden.
Il insiste sur le fait que la taille en soi n’est pas un critère, et il donne pour preuve l’exemple de l’Espagne, grand pays qui a appelé à l’aide pour sauver ses banques. Ainsi, "la discussion sur les parallèles entre Chypre et Luxembourg est infondée", estime Luc Frieden en répétant que la stabilité d’une place bancaire ne se mesure pas à la taille d’un pays. "Nous avons besoin de places financières internationales en Europe", argue encore Luc Frieden en soulignant le sérieux, la stabilité et l’ouverture internationale de la place luxembourgeoise, où aucune banque n’a encore fait faillite.
Revenant à Chypre, Luc Frieden indique que le Luxembourg ne s’est jamais prononcé pour que Chypre réduise son secteur financier, mais qu’il importait que la place financière chypriote reste stable. "Une économie diversifiée est importante pour tout pays, que ce soit pour Chypre ou pour Luxembourg", affirme Luc Frieden. Mais pour ce qui est du Grand-Duché, il assure que la place financière va rester encore de longues années le principal pilier de son économie et qu’il va tout faire pour continuer à consolider le secteur bancaire. Car, estime Luc Frieden, "sans une place financière forte, nous ne pouvons pas nous offrir un Etat social fort". Et comme la croissance de l’économie est très lente en Europe, il entend miser sur le développement du secteur financier en direction des régions du monde qui affichent une forte croissance.
Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a pour sa part accordé un entretien à l’agence de presse Reuters le 26 mars 2013, ainsi qu’en rend compte Andreas Rinke dans le Tageblatt daté du 27 mars. "Je peux très difficilement supporter le terme de modèle économique", a-t-il dit en référence aux déclarations du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui avait appelé Chypre à en changer.
Et pour ce qui est des inquiétudes concernant la place financière luxembourgeoise, Jean Asselborn assure que "l’Allemagne n’a pas le droit de fixer les modèles économiques des autres pays de l’UE", et qu’elle "ne peut aller jusqu’à étrangler les autres pays sous couvert de questions financières techniques". Le vice-Premier ministre ne perd pas non plus de vue que les grandes banques allemandes sont par ailleurs toutes actives au Luxembourg, de même que de nombreuses banques non européennes et de nombreux fonds. Selon lui, vouloir réduire le secteur financier luxembourgeois porterait préjudice à toute l’UE.
Jean Asselborn dit constater une tendance des grands pays de l’UE à exercer de la pression sur les petites places financières, pour des raisons de concurrence. Or, il ne peut admettre que l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni défendent leur propre place et plaident pour la fin des autres places financières. Cela contrevient selon lui fondamentalement à l’esprit européen, au marché intérieur et à la solidarité. "C’est un élan hégémonique qui est infondé et non-européen", critique le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois. Et, s’il admet que la place financière est souvent évoquée de façon négative à Paris, le ministre estime toutefois que c’est en Allemagne qu’il faut chercher l’origine de cette controverse, le gouvernement allemand ayant joué un rôle déterminant pour que ceux qui ont profité de la place financière chypriote participent au sauvetage et pour que le secteur bancaire y soit réduit. De même, Jean Asselborn constate que ce sont des hommes politiques allemands qui ont fait avancer le débat sur les autres places financières. "Je dresse donc l’oreille quand on décline depuis Berlin ce à quoi doit ressembler le modèle économique d’un pays", a déclaré le ministre.
Pour Jean Asselborn, on a travaillé longtemps en Europe à faire une Allemagne européenne, mais il ne faut pas que l’Union devienne une Europe allemande. Car chaque pays a son histoire, ses traditions, ses forces, et les plus petits Etats membres doivent avoir des niches et se spécialiser. C’est ainsi que le la place financière luxembourgeoise s’est développée depuis les années 60, mais aussi que l’industrie satellitaire s’est installée. Jean Asselborn est donc inquiet quand il entend que le secteur bancaire serait "surdimensionné". Le reproche est douloureux pour lui.
A la suite de la publication de ces entretiens, le service d’information et presse a diffusé dans la matinée du 27 mars 2013 une prise de position du gouvernement luxembourgeois qui affirme que les marchés financiers européens ont besoin de secteurs financiers internationaux forts. Convaincu de l’importance d’un bon fonctionnement du marché intérieur, le gouvernement luxembourgeois plaide pour une approche européenne. Et il se dit "préoccupé par les récentes déclarations faites dans le contexte de la crise chypriote et exacerbé par des comparaisons entre secteurs financiers internationaux dans la zone euro et par des réflexions sur la taille d’un secteur financier par rapport à son produit intérieur brut du pays et les prétendus risques que ceci poserait pour la soutenabilité budgétaire et économique".
Dans ce communiqué, le gouvernement affirme appuyer "pleinement le programme d’ajustement pour Chypre qui est nécessaire pour restaurer à Chypre une croissance soutenable, pour y rétablir des finances publiques saines et pour retrouver l’accès aux marchés financiers". Et il rappelle qu’il a été considéré lors des discussions que "le secteur financier à Chypre est structurellement déséquilibré et a besoin de mesures amenant, à l’horizon de 2018, la réduction du secteur bancaire au niveau moyen dans l’Union européenne".
Mais le gouvernement insiste aussi pour souligner le "caractère fondamentalement international" du secteur financier luxembourgeois, "qui fait de lui un point d’entrée important pour les investissements dans la zone euro". "Ce secteur contribue à la compétitivité générale de tous les Etats membres", argue le gouvernement luxembourgeois en mettant en exergue sa clientèle diversifiée, ses produits sophistiqués, sa supervision efficace et l’application rigoureuse des standards internationaux qui y est de rigueur.
"La taille appropriée d’un secteur financier ne saurait se déterminer en fonction de son rapport avec le PIB", affirme le gouvernement, comme l’avaient fait les ministres auparavant. Il met en avant l’importance primordiale de la qualité et de la stabilité du secteur ainsi que de sa taille par rapport non pas à l’économie nationale mais bien par rapport à la zone euro et au marché intérieur dans leur ensemble. Pour le Luxembourg, "l’argument de la proportionnalité est contraire aux aspirations politiques et conceptuelles du marché intérieur".