En juillet 2012, la Commission européenne proposait de modifier la directive de 2003 établissant le système d’échange de quotas d’émission (SEQE, ou encore EU ETS en anglais) de façon à reporter la mise aux enchères d’une certaine quantité de quotas à compter du 1er janvier 2013. Une initiative confirmée et précisée en novembre 2012, lorsque la Commission a proposé de réduire de 900 millions le nombre de quotas à mettre aux enchères au cours des années 2013 à 2015 et d'augmenter d'autant le nombre de quotas mis aux enchères à la fin de la phase 3. Il s’agit pour la Commission d’éviter de noyer plus avant les marchés, à un moment où la demande est faible en raison de la crise économique et où les prix du carbone sont donc au plus bas.
Le 19 février 2013, la commission Environnement du Parlement européen, qui est la commission chargée de ce dossier, a approuvé la possibilité d’autoriser un gel des enchères de certains quotas d’émission afin d’aider à encourager les investissements verts. Mais quelques semaines avant, les eurodéputés de la commission de l’Industrie (ITRE) adoptaient un avis appelant à rejeter ce gel en raison de la charge que pourrait représenter pour l’industrie européenne, déjà mise à mal par la crise, la hausse du prix des certificats que ce gel impliquerait.
Le 16 avril 2013, les parlementaires européens réunis en plénière ont finalement voté contre le gel des enchères d'une portion de quotas d'émissions de CO2 visant à augmenter le prix du "permis de polluer" dans l'UE. Une majorité de parlementaires a estimé qu'une intervention sur l'offre affaiblirait la confiance dans le système d'échange de quotas d'émissions (SEQE ou ETS), destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
La proposition de gel des crédits, surnommée "backloading", a été rejetée à une majorité serrée, 334 députés votant pour le rejet de la proposition, 315 contre et 63 s'abstenant. La proposition sera donc renvoyée en commission de l'environnement du Parlement.
Les députés qui s'opposent à cette mesure appellent à une réforme plus en profondeur de l'ETS et redoutent qu'une intervention sur l'offre de crédits n'affaiblisse la confiance des opérateurs dans le système. Certains craignent également qu'une hausse du prix du carbone ne diminue la compétitivité de l'industrie européenne et ne se répercute sur les factures énergétiques des ménages.
Dans l'autre camp, ceux qui soutiennent cette mesure estiment qu'une offre excédentaire des crédits doit être corrigée pour faire en sorte que le système fonctionne comme initialement prévu. Ils considèrent que l'augmentation du prix du carbone aidera à catalyser la transition de l'UE vers une économie verte en stimulant l'investissement et l'innovation. Un prix plus élevé pourrait également faciliter la connexion du marché du carbone européen avec ceux d'autres régions.
"Je regrette profondément le vote d'aujourd'hui. C'est le début de la renationalisation de la politique climatique", a déclaré le rapporteur Matthias Groote (S&D). "Ce type de politique est entre les mains de sceptiques en matière de changement climatique. Le rejet de la proposition affaiblit le système d'échange des quotas d'émission et met en danger nos objectifs climatiques", a-t-il ajouté.
Le clivage qui est apparu au Parlement européen se ressent aussi parmi les eurodéputés luxembourgeois, comme en témoignent leurs votes. Les trois députés PPE, Georges Bach, Frank Engel et Astrid Lulling ont voté contre ce texte, ainsi que le socialiste Robert Goebbels, tandis que Charles Goerens (ADLE) et Claude Turmes (Verts (ALE) se sont prononcés en sa faveur.
Le groupe PPE a salué le rejet de ce texte, voyant dans le vote du Parlement européen "la preuve que cette institution agit de façon responsable" et va permettre "d’éviter une hausse des prix de l’énergie pour les consommateurs". L’intervention sur le marché du carbone rendrait la lutte contre le changement climatique plus coûteuse et moins efficace, estime en effet le porte-parole du groupe pour les questions d’environnement.
Le journaliste Marcel Kieffer rapporte dans le Luxemburger Wort daté du 17 avril 2013 qu’il est "inacceptable" aux yeux d’Astrid Lulling que "des mesures de planification de l’économie soient appliquées à un instrument tourné vers l’économie de marché". Pour Georges Bach, la proposition faite ne présente pas "une solution pour les difficultés de l’échange d’émissions".
Robert Goebbels (S&D) et Claude Turmes (Verts/ALE) ont expliqué leurs positions respectives par voie de communiqués.
Robert Goebbels est contre le "backloading" du système d'échange de certificats d'émissions, un système qu’il juge "inique et pourri". "Certains marchés ont été fermés pendant des mois suite à des fraudes, des falsifications de certificats et la folie spéculative des marchés financiers", rappelle-t-il en dénonçant la volonté de la Commission de "manipuler ce marché pour faire monter les prix". L’eurodéputé socialiste luxembourgeois craint qu’il en résulte "un fardeau supplémentaire pour l'industrie qui veut continuer à investir et à produire en Europe".
Plus largement, Robert Goebbels pointe le fait que l’UE est "seule à continuer les recettes du protocole de Kyoto". "L'Europe, dont les émissions sont tombées à moins de 11% des émissions globales, ne pourra pas porter tout le poids de la lutte contre les émissions", argue Robert Goebbels qui dit "non à une politique anti-industrielle".
Claude Turmes, qui s’était déjà exprimé en faveur d’un gel des quotas, a pour sa part réagi avec virulence au rejet par le Parlement européen de ce projet de réforme du système européen d’échange de quotas. Par ce blocage, met-il en garde, la surallocation de droits d’émissions va continuer, et les industries de toute l’Europe vont continuer à faire des affaires en or sans être soumises à des contraintes concrètes en matière de lutte contre le changement climatique. L’eurodéputé luxembourgeois cite à nouveau l’exemple d’ArcelorMittal qui a accumulé une grande quantité de droits d’émissions sur les sites d’Esch/Alzette et de Schifflange sans y avoir développé d’activités industrielles concrètes mais en en tirant sans doute d’importants revenus.
Ce que Claude Turmes retient de ce vote, c’est que l’importance accordée à la lutte contre le changement climatique est en train de se réduire comme peau de chagrin alors que les changements climatiques sont massifs et visibles. Il y voit par conséquent un appel dramatique à tous ceux à qui n’importent pas les générations à venir. La seule réponse politique qu’il envisage, c’est que la Commission mette sur la table une proposition de réforme pour passer à un nouveau système d’échange de quotas. En attendant, il appelle les Etats membres responsables à prendre des initiatives nationales pour soutenir des mesures de lutte contre le changement climatique dans l’industrie.
La commissaire en charge du dossier, Connie Hedegaard a réagi aussitôt après le vote en regrettant que sa proposition ait été rejetée. Elle relève toutefois que la proposition est renvoyée en commission ENVI où elle va être à nouveau examinée. Par ailleurs, elle attend aussi que les discussions aboutissent au Conseil, qui n’a pas encore adopté de position sur cette proposition. Convaincue que le gel de quotas pourrait aider à restaurer la confiance dans le système d’échange de quotas à court terme, la commissaire ne perd pas de vue qu’il faudra prendre des mesures plus structurelles et qu’il convient d’y réfléchir dès à présent.
Une proposition législative distincte, rédigée par Peter Liese (PPE), a été adoptée par 577 voix pour, 114 contre et 21 abstentions. Elle comprend un accord avec le Conseil visant à suspendre temporairement l'application de l'ETS pour les vols intercontinentaux, afin de faciliter les progrès vers un accord global au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).
"Les émissions du secteur de l'aviation ont plus ou moins doublé depuis 1990. Elles sont en constante augmentation", a souligné le rapporteur Peter Liese. "Les objections des pays tiers pour être inclus dans l'ETS ne sont pas fondées. Nous arrêtons seulement le compteur car nous souhaitons conclure les grands axes d'une convention internationale au sein de l'OACI. Nous ne sommes pas disposés à maintenir cette dérogation au-delà d'un an". Le rapporteur a appelé l'UE à lancer un défi au Secrétaire d'État américain, John Kerry, lors des négociations; "après le projet de loi Kerry-Lieberman, si les États-Unis ne font pas d'efforts en faveur de la conclusion d'un accord à l'OACI, M. Kerry perdra sa crédibilité", a-t-il ajouté.
Robert Goebbels a expliqué avoir voté pour la suppression des quotas d'émissions imposés à l'aviation civile internationale. La Commission s'était référée au protocole de Kyoto, rappelle-t-il, soulignant que ce dernier avait exclu les secteurs de l'aviation et maritimes. "Néanmoins l'UE a voulu montrer "l'exemple" au reste du monde", note-t-il, rappelant que le Congrès américain a adopté une loi interdisant aux compagnies aériennes de payer des droits d'émissions en Europe."Obama a signé cette loi, et maintenant l'Europe est en train de rétropédaler", résume l’eurodéputé, un brin moqueur.