Plusieurs eurodéputés avaient déjà réagi, à vif, aux nouvelles révélations sur les programmes de surveillance de la NSA que le Spiegel a publié au cours du dernier week-end de juin sur la base d’informations détenues par Edward Snowden. Dans la foulée, le Parlement européen a mis à l’ordre du jour de sa session plénière ce sujet d’actualité des plus sensibles le 3 juillet 2013.
Au matin de cette journée, le Tageblatt publiait un article dans lequel le journaliste Guy Kemp exposait les commentaires de quatre eurodéputés luxembourgeois au sujet de cette affaire.
Frank Engel (PPE), prudent, voudrait savoir avant de tirer des conclusions hâtives, notamment sur un éventuel blocage des négociations de l’accord de libre échange entre UE et Etats-Unis, dans quelle mesure les autorités américaines ont agi à l’encontre des Européens. Et il juge aussi nécessaire de parler avec les Américains.
Pour Charles Goerens (ADLE), il serait prématuré de suspendre les négociations à ce stade, même si l’eurodéputé juge nécessaire de tirer les conséquences politiques de cette affaire après en avoir discuté de façon approfondie. Le parlementaire libéral se prononce pour la mise en place d’une commission d’enquête. Plus généralement, il se demande au sujet de la collecte de données opérée par la NSA s’il faut mettre en œuvre tout ce qui est techniquement faisable.
Robert Goebbels (S&D) s’interroge lui aussi sur ce que les Etats-Unis vont bien pouvoir faire de la masse de données recueillies. L’eurodéputé socialiste établit un parallèle avec l’ex-URSS et la RDA, "deux Etats qui ont tout contrôlé et n’ont pourtant pas été capable de prévoir et d’arrêter leur effondrement". S’il est conscient de l’importance de l’accord de libre échange pour l’UE, Robert Goebbels estime que les Etats-Unis devraient donner une garantie qu’il va bien être mis fin à l’espionnage. Car il n’est pas acceptable que des partenaires de négociations s’espionnent mutuellement aux yeux de l’eurodéputé qui constate aussi que la sphère privée des citoyens n’est pas protégée au Luxembourg non plus.
Claude Turmes (Verts/ALE) exige pour sa part que la directive sur la protection des données qui est en cours d’élaboration serve de base pour un accord avec les Etats-Unis sur la protection des données. L’eurodéputé s’interroge par ailleurs sur le degré de participation des services secrets allemands et britanniques dans les activités de la NSA. Il propose par ailleurs qu’Edward Snowden se voie offrir l’asile par l’Europe, car c’est à son courage que les Européens doivent d’avoir découvert qu’ils étaient sous surveillance.
Au cours du débat du 3 juillet 2013, le vice-ministre lituanien des affaires étrangères et européennes, Vytautas Leškevičius, qui s’exprimait au nom de la présidence, a insisté pour rappeler que les Etats-Unis sont le plus important partenaire stratégique et allié de l’UE, tout en ajoutant que cela ne signifie par pour autant qu’il faut garder le silence.
"Pour que les négociations sur l’accord de libre échange puissent réussir, il doit y avoir de la confiance et de la clarté entre les partenaires, ce qui exclut l’espionnage", a déclaré pour sa part la commissaire Viviane Reding au sujet des allégations d’espionnage des institutions européennes de la part des autorités américaines. La commissaire a annoncé avoir reçu la veille un courrier dans lequel Eric Holder, le ministre états-unien de la Justice, l’informe de la mise en place d’un groupe d’experts qui va se réunir en juillet puis en septembre. Dans ce contexte, elle a assuré que la Commission veillerait à évaluer la proportionnalité du programme Prism au regard de la protection des données des citoyens de l’UE. Et elle s’est engagée à rendre compte de ces travaux devant le Conseil et le Parlement européen au mois d’octobre. Viviane Reding a également appelé le Parlement à adopter la législation nécessaire à la protection des données dès que possible.
Manfred Weber, qui parlait au nom du PPE, a déclaré que ce que les Etats-Unis avaient fait était "inacceptable" : "On n’espionne pas ses amis, et on n’espionne pas en masse les citoyens des pays amis". Cependant, il a ajouté que l’Union européenne et les Etats-Unis partagent toujours des intérêts communs tels que la croissance et l’emploi et que l’accord de libre-échange ne devrait pas être suspendu. Un peu plus tôt dans la journée, Axel Voss, qui appartient au même groupe politique, avait appelé à une pleine transparence de la part des autorités américaines, y voyant la condition à un retour de la confiance. Mais il ne perdait pas de vue non plus la nécessité de renforcer la sécurité juridique des citoyens de l’UE aux Etats-Unis.
Ce que les Américains ont fait est un signal d’alarme pour le Parlement européen, c’est ce qu’a affirmé l’eurodéputé Dimitrios Droutsas, en charge du dossier sur le traitement transfrontalier des données pour le groupe S&D. Et il a par conséquent insisté sur la nécessité de maintenir un haut niveau de protection des données, et même d’essayer de le renforcer, car il en va de la protection des droits fondamentaux. Il a ajouté que cela pourrait affecter les négociations pour l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. "Certains collègues pourraient dire que nous mettons en péril des milliers de nouveaux emplois, mais nous ne pouvons pas tout sacrifier et nous ne pouvons pas renoncer aux droits des citoyens européens". La vice-présidente du S&D, Sylvie Guillaume, proposait de repousser les négociations sur cet accord, car elles nécessitent selon elle confiance et transparence entre partenaires pour pouvoir aboutir.
Sophie In ‘t Veld, qui parlait au nom du groupe ADLE, a appelé Commission et Conseil à agir afin de veiller à ce que les citoyens puissent bénéficier de la protection juridique de l’UE, car il n’est pas tolérable à ses yeux que "les Etats-Unis ou tout autre pays fassent appliquer directement leurs législations sur le territoire de l'UE". "De toute évidence cette situation aura un impact sur les autres politiques", a-t-elle ajouté, appelant à "examiner si les accords PNR et SWIFT sont encore valables dans ces circonstances". Pour autant, l’eurodéputée libérale estime que ce serait "une grave erreur" que d’utiliser "le prétexte de cette situation pour interrompre les négociations sur le Traité commercial et d'investissement transatlantique". De son point de vue, "les pourparlers doivent donc se poursuivre, mais nous ne pourrons rien signer sans précisions sur ces questions de cybersurveillance".
Jan Philipp Albrecht, qui suit la réforme de la protection des données pour le groupe des Verts, s’est prononcé en faveur d’une enquête parlementaire, mais aussi pour un renforcement de la protection des données dans l’UE et des règles communes en la matière avec les Etats-Unis. Il estime nécessaire d’évaluer à la lumière des circonstances les accords entre l’UE et les Etats-Unis qui portent sur l’échange de données, à savoir Swift et PNR. "D’abord nous avons besoin de normes, ensuite nous coopérerons", a-t-il précisé au sujet de l’accord commercial, jugeant irresponsable la position des conservateurs et des libéraux qui veulent ouvrir les négociations sans condition.
Les Etats-Unis, ou n’importe quel Etat membre, ne devraient pas être condamnés sur base d’allégations qui n’ont pas été corroborées, c’est le point de vue exprimé par Timothy Kirkhope, membre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens, qui a souligné la nécessité de d’abord établir les faits.
Selon la députée allemande Cornelia Ernst, membre de la Gauche unitaire européenne et de la gauche verte, mettre des millions de citoyens et d’entreprises sous surveillance "n’a rien à voir avec le terrorisme mais est un crime organisé sur l’ordre des États-nation". Elle a demandé à ce qu’une commission d’enquête soit établie au sein du Parlement et qu’aucun accord commercial ne soit conclu avec les États-Unis tant que cela n’a pas été clarifié.
A la suite de ce débat marqué par un consensus sur la nécessité de clarifier la situation de la part des Etats-Unis, mais aussi par des interprétations différentes des conclusions qu’il faut en tirer, les parlementaires ont adopté, le 4 juillet 2013, une résolution sur laquelle sont parvenus à s’entendre les quatre principaux groupes politiques, à savoir les Verts/ALE, PPE, ALDE et S&D. Il en ressort notamment que la commission des libertés civiles mènera une enquête approfondie sur les programmes de surveillance américains, notamment sur les allégations d'écoute des bâtiments de l'UE et d'espionnage. Elle devrait présenter ses résultats d'ici la fin de l'année.
Dans la résolution adoptée par 483 voix pour, 98 voix contre et 65 abstentions, les députés font part de leurs graves inquiétudes concernant le programme Prism et d'autres programmes de surveillance, condamnent vivement l'espionnage des représentations de l'Union européenne, et appellent les autorités américaines à leur fournir, dans les meilleurs délais, l'ensemble des informations sur ces révélations.
Le Parlement s'inquiète, par ailleurs, des allégations sur des programmes de surveillance similaires qui seraient menés dans certains États membres, tels que le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas et la Pologne. Il les invite instamment à examiner la compatibilité de tels programmes avec le droit communautaire.
L'enquête de la commission des libertés civiles collectera des informations et des preuves provenant de sources tant américaines qu'européennes, et présentera ses conclusions dans une résolution d'ici la fin de l'année. Elle évaluera l'impact des activités de surveillance supposées sur le droit au respect de la vie privée et la protection des données des citoyens de l'UE, la liberté d'expression, la présomption d'innocence et le droit à un recours effectif.
Les députés participant à l'enquête présenteront des recommandations visant à empêcher de nouveaux cas similaires à l'avenir et à renforcer la sécurité informatique des institutions, organes et agences de l'Union.
Les députés soulignent qu'il est impératif de se doter de "procédures permettant aux lanceurs d'alertes de dénoncer les violations graves des droits fondamentaux" et qu'il est important d'offrir à ces personnes la protection dont elles ont besoin, y compris au niveau international.
Les députés invitent la Commission, le Conseil des ministres et les États membres à envisager d'user de tous les instruments à leur disposition dans les négociations avec les États-Unis, y compris la suspension des accords actuels sur les données des dossiers passagers (PNR) ou du programme de surveillance du financement du terrorisme (TFTP).
Les normes de l'Union en matière de protection des données ne devraient pas être mises à mal par l'accord commercial entre l'UE et les États-Unis, précise la résolution.
Le Parlement invite les pays de l'UE à accélérer leurs travaux sur l'ensemble des propositions relatives à la protection des données, et demande à la Commission et aux autorités américaines de reprendre sans délai les négociations sur l'accord relatif à la protection des données à caractère personnel. L'accord final doit veiller à ce que les citoyens de l'Union jouissent d'un accès au système judiciaire des États-Unis égal à celui des citoyens américains, ajoute le texte.