Les 13 et 14 septembre 2013 ont eu lieu à Vilnius les réunions informelles de l’Eurogroupe et du Conseil des Affaires économiques et financières Ecofin. Le Luxembourg y était représenté par son ministre des Finances, Luc Frieden.
Les ministres des Finances de l’Eurogroupe ont fait le point sur la situation économique et financière de la zone euro et passé en revue les programmes d’assistance financière pour Chypre, la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Ils ont aussi abordé l’union bancaire, où les discussions se sont portées sur le pilier résolution bancaire et la Directive BRRD (Banking Recovery and Resolution) proposée en juillet 2013 par la Commission. L’union bancaire étant ouverte à tous les Etats membres de l’UE, la discussion s’est faite à 28.
Lors de la réunion du Conseil Ecofin, organisée sous présidence lituanienne, les ministres ont discuté des prévisions de la situation économique et financière de l’Union européenne. Les autres sujets ont été l’accès au financement des petites et moyennes entreprises, les conclusions du dernier G20, avec en fond de toile la question de l’échange automatique d’informations.
La discussion sur la taxe sur les transactions financières (TTF) a par ailleurs été relancée après l’avis juridique du Conseil porté apr les médias à la connaissance du public quelques jours auparavant, et a suscité diverses déclarations, y compris de la part de Luc Frieden.
Une des premières décisions de la réunion informelle de l’Eurogroupe est la tenue, le 22 novembre 2013, d’une réunion extraordinaire des ministres des Finances de la zone euro pour faire le point sur les budgets nationaux et vérifier leur crédibilité et leur conformité avec les recommandations de la Commission européenne de mai 2013.
Cette discussion sur les budgets nationaux s'insère dans le cadre du "two pack", ce paquet législatif qui donne de nouvelles prérogatives à la Commission européenne comme celle d’exiger dès 2013 des changements sur les budgets présentés par les pays de la zone euro. Conformément au "two-pack", les 17 pays de la zone euro doivent soumettre jusqu’au 15 octobre 2013 leurs projets de budget pour l'année suivante à la Commission et au forum de l'Eurogroupe. Les règles du "two-pack" prévoient que si un projet de budget ne respecte pas les exigences du Pacte de stabilité, qui interdit les déficits supérieurs à 3 %, la Commission pourra exiger des changements. Les Parlements nationaux ont certes le dernier mot, mais si un parlement national décide contre l'avis de la Commission d'adopter un budget qui creuse le déficit, des sanctions sont possibles, avec des amendes correspondant à 0,2 à 0,5 % du PIB. Les avis de la Commission sur les projets de budget nationaux seront rendus à la mi-novembre.
A travers Olli Rehn, le commissaire européen en charge des affaires financières, la Commission a fait comprendre aux Etats membres qu’elle sera vigilante et ferme. Malgré les signaux encourageants d'une reprise déjà palpable, pour le commissaire chargé de l'euro, l'heure n'est pas venue de "crier que la crise est terminée" pense Olli Rehn. Et Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE, a même estimé que l'embellie qu'a connue la zone euro au 2e trimestre de cette année n'était que partiellement temporaire. Pour lui, tous les indicateurs démontrent que la reprise restera très lente et graduelle en cette fin d'année.
Les ministres de la zone euro ont donné leur feu vert au déblocage d'une nouvelle tranche d'aide pour Chypre, de 1,5 milliard d'euros sur les 10 milliards promis au pays, en se basant sur le rapport positif de la troïka qui rassemble les bailleurs de fonds de l'île. Le versement se fera fin septembre via le fonds de soutien de la zone euro, le MES ou SME. Avec ce versement, Chypre aura reçu 4,5 milliards d’euros du SME, ce qui représente la moitié du programme d’aide pour cet organisme, un milliard d’euros provenant du FMI.
Les programmes d’aide à l’Irlande, au Portugal et à l’Espagne expireront dans les prochains mois. Pour eux, il n’y a, selon le commissaire aux affaires financières, Olli Rehn "pas de règle unique ou de modèle uniforme à suivre, nous devrons regarder avec précaution quelle est la solution qui, dans chaque cas, assurera une sortie réussie" des plans d'aide. Il s’agira dans chaque cas d’assurer la stabilité financière et le renforcement de la reprise économique.
Le cas de l’Irlande sera discuté lors de la réunion de l'Eurogroupe de novembre 2013. Avant de revenir sur les marchés, Dublin espère ainsi bénéficier de mesures d'accompagnement qui pourraient se traduire par une ligne de crédit de plusieurs milliards d'euros ou par un recours au programme de rachat d'obligations de la Banque centrale européenne (BCE), qui n'a encore jamais été utilisé.
Pour savoir quand le cas de la Grèce sera discuté, les ministres attendront les conclusions d’une nouvelle mission de la "Troïka" (Commission européenne, BCE, FMI) qui commence le 16 septembre sous l’égide de discussions sur un possible trou budgétaire grec.
En ce qui concerne le cas du Portugal, le président de l’Eurogroupe, le ministre néerlandais Jeroen Dijsselbloem a déclaré qu’il est "important de s'en tenir à ce qui a été convenu au sein du programme, y compris les objectifs en matière de déficit budgétaire". En amont de la réunion, il avait en effet été question d’une demande d'assouplissement des contraintes budgétaires de la part du Portugal, avec notamment une réduction de l’objectif d’un déficit public de 4 % du PIB en 2014 à 4,5 %. Mais aucune demande dans ce sens n’a été soumise à l’Eurogroupe. Reste que le Portugal est confronté à une reprise fragile et à des soubresauts politiques, de sorte qu’il est plus difficile d'envisager son retour complet sur les marchés dès mi-2014.
L’Eurogroupe devra par ailleurs surveiller dans les prochains mois la Slovénie dont le secteur bancaire est confronté à des mauvaises créances s’élevant à 7 milliards d'euros selon le FMI. Le pays a récemment dû venir en aide à deux petites banques privées en leur fournissant des garanties publiques. Mais actuellement, la Slovénie pense avec son ministre des Finances, Uros Cüfer, qu’elle a assez d’argent sur ses comptes, de sorte que "nous sommes donc en mesure de nous en sortir par nous-mêmes." Un bilan de santé de 10 banques slovènes, dont les trois principales, détenues par l'État, est en cours. Les résultats devraient être connus d'ici deux mois.
Après le vote du 12 septembre 2013 au Parlement européen, le mécanisme de supervision unique placé sous l’autorité de la BCE, premier pilier de l’union bancaire devrait entrer en vigueur à l'automne 2014. Lors de la réunion à Vilnius, les ministres des Finances ont tenté d'avancer sur un autre pilier de l'union bancaire, le mécanisme de "résolution", pour régler le sort des banques en difficultés de la zone euro. Mais ce mécanisme de résolution bancaire divise encore les Etats membres. Les réticences sont particulièrement fortes du côté de l’Allemagne, de la Suède et du Royaume Uni. Elles portent notamment sur le rôle que pourrait jouer la Commission européenne dans le mécanisme de résolution bancaire, qui doit comprendre un conseil de résolution ainsi qu'un fonds pour régler le sort des banques en difficulté de la zone euro. Dans la proposition de la Commission de juillet 2013, c’est elle qui devrait prendre la décision de mettre en œuvre un plan de résolution pour une banque donnée. Les critiques de cette approche craignent que la Commission ne s'arroge des compétences trop importantes dans ce mécanisme. L’Allemagne craint par ailleurs d'être exagérément mise à contribution pour sauver des banques étrangères et est d’avis que la création d'un fonds commun de secours est incompatible avec le traité européen.
Le service juridique du Conseil de l’UE, qui avait déjà tablé au cours de la semaine un avis sur l’incompatibilité de la TTF avec la législation européenne, a également présenté à la réunion de Vilnius une analyse juridique attestant que le mécanisme de résolution bancaire ne requiert pas un changement de traité. Le mécanisme, qui concerne les banques de la zone euro puis des autres pays européens désireux de participer, se ferait sur la base d'un article du traité européen, qui traite de l'harmonisation des législations, l’article 114.
Pour Jörg Assmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne, qui était présent à Vilnius, "cet article constitue une base légale suffisante (...) pour aller de l'avant", alors qu’il "n'y a pas de temps à perdre". Le Conseil veut un accord sur ce dossier en décembre et son adoption avant les élections européennes de mai 2014, sinon le risque est grand que le projet ne soit reporté d’un an ou plus.
Chose importante, la Commission a, à travers le commissaire européen Michel Barnier, en charge du dossier, fait montre de flexibilité sur son futur rôle. "Il n'y a pas d'idéologie du côté de la Commission (qui) ne cherche pas un rôle supplémentaire. Elle en a déjà suffisamment", a souligné Michel Barnier, cité par l’AFP. Michel Barnier a trouvé la "discussion normale", et il est "sûr que nous allons trouver un compromis".
L'échange automatique d'informations, qui est appelé à devenir la norme à partir de 2015 dans l'UE, et sa compatibilité avec les normes en élaboration à l'OCDE pour permettre de généraliser l'EAI au niveau mondial, a été un autre point important abordé par les ministres.
La législation imposant l'EAI au niveau de l'UE - notamment la future directive révisée sur la coopération administrative dans le domaine fiscal - et les instruments pratiques pour la mettre en œuvre (accords, normes, protocoles, formulaires électroniques standards) devront être compatibles avec les mécanismes déjà existants au niveau international, comme la FATCA, imposée par la législation américaine, et avec le nouveau standard mondial pour l'échange automatique de données, qui sera développé dans les prochains mois par l'OCDE.
Selon la journaliste Marianne Truttmann du Wort, la réunion de Vilnius a donné lieu à peu de controverses, surtout depuis que l’UE a reçu le soutien du G20 pour aller dans la direction de l’EAI. L’UE doit encore se mettre d'accord sur une position commune à l'OCDE afin que les nouveaux instruments prévus pour la mise en œuvre de l'EAI au niveau mondial (normes, formulaires, protocoles, etc.) soient basés le plus possible sur ceux en vigueur dans l'UE, dans un souci d'économies substantielles.
Dans ce cadre, la position du Luxembourg n’a guère bougé depuis mai 2013. Le Luxembourg avait annoncé au mois d’avril 2013 qu’il passerait à l’échange automatique d’informations dans le cadre de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Il a aussi donné son accord, avec l’Autriche, pour donner mandat à la Commission de négocier avec la Suisse, le Liechtenstein, l’Andorre, Monaco et Saint-Marin en vue de modifier les accords avec ces pays en matière de fiscalité de l’épargne. Mais le Luxembourg et l’Autriche ont veillé à ce que ce mandat de négociations stipule bien, dans un souci de maintenir avec ces pays tiers un même niveau de compétitivité, que l’objectif soit aussi l’instauration de l’échange automatique d’informations. Ils ont donc remis à l’issue de ces négociations tout accord sur l’élargissement du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne.
La taxe sur les transactions financières (TTF) n’a pas été un sujet directement discuté à Vilnius. Mais l’avis du service juridique du Conseil de l’UE était présent dans les esprits et les questions des journalistes. Selon ce document, la proposition de directive mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières « dépasse les compétences des États membres en matière de taxation selon les normes du droit international » et ne respecte pas le traité de l’UE dans la mesure où elle « empiète sur les compétences fiscales des États membres non participants », à cause du principe de résidence. Ce mode de perception de la taxe aurait aussi pour effet des distorsions de concurrence au détriment d’institutions financières établies dans les Etats membres, dont le Luxembourg, qui ne participent pas à la coopération renforcée dans laquelle se sont engagés 11 Etats membres.
Pour le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, un des chefs de file de cette coopération renforcée, "même si le service juridique du Conseil a raison, ce n'est pas un coup fatal" pour la taxe, et "nous pouvons trouver une solution". "Nous avons toujours dit que la taxe sur les transactions financières sous forme d'une coopération renforcée" entre 11 Etats européens "ne se ferait pas facilement", a-t-il ajouté.
Le ministre des Finances luxembourgeois, Luc Frieden, par contre, qui partage les réserves du service juridique du Conseil, "ne voit pas venir cette taxe de sitôt". De même est-il convaincu que l’avis du Conseil jouera un rôle important dans le débat : "Si quelques Etats au sein de l’UE veulent aller dans cette direction, c’est leur droit le plus strict", a-t-il déclaré. Mais l’on ne peut pas éluder les implications transfrontalières de cette TTF. Et de conclure avec la position traditionnelle du Luxembourg:"J’ai toujours été d’avis qu’une telle taxe ne fait du sens que si elle inclut tous les grands centres financiers."