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Le Tribunal de l’UE annule les décisions de la Commission sur l’autorisation de la mise sur le marché de la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora, estimant que la Commission a violé les règles procédurales des régimes d’autorisation des OGM
Le gouvernement luxembourgeois s’était joint dès 2010 au recours introduit par la Hongrie contre l’autorisation d’Amflora sur lequel le Tribunal vient de trancher
13-12-2013


CJUESur le territoire de l’Union européenne, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne peuvent être disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché que s’ils font l’objet d’une autorisation, soumise à des conditions spécifiques et accordée en vue d’utilisations déterminées, après une évaluation scientifique des risques.

Le régime d’autorisation comporte deux procédures différentes qui sont appliquées en fonction de l’utilisation envisagée des OGM.

La première, dont les règles sont établies par la directive 2001/18/CE, a pour objectif d’autoriser des OGM en vue de leur dissémination volontaire dans l’environnement. Dans le cadre de cette procédure, il incombe, en principe, à l’État membre auprès duquel une entreprise a notifié une demande à cette fin d’émettre une autorisation. Toutefois, les autres États membres ainsi que la Commission peuvent soulever des objections vis-à-vis de la décision d’autorisation envisagée.

La seconde procédure d’autorisation, instaurée par le règlement 1829/2003, concerne les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Dans ce cas, la demande d’autorisation est évaluée au niveau de l’Union.

Lorsque, dans le cadre de la première procédure, une objection a été soulevée ou, dans le contexte de la seconde, une demande d’autorisation a été présentée, la décision définitive sur l’autorisation est prise par la Commission ou par le Conseil, sur la base des avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Dans ces cas, la Commission est assistée par deux comités composés des représentants des États membres, qui émettent leur avis respectif en connaissance des avis de l’EFSA. Si l’avis du comité compétent est favorable à l’autorisation de l’OGM, la Commission octroie l’autorisation.

Dans le cas contraire, ou si aucun avis n’a été donné, la Commission soumet une proposition d’autorisation au Conseil, qui peut l’accorder ou s’y opposer. Si le Conseil n’adopte pas de décision, la Commission accorde l’autorisation.

La société BASF Plant Science GmbH a, d’une part, via une filiale, demandé aux autorités suédoises d’autoriser la mise sur le marché de la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora en vue de sa culture et de son utilisation à des fins industrielles. Plusieurs États membres ayant émis des observations au sujet de cette demande, la prise de la décision définitive a été confiée aux autorités de l’Union.

D’autre part, la société BASF a directement déclenché une procédure d’autorisation auprès des autorités de l’Union en vue de la production d’aliments, à base de cette pomme de terre, pour animaux. Cette dernière demande couvrait également l'hypothèse de la présence fortuite de traces d’OGM dans les denrées alimentaires à consommation humaine ou animale.

 Après avoir reçu, en 2005, des avis favorables de la part de l’EFSA, la Commission a soumis des propositions d’autorisation aux comités puis, en l’absence d’avis de leur part, au Conseil, qui n’a pas adopté de décision. Par conséquent, la Commission aurait pu, à ce stade, accorder les autorisations demandées.

Toutefois, ayant reçu, au cours des procédures d’autorisation, des informations concernant des incohérences entre différents avis scientifiques de l’EFSA, la Commission n’a pas octroyé d’autorisations mais a décidé de consulter à nouveau cette autorité afin qu’elle apporte des éclaircissements sur ses avis. En juin 2009, l’EFSA a adopté un avis scientifique consolidé dans lequel elle a (en présence d’avis minoritaires en désaccord avec ses conclusions) confirmé que la pomme de terre Amflora ne présentait de risque ni pour la santé humaine ni pour l’environnement. À la suite de cet avis, les comités compétents n’ont pas été saisis de nouveaux projets de décisions d’autorisation par la Commission qui a, par décisions du 2 mars 2010, accordé les deux autorisations demandées.

Estimant cependant que la pomme de terre Amflora présente un risque pour la santé humaine et animale ainsi que pour l’environnement, la Hongrie a introduit un recours en annulation à l’encontre des décisions d’autorisation de la Commission. La France, le Luxembourg, l’Autriche et la Pologne sont intervenus au cours de la procédure au soutien des conclusions de la Hongrie.

Par son arrêt rendu le 13 décembre 2013, le Tribunal de l’Union européenne constate, tout d’abord, que la Commission, avant d’adopter les décisions contestées, n’a pas soumis aux comités compétents les projets modifiés de ces décisions, accompagnés de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 et des avis minoritaires.

Or, si les dispositifs des décisions attaquées sont identiques à ceux des projets de décisions initialement soumis aux comités compétents et au Conseil, tel n’est pas le cas du fondement scientifique retenu par la Commission pour adopter ces décisions. Par conséquent, le Tribunal relève que, en ayant décidé de demander un avis consolidé à l’EFSA, et en fondant les décisions attaquées notamment sur cet avis sans permettre aux comités compétents de prendre position ni sur l’avis ni sur les projets de décisions modifiés, la Commission s’est écartée des règles des procédures d’autorisation.

Dans ce contexte, le Tribunal estime que, si la Commission avait respecté ces règles, le résultat de la procédure ou le contenu des décisions attaquées aurait pu être substantiellement différent. En effet, les votes sur les projets antérieurs au sein des comités ayant été très divisés, et les conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009, assorties d’avis minoritaires, ayant exprimé davantage d’incertitudes que les avis antérieurs de l’EFSA, il n’était donc pas exclu que les membres des comités pussent revoir leur position et décider pour ou contre les autorisations demandées. De surcroît, en présence d’un avis défavorable ou en l’absence d’avis de la part des comités, la Commission aurait été tenue de soumettre les propositions d’autorisation au Conseil, qui aurait pu décider pour ou contre les autorisations en question. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure, en l’absence de décision de la part du Conseil, que la Commission aurait pu adopter ses décisions.

À cet égard, le Tribunal constate que l’ajout, dans les projets des décisions attaquées, d’une motivation se référant à un nouvel avis de l’EFSA en guise de fondement scientifique, constitue une modification substantielle de ces projets par rapport à leur version antérieure. Par conséquent, ces décisions ne peuvent être considérées comme étant identiques aux projets et propositions antérieurs. Par ailleurs, l’avis consolidé de 2009, qui comporte des différences majeures par rapport aux avis antérieurs de l’EFSA, doit être qualifié de nouvelle évaluation de fond, et non de simple confirmation de pure forme des évaluations des risques contenues dans les avis antérieurs.

Dans ces conditions, la Commission ayant violé, d’une manière substantielle, ses obligations procédurales, le Tribunal annule les décisions contestées.

La décision du Tribunal constitue un désaveu pour la Commission européenne, dont la décision d'autoriser cet OGM avait provoqué un tollé de protestation dans l'UE.

Pour mémoire : la pomme de terre Amflora est un des deux OGM autorisés à la culture dans l'UE, mais la pomme de terre s'est avérée un échec commercial et a été abandonnée.

L'autre OGM est le maïs MON810 du groupe Monsanto, qui a demandé le renouvellement de son autorisation. La décision est toujours à l'étude.

Le Luxembourg et l’affaire Amflora

La pomme de terre génétiquement modifiée Amflora produite par le groupe BASFLa décision du 2 mars 2010 de la Commission européenne autorisant la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora avait soulevé de vives et promptes réactions au Luxembourg. Le ministre de la Santé de l’époque, Mars Di Bartolomeo, avait parlé de "provocation" et annoncé qu’il jouerait de la clause de sauvegarde. L’eurodéputé Claude Turmes avait déclaré qu’en prenant la décision d’autoriser dans l’UE la culture d’Amflora, le commissaire John Dalli "se met à genoux devant le groupe chimique BASF" et "expédie la première autorisation de culture d’une plante OGM depuis 12 ans".

La commissaire européenne Viviane Reding avait de son côté expliqué quelques jours plus tard au journaliste Jakub Adamowicz que, si la Commission a été "dans l’obligation d’agir", c’est que le Conseil des ministres n’a pas pu trouver d’accord sur le sujet après que des analyses, qui ont duré sept ans, ont démontré que l’utilisation de la pomme de terre Amflora ne présentait pas de risque. Ce à quoi Mars Di Bartolomeo avait répondu qu’il regrettait que la Commission "n’ait pas, comme les ministres de l’Environnement le lui avaient demandé en 2008, remanié les procédures d’autorisation mais ait au lieu de cela donné le feu vert à Amflora".

Le 16 juin 2010, le ministre de la Santé, Mars Di Bartolomeo, annonçait la décision du gouvernement luxembourgeois d’interdire provisoirement la mise sur le marché des pommes de terre transgéniques "Amflora". L'interdiction était motivée par la présence d’un gène marqueur de résistance aux antibiotiques dans ces pommes de terre, ce qui ne permettait pas, selon le ministre, de conclure à l’innocuité de cette plante.

Finalement, le gouvernement luxembourgeois décidait, le 10 septembre 2010, de se joindre, comme l’Autriche, au recours introduit par la Hongrie auprès de la CJUE contre cette autorisation. Pour les plaignants, la Commission européenne n’avait pas accordé suffisamment d’attention au risque que pourrait représenter pour la santé la présence dans cette variété de pommes de terre de ce gène marqueur qui la rendait résistante à certains antibiotiques.