La fédération patronale FEDIL avait convié le 23 janvier 2014 à sa traditionnelle réception du Nouvel An, une occasion pour son président de présenter les revendications des industriels, pour un hôte de s’exprimer sur un sujet d’actualité et un représentant du gouvernement de répondre aux grandes questions soulevées par les dirigeants économiques. Pour 2014, l’hôte était le ministre irlandais des Affaires étrangères, Eamon Gilmore, invité selon Robert Dennewald, le président de la FEDIL afin que ses propos sur la manière dont son pays avait maîtrisé la crise "ouvrent les yeux à ceux qui croient que les réformes peuvent attendre". Le gouvernement était quant à lui représenté par son nouveau premier Ministre, Xavier Bettel. Tous les discours de la soirée ont été prononcés en langue anglaise.
Dans son diagnostic de la situation économique, Robert Dennewald a mis en avant le tournant positif que semble prendre l’économie de la zone euro et les dettes publiques. Il a cité l’Espagne et l’Irlande qui ont été "capables de se libérer par eux-mêmes du régime draconien de la Troïka". Pour lui, 2014 restera cependant très fortement marqué par la crise de l’emploi, notamment des jeunes.
La clé pour sortir de la crise de l’emploi est pour le président de la fédération patronale la mise en place d’un cadre règlementaire qui encourage les entreprises à investir et par ricochet d’être plus compétitives, une démarche qui renforcerait aussi la base industrielle de l’UE. Ce serait là le rôle d’une politique industrielle qui aborderait dans un seuil paquet les politiques de l’énergie, du climat, du droit du travail, de l’innovation et les règles commerciales.
Dans ce contexte, l’industrie luxembourgeoise souhaite pouvoir bénéficier des mêmes conditions de concurrence que les autres. "Malheureusement", estime Robert Dennewald, "la manière dont les politiques actuelles de l’énergie et de la lutte contre le changement climatique de l’UE sont conçues ne nous offre pas cela". Le système ETS, "mal conçu", pénalise l’industrie luxembourgeoise. Tous les espoirs se porteront donc vers la réforme de ces politiques afin que la compétitivité ait ses chances.
Les problèmes du Luxembourg sont pour Robert Dennewald "bien connus", mais il en a donné un résumé : la hausse du chômage malgré un marché du travail en croissance, un coût du travail en hausse à cause de l’indexation automatique des salaires, des systèmes de pensions et de sécurité sociale qui risquent de faillir, une dépense publique hors contrôle, l’incertitude quant aux revenus futurs de l’Etat, des procédures administratives trop lourdes et insupportables pour les entreprises.
Le président de la FEDIL a estimé que le nouveau gouvernement « a reconnu la plupart des problèmes » et juge que du côté de la politique budgétaire, les choses vont d’ores et déjà dans la bonne direction. Mais il met en garde contre une hausse des impôts. Pour lui, le gouvernement doit investir dans la croissance.
Dans la mire du patronat l’on retrouve "les rigidités du droit du travail", "les contrats inflexibles" et les "arrangements ultra-rigides sur le temps du travail". Or, ici, le programme du nouveau gouvernement « n’offre pour ainsi dire aucune solution, ce qui nous déçoit ». D’où son appel à des négociations avec le gouvernement et les syndicats pour sortir de « l’impasse actuelle » qui porteraient sur le droit du travail et le coût direct du travail, que les entreprises veulent maintenir à un niveau qui leur permette d’être compétitives.
Le compromis sur l’indexation des salaires dans le programme de coalition est une « solution tout sauf idéale pour nos entreprises », estime Robert Dennewald.
Pour mémoire, voilà ce que dit le programme de coalition sur ce point : "En matière d’indexation automatique des salaires, le Gouvernement mettra en œuvre une politique équilibrée conciliant les dimensions sociale et économique. Le principe de l’indexation automatique des traitements, salaires, pensions, rentes et autres indemnités et montants généralement adaptés restera intact. Toutefois, dans la mesure où il est constaté que le Luxembourg n’est pas complètement sorti de la crise économique, le Gouvernement procèdera, après consultation des partenaires sociaux, à l’adaptation de la législation en matière d’indexation automatique des salaires selon le modèle actuellement en vigueur. Le panier-type des biens et des services ne sera pas modifié." Mais le texte dit aussi ceci : Le nouveau gouvernement luttera contre "l’inflation endogène" et "mènera une politique prudente en matière de prix administrés". Il poursuivra "la politique de désindexation des contrats conclus par l’Etat" et veut, "ensemble avec les partenaires sociaux", analyser "la faisabilité et l’impact potentiel d’une désindexation généralisée de l’économie nationale".
Robert Dennewald, très offensif, a dit ensuite : "Nous exigeons que le gouvernement aborde avec plus de courage la réforme des systèmes de pensions et le remodelage du financement de la sécurité sociale".
Mais "le plus grand défi pour le pays », ce sont « les changements fondamentaux dans son modèle d’affaires". D’où la création du Haut Comité pour le développement de l’industrie, saluée avec insistance par la FEDIL qui en avait demandé la mise en place, d’où toute une série d’actions dans le secteur des TIC comme la création de data centers et de connexions de haute qualité.
Ce fut ensuite autour d’Eamon Gilmore, le chef de la diplomatie irlandaise, invité à dessein, d’expliquer aux dirigeants d’entreprise luxembourgeois comment son pays s’est sorti de la crise par laquelle il reste cependant très marqué, de l’aveu même de l’orateur. Quand le gouvernement dont il fait partie depuis 2011 – une coalition de chrétiens-démocrates, de sociaux-démocrates et de verts - a pris les rênes du pays, le pays disposait de cinq mois de réserves pour payer les fonctionnaires et assurer le fonctionnement des systèmes scolaire et de sécurité sociale. Le problème devait être résolu, impossible de l’ignorer ou d’en différer la solution. Il fallait garder de la croissance, restructurer le système bancaire, liquider la principale fautive, l’Anglo-Irish Bank (AIB), réduire le budget de l’Etat de plus de 20 milliards d’euros, et mener une campagne pour rétablir l’image du pays auprès des investisseurs. Par ailleurs, il fallait, tout en jouant sur le coût du travail, maintenir la demande intérieure, par exemple en baissant la TVA dans l’hôtellerie, en investissant dans les transports publics, les, écoles et les routes.
Pour Eamon Gilmore, "la crise ne sera véritablement terminée tant que les citoyens ne le ressentent pas dans leur vie et dans leurs portes-feuilles". Mais d’ores et déjà, après une baisse des emplois au rythme de 7000 unités par mois, l’Irlande vit actuellement une hausse des emplois de 5000 unités par mois. Il a fallu, pour y arriver, relancer la compétitivité, non pas seulement dans le secteur privé, mais aussi dans le secteur public, dans le système scolaire, dans le secteur de la santé, "qui ne doivent pas être à la merci des marchés financiers internationaux". Pour y arriver, il a fallu replacer les finances publiques sur de nouvelles bases. Pour atteindre un budget excédentaire, il a fallu réduire les dépenses, mais sans toucher au salaire minimum ni priver les chômeurs de la sécurité sociale. Mais les salaires et traitements ont été sensiblement diminués.
Comme en Irlande, l’on a selon Eamon Gilmore "un sens aigu de la cohésion sociale", tout a été basé sur des accords avec les syndicats, y compris ceux du secteur public, "qui ont tout accepté". En décembre 2013, l’Irlande a pu sortir du programme d’aide et sa note a été revue à la hausse par l’agence Moody’s. En 2018, le budget irlandais devrait avoir conduit à une réduction de dette publique à un niveau conforme aux traités. Parmi les recettes que le travailliste Eamon Gilmore a mises en évidence pour son pays qu’il qualifie de "petite économie ouverte", le fait qu’il est une partie d’un grand marché intérieur, qu’il a pu bénéficier de la solidarité des autres Etats membres de la zone euro sont des éléments importants, mais il a aussi évoqué la flexibilité de la main d’œuvre et une fiscalité dite "business-friendly".
Le message du Premier ministre Xavier Bettel fut le suivant.
Le nouveau gouvernement connaît et traitera les réalités que sont une dette publique de plus 11 milliards d’euros ou 24,3 % du PIB, et 15 milliards ou 30 % du PIB en 2016, si rien n’est fait. La réalité, pour lui, c’est que le chômage atteindra 7,2 % en 2014, soit 20 000 personnes sans emploi. Le changement n’est donc pas une aspiration, mais une nécessité.
Le gouvernement agira, mais pas sur une base unilatérale. Il réactivera donc les négociations tripartites, comme le souhaite aussi la FEDIL, et la flexibilisation du droit du travail sera un objet des discussions, "dont on ne peut prédire l’issue", souligne-t-il néanmoins. Le gouvernement ne cherchera pas seulement le soutien des personnes qui vivent au Luxembourg, mais aussi de ceux qui travaillent au Luxembourg, mais n’y vivent pas.
Le gouvernement jouera sur la transparence et dira les choses telles qu’elles sont, même si cela risque de déplaire. Sa première mesure sera de réduire de 10 % les frais de fonctionnement de l’Etat. On passera d’une attitude dépensière, voire de gaspillage de l’argent à une attitude où il s’agira de mieux investir de l’argent. "Nous avons besoin d’écoles, mais elles ne doivent pas être des monuments, nous avons besoin de points, mais ils n’ont pas besoin d’être des œuvres d’art." Les transferts sociaux qui ne sont ni justifiés ni légitimes seront dans la mire du gouvernement.
Pour remettre l’économie luxembourgeoise sur de nouvelles bases, vu les changements que subira son pilier financier avec le passage à l’échange automatique d’informations, le gouvernement misera sur la diversification de l’économie. Le Premier ministre cite la logistique, les médias et les communications, les écotechnologies. Et évidemment l’industrie, dont il veut arrêter le déclin. Le catalyseur de cette ambition sera l’innovation et la recherche. Par ailleurs, le système scolaire sera réformé et misera sur le trilinguisme tout en veillant à ce que les langues ne deviennent pas un obstacle à une qualification professionnelle. La réduction du nombre des jeunes NEETs (not in education, employment or training) est un des grands objectifs.