Le Circolo Curiel, un lieu de rencontre, de discussion et de convivialité issu des milieux de gauche de l’immigration italienne et aujourd’hui à vocation citoyenne plus large, avait organisé le samedi 8 février 2014 une table ronde sur le thème "Elections européennes, quels enjeux pour le citoyen ?". Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration, Mady Delvaux (LSAP), ancienne ministre de l’Education Nationale, Jean-Claude Reding, président de l’OGBL et de la Chambre des salariés, les députés européens Georges Bach (CSV, PPE) et Claude Turmes (Verts) ainsi que la directrice de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, Christiane Martin, ont participé au débat qui a été animé par le politologue Philippe Poirier de l’Université du Luxembourg.
La ministre Corinne Cahen a salué l’assistance en soulignant à quel point le gouvernement attache de l’importance à ce que les citoyens communautaires participent aux élections européennes au Luxembourg, "parce qu’ils montrent ainsi qu’ils s’intéressent au pays, à sa culture, à sa politique", et cela d’autant plus parce que "nous vivons tous les jours ensemble". Avec la nouvelle loi, cette participation est devenue facile. L’intégration est une des priorités du nouveau gouvernement, a-t-elle insisté, pour condamner ensuite les propos ambigus sur la langue et l’origine qui circulent sur les réseaux sociaux.
Philippe Poirier a voulu savoir des participants comment ils évaluaient les conséquences de la disjonction des élections européennes des élections législatives, qui sont qualifiées par les sciences politiques et considérées par les partis et les opinions comme des "élections de second ordre".
Mady Delvaux a constaté que les enjeux de ces élections étaient connus, mais qu’avant mars 2014, ni les programmes des partis, ni leurs têtes de liste et leurs candidats étaient publics. Bref, la campagne sera marquée par « une dynamique courte ».
Pour Georges Bach, cette disjonction des deux scrutins représente « une opportunité » pour expliquer toute la complexité de l’UE et les grands défis.
Les Verts ont déjà écrit leur programme, et leurs candidats et têtes de liste ont été désignés, a expliqué Claude Turmes, qui a annoncé que tout cela sera rendu public le 1er mars. Mais, a-t-il mis en avant, les caisses des partis sont vides après les élections législatives d’octobre. Néanmoins, les enjeux sont clairs pour lui : avoir de nouveau un pilote dans l’avion de l’UE, mener une politique différente de celle du moment, qui a, selon lui, appauvri l’UE et creusé le fossé entre riches et pauvres, faire de l’UE une force écologique qui se préoccupe de l’avenir de la planète et qui protège ses acquis au lieu de les laisser détruire dans le cadre de la globalisation.
Jean-Claude Reding a de son côté expliqué que la dissociation des scrutins a permis à l’OGBL de discuter des grands sujets de la politique européenne, notamment lors d’une rencontre de 150 délégués. Il en est ressorti que la situation sociale en Europe et la "violence sociale exercée contre les salariés" étaient au centre des préoccupations, alors que la politique de l’actuel président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, est considérée comme une démarche "qui a créé la misère dans l’UE". Pour l’OGBL, il est donc urgent qu’en Europe, et a fortiori au parlement européen, il y ait une autre majorité faite de "forces progressistes et sociales".
Philippe Poirier a demandé ensuite ce que les partis avaient fait pour motiver les autres ressortissants communautaires à participer aux élections.
Chez les socialistes, le travail se fait dans les sections et le groupe SPIC (pour socialistes pour l’intégration et la citoyenneté), explique Mady Delvaux. Elle a néanmoins pointé du doigt le problème de la langue : la participation citoyenne passe par la compréhension linguistique. En politique comme ailleurs se pose la question : comment concilier multilinguisme et langue commune pour un projet de vie en commun.
Georges Bach a rendu hommage au travail de Maurice Bauer, qui anime le groupe CSV International qui mobilise les chrétiens-démocrates étrangers pour qu’ils s’intéressent à la politique intérieure et européenne du Luxembourg.
Claude Turmes a quant à lui préféré énumérer ce qu’il faut expliquer à tous les citoyens : que la politique européenne n’est pas un consensus mou, que les batailles sur les grands dossiers révèlent de grands clivages idéologiques, comme par exemple les contraintes exercées par la troïka sur le Portugal ou la Grèce pour qu’ils privatisent leur eau, ou la mainmise des grands de la chimie sur le marché des semences. Des dossiers qui mobilisent les citoyens, comme en témoignent les milliers de résidents luxembourgeois qui ont signé la pétition de l’initiative citoyenne européenne Right2Water et la pétition de Claude Turmes sur le règlement sur les semences.
Philippe Poirier a ensuite demandé quelle a été l’action du Parlement européen dans les domaines économique et social.
Pour Georges Bach, l’UE est avant tout marquée par l’économie de marché et le libre-échange. La dimension sociale n’est pas traitée de la même manière. L’on a préféré la laisser à la discrétion des Etats membres, ne serait-ce que parce que les modèles de dialogue social différent de pays à pays. (voir à ce sujet le rapport de la Commission européenne d’avril 2013 sur le dialogue social dans l’UE) Avec la crise, l’austérité a frappé de plein fouet les pays du Sud de l’UE. Dans cette problématique, le Parlement européen est pour Georges Bach "un acteur secondaire". Et même s’il enquête sur les méthodes de la troïka Commission-BCE-FMI, il n’a pas de mandat pour négocier avec elle, ce qu’il faudrait corriger.
Pour Claude Turmes, cela a été une erreur de reconduire José Manuel Barroso en 2009. Le centre-droit a bien remporté les élections, mais en fin de compte, il a été surreprésenté à la Commission, avec 13 commissaires issus du PPE, mais aussi 9 libéraux, alors que les sociaux-démocrates, deuxième parti issu du scrutin de 2009, n’ont eu que 6 commissaires. Il s’agit d’un "déséquilibre qui a fait pencher la Commission vers le néolibéralisme". Ensuite, avec la crise, ce sont la France et l’Allemagne qui ont décidé de la marche à suivre. La méthode communautaire a dû céder à l’intergouvernementale dominée par les deux Etats membres qui livrent 48 % du budget de l’UE. "Même Martin Schulz s’est aplati devant eux", notamment dans l’affaire du cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’UE, a dit Claude Turmes. Le seul moyen de se sortir de cette impasse est pour lui de recourir aux capacités de financement de la Banque européenne d’investissement (BEI) recapitalisée à cet escient. Reste que les Etats membres de la zone euro ne disposent plus de mécanismes de stabilisation traditionnels, comme la dévaluation externe de la monnaie, de sorte que la dévaluation sociale est devenue le premier recours. Avec des effets sur tous les pays, comme le montrent les pressions d’ArcelorMittal sur ses salariés luxembourgeois, après les baisses des acquis sociaux de ses salariés en Espagne. Pour Claude Turmes, il faudra, le 25 mai, arriver à une majorité de centre-gauche au Parlement européen, et imposer des standards sociaux minimaux en Europe.
Mady Delvaux a plaidé pour des décisions plus démocratiques dans l’UE, ce qui ne peut passer que par un renforcement du Parlement européen. Mais tout cela dépend de la participation à ces élections, qui doit être élevée pour que le Parlement européen soit crédible. D’où son appel à voter. L’ancienne ministre est aussi en faveur d’un budget européen plus élevé, car l’UE évolue dans un contexte de "guerre économique mondiale" pour laquelle toute l’UE doit se mobiliser.
Pour Jean-Claude Reding, la politique de l’austérité a été un échec : elle a conduit à une baisse des investissements, y compris de la part de la BEI, à une émigration massive des pays en crise, ce qui menace de détruire ces pays. Il faut donc changer de cap, cesser de détruire les services publics et de diminuer les salaires. Il faut investir, ne plus faire de compromis du genre de ceux qui ont été conclus depuis 2009, changer de politique, « faute de quoi l’extrême droite gagnera ».
Quelles seront les grandes lignes politiques de leur parti pour les élections européennes, a voulu savoir Philippe Poirier des députés et de l’ancienne ministre, et que faire pour que les citoyens votent.
Il faut voter pour Martin Schulz au niveau européen et pour une politique plus sociale, une politique qui défend aussi l’UE contre les attaques nord-américaines, pense Mady Delvaux.
Georges Bach plaide pour une politique qui rétablit la confiance et l’espoir dans l’UE, et cela ne pourra que passer par "une politique pour le citoyen, non pas pour les marchés et les technocrates". Or, "cette confiance nous manque actuellement dans tous les domaines".
Claude Turmes part du constat que le budget de l’UE ne dépassera pas, selon les décisions désormais prises sur le cadre financier pluriannuel, le 1 % du PIB jusqu’en 2020. Il faudra donc miser sur la BEI, lutter éventuellement pour un salaire minimum européen, arrêter l’évasion des cerveaux des pays en crise, arrêter de pratiquer une politique industrielle comme dans les années 70, arrêter d’idolâtrer le libre-échange au détriment de l’environnement et du social.
Pour Jean-Claude Reding, les négociations sur le TTIP, le traité de libre-échange avec les USA doivent devenir une part du débat, avec sa dimension sociale, dont les travailleurs mexicains et canadiens ont déjà largement fait les frais dans des arrangements similaires, et sa dimension institutionnelle, notamment la question des arbitrages dans les conflits entre investisseurs et Etats. Ici, le Parlement européen doit faire entendre sa parole. Comme il doit la faire entendre en faveur d’investissements dans les domaines industriels et les innovations technologiques qui ont un lien avec les besoins de la population. Dans toute politique industrielle, la dimension sociale est importante. Or, pense le président du plus grand syndicat luxembourgeois, le paquet Industrie publié le 22 janvier 2014 par le commissaire Tajani est ici plus que décevant . D’où son appel à changer de cap, à "bien voter" et à participer à la manifestation des syndicats européens du 4 avril 2014 à Bruxelles.