Le 4 février 2014, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Nicolas Schmit, s’est rendu à Strasbourg, où il a eu des entrevues en marge de la session plénière du Parlement européen avec des eurodéputés de la commission "Emploi et affaires sociales", présidée par l’eurodéputée française Pervenche Berès (S&D). Un des grands points a été la directive "Détachement des travailleurs" révisée qui a été adoptée le 9 décembre 2013 par le Conseil, et qui fait maintenant l’objet de négociations avec le Parlement européen. Le ministre Schmit a eu aussi une entrevue avec le président du groupe parlementaire des socialistes et démocrates (S&D), Hannes Swoboda, et il est intervenu devant le groupe parlementaire sur les perspectives de l’Europe sociale en vue des prochaines élections du Parlement européen.
Lors d’un point de presse à Strasbourg, Nicolas Schmit a expliqué que le compromis sur la révision de la directive détachement "ne soulevait pas d’euphorie", et que le groupe S&D le jugeait insuffisant. En effet, la dernière réunion des négociateurs du Parlement
européen, du Conseil de l'UE et de la Commission européenne, qui a eu lieu le 30 janvier, n'a produit que des avancées très minces, même si elle a duré plus de onze heures. Même son de cloche chez Bernadette Ségol, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui est sceptique et pense que le compromis ne va guère améliorer la situation. Le ministre a dit comprendre cette déception, mais a rappelé qu’en décembre 2013, la situation au Conseil était bloquée et que le compromis a donc été difficile. Pour lui, si le compromis n’est pas entièrement satisfaisant, il constitue néanmoins une avancée et, mis en œuvre, il permettrait plus de contrôles qu’actuellement, notamment au Luxembourg, déjugé en 2008 par la CJUE pour ses activités de contrôle. Le compromis sur la directive détachement ne ferme pas non plus la porte à une réforme en profondeur du texte, qui contiendra des clauses de révision permettant de revenir sur le texte et sa mise en œuvre 2 à 3 ans après son entrée en vigueur.
Au Luxembourg, l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) a déjà eu des réunions pour voir comment améliorer la lutte contre le dumping social. Une des hypothèses de travail est d’exclure des firmes des marchés publics si celles-ci ont été en infraction par le passé. Une coordination avec les Bâtiments publics est envisagée. La responsabilité conjointe prévue par le compromis est aussi un moyen puissant d’agir contre les montages de plus en plus opaques qui ont pour but de diluer les responsabilités de la firme qui a remporté un marché et qui l’exécute par le biais de sous-traitants. Avec le compromis, elle sera co-responsable des agissements de ses sous-traitants, et il faudra des sanctions dissuasives. Bref, pour Nicolas Schmit, "il faut donner sa chance à ce texte".
En attendant, le Luxembourg a introduit le badge social, délivré par l'ITM, pour les travailleurs en détachement, notamment dans le bâtiment. L'ITM vérifie si certains éléments sont en règle avant de délivrer le badge social. Nicolas Schmit a ici évoqué le fait que cette démarche anti-dumping social pourrait devenir problématique : "La Commission pourrait nous refuser ce système en disant que les contrôles seraient disproportionnés, mais cela reste à voir."
Nicolas Schmit a défendu au cours de son point de presse l’idée de renforcer les moyens de contrôle en coordonnant le travail des Inspections du travail des différents Etats membres, par exemple en créant une plateforme pour contrôler les affiliations à la Sécurité sociale dans les autres Etats membres. "S’il est possible de saisir le compte bancaire de tout un chacun dans l’UE, il devrait aussi être possible de vérifier son affiliation à la sécurité sociale de son pays d’origine. Cela devrait être plus facile à organiser que l'échange automatique d'information. Mais pour ce système, il faut la coopération des pays d'origine, pour pouvoir faire les contrôles à la base."
Pour le ministre, il y a actuellement "un déséquilibre entre liberté économique et marché unique d’une part, et droits sociaux d’autre part, et cet équilibre doit être rétabli". Quand il est question par exemple du droit de la concurrence, le volet social de la question n’est jamais abordé. Or, il faudrait "inclure le dumping social comme un facteur de concurrence déloyale!" Le traité de Lisbonne contient une clause sociale, il faut l’appliquer. Mais la troïka, qui a suggéré tant de mesures qui ont eu des effets sur les systèmes sociaux des pays en crise soumis à des programmes d’aide, "ne fonctionne pas dans le cadre des traités", a observé le ministre du Travail, de sorte que la troïka n’est pas liée par la clause sociale.
Avant de se rendre à Strasbourg, Nicolas Schmit s’était exprimé dans une interview donnée à la journaliste Michelle Cloos pour l’édition du 3 janvier du Tageblatt sur le manque de dimension sociale de l’UE. S’il y a eu des initiatives comme la "garantie jeunesse" ou des discussions comme celle sur le dumping social dans l’UE, c’est grâce au réseau des ministres du Travail sociaux-démocrates que lui-même anime, estime Nicolas Schmit.
Mais l’UE continue de souffrir d’un manque de dimension sociale, pense le ministre. "Le bilan de l’actuelle Commission sur cette question est un échec", dit-il, avant de préciser que ce n’est pas de la faute du commissaire européen compétent, Laszlo Andor, mais du reste de la Commission qui ne l’a pratiquement pas soutenu pour renforcer cette dimension sociale de la construction européenne. La politique qui a dominé l’UE depuis le début de la crise est guidée par "une logique purement financière" qui a sa source dans les "troïkas" et l’Eurogroupe. Les inégalités se sont depuis aggravées, et alors que l’on s’était fixé comme objectif dans le cadre de la stratégie Europe 2020 de réduire le nombre des pauvres dans l’UE de 20 millions de personnes, le nombre des pauvres a augmenté de 3 à 5 % par an.
Selon le ministre Schmit, il faut donc changer la donne dans l’UE et "rétablir sa dimension sociale" afin qu’il y ait un équilibre entre elle, la politique économique et la politique de consolidation budgétaire. "Cela est aussi un défi pour les élections européennes à venir", conclut-il, "mais il faudra dans ce cas aussi faire des propositions concrètes".