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Énergie
Conseil européen des 20 et 21 mars – Les discussions sur le paquet énergie et climat à l’horizon 2030 ont été reléguées au second plan par la crise ukrainienne et l’élaboration de scénarios pour parer à la dépendance énergétique
21-03-2014


xavier-bettel-conseil-europeen-140321-sip-monasseLe Conseil européen des 20 et 21 mars devait être largement consacré aux propositions  du deuxième paquet climat/énergie proposé en janvier 2014 par la Commission européenne, qui fixe des objectifs pour l’UE en matière de lutte contre le changement climatique pour 2030. La Commission avait proposé de fixer trois grands objectifs : un objectif contraignant visant à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, un objectif contraignant visant à porter la part des énergies renouvelables à 27 % à l’échelle de l’UE et un objectif en matière d’efficacité énergétique qui serait précisé d’ici fin 2014 dans le cadre de la révision de la directive sur l’efficacité énergétique. La crise ukrainienne a déplacé le centre de gravité des discussions entre chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE des 20 et 21 mars vers l’élaboration d’une stratégie commune pour réduire la dépendance extérieure de l’UE en matière d’approvisionnement en énergie. 

Réduire la dépendance énergétique

Dans les conclusions du Conseil européen, on lit que "les efforts visant à réduire les taux élevés de dépendance au gaz en Europe devraient être intensifiés, en particulier pour les États membres les plus dépendants". En effet, treize États membres dépendent à plus de 50 % des fournitures russes, dont six à 100 % (Finlande, Slovaquie, Bulgarie et les trois États baltes). L'Allemagne, elle, importe 34 % de son gaz de Russie. Si l’UE ne devait pas renverser la vapeur, elle risquerait de dépendre en 2015 à 80 % de l’extérieur pour ce qui est de son approvisionnement en énergie.

Les moyens préconisés dans les conclusions du Conseil européen pour parvenir à réduire cette dépendance sont plusieurs :

  • modérer la demande énergétique grâce à une efficacité énergétique accrue,
  • diversifier l’approvisionnement en énergie,
  • accroître le pouvoir de négociation de l’UE,
  • développer des sources d’énergie renouvelables et d’autres sources d’énergie locales,
  • développer des infrastructures de manière durable afin de favoriser cette diversification, notamment par le développement d'interconnexions (y inclus la péninsule ibérique et la zone méditerranéenne et avec des pays tiers)

Le Conseil européen a invité sur ces bases la Commission européenne "à réaliser une étude approfondie de la sécurité énergétique de l'UE et à la présenter d'ici juin 2014".

Un autre aspect est que "les États membres feront preuve de solidarité en cas de perturbations soudaines de l'approvisionnement énergétique dans l'un ou plusieurs d'entre eux ".

Ensuite, "des mesures supplémentaires devraient être prises en vue de soutenir le développement du corridor Sud, y compris d'autres embranchements à travers l'Europe orientale". Pour rappel : quand il est question ici de "corridor Sud", il s’agit de la création d'un corridor gazier sud-européen, reliant l'Europe aux réserves de gaz en Mer Caspienne et au Moyen Orient.

Il s’agira ensuite "d'examiner des moyens permettant de faciliter les exportations de gaz naturel d'Amérique du Nord vers l'UE", autrement dit du très contesté gaz de schiste, "et de réfléchir à la meilleure manière d'en tenir compte dans le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP)".

Le Conseil européen demande aussi "d'accroître la transparence des accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie", afin que soient mieux connus les degrés de dépendance ou d’interdépendance  des uns et des autres.

Pour la réalisation de ces objectifs, le Conseil européen prône l’accélération de "la mise en œuvre de projets d'intérêt commun dans ce domaine" et la mobilisation rapide "des ressources dont dispose l'UE, y compris le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE, adopté par le Parlement européen en novembre et par le Conseil en décembre 2013, ndlr), et la capacité de financement de la BEI".

Evoquant ces objectifs, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy a déclaré : "Aujourd'hui, nous avons envoyé un signal clair selon lequel l'Europe passe à la vitesse supérieure pour réduire sa dépendance énergétique, en particulier à l'égard de la Russie."

La question de la dépendance énergétique a aussi stimulé les travaux pour l'achèvement rapide du marché unique de l'énergie qui devrait se faire au cours de l’année 2014 et "le développement des interconnexions de manière à mettre fin d'ici 2015 à toute situation d'isolement d'un État membre par rapport aux réseaux européens de gaz et d'électricité". Il s’agit également d’atteindre un autre objectif : "assurer l'interconnexion d'au moins 10 % de la capacité installée de production d'électricité de tous les États membres". A cette fin, la Commission doit proposer en juin 2014 "des objectifs spécifiques en matière d'interconnexion, à atteindre d'ici 2030, en vue de prendre une décision en octobre 2014 au plus tard". Une attention particulière devrait être accordée à l'amélioration des interconnexions avec les parties périphériques et moins bien connectées du marché unique, y compris par l'amélioration des flux inversés. Cela passe par la mise en œuvre du troisième paquet "Énergie" par tous les acteurs du marché énergétique européen, autrement dit par une troisième vague de libéralisations des fournitures d’énergie.

Un autre objectif de l’Union sera la  modération des coûts énergétiques supportés par les utilisateurs finaux, ardemment exigée par les entreprises européennes. Le Conseil européen voudrait que les Etats membres passent "progressivement de mécanismes de soutien aux énergies renouvelables à un système plus efficace au regard des coûts et davantage fondé sur le marché", ce qui implique "une plus grande convergence des régimes d'aide nationaux pour l'après 2020". Il s’agit ensuite d’investir "durablement dans l'efficacité énergétique » et de favoriser la maîtrise de la demande, et ce tout au long de la chaîne de valeur et au stade de la R&D". Il s’agit ensuite de tirer "davantage parti de la capacité de production électrique disponible sur le marché intérieur plutôt qu'en s'appuyant sur les seules capacités nationales", mais les États membres devront néanmoins continuer à jouer leur rôle propre pour "garantir la sécurité d'approvisionnement". Le Conseil européen prône aussi "la concurrence sur les marchés de la fourniture de gaz". Il appelle les États membres à prendre "les mesures appropriées en vue de réduire les coûts selon les modalités les mieux adaptées à leur situation particulière" tout en insistant sur "une coordination entre les États membres et entre les différentes politiques sectorielles afin de faciliter la réalisation des objectifs fixés au niveau de l'UE". Il s’agit aussi d’échanger "les informations sur les grandes décisions nationales en matière énergétique qui sont susceptibles d'avoir des incidences sur d'autres États membres", mais, d’autre part, "les choix nationaux en matière de bouquet énergétique" devront être pleinement respectés.

Finalement, le Conseil européen a chargé la Commission de faire un examen approfondi des différentes pratiques nationales, concernant les composantes 'taxes/impôts' et 'coûts de réseau' des coûts de l'énergie, afin de réduire leurs répercussions négatives sur les prix.

Paquet climat-énergie à l’horizon 2030 : une feuille de route et de premiers éléments

Le 21 mars, le Conseil européen a fixé une feuille de route et défini les éléments à approfondir avant qu'une décision ne soit prise au Conseil européen d'octobre 2014 sur le futur cadre d'action pour les politiques en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030. Il n’a été convenu à ce stade des discussions d’aucun objectif chiffré, mais cela était su et convenu d’avance. Bref, l’UE ne va pas dans la direction d’un nouvel engagement climatique.

Pour la conférence de Paris sur la conclusion d'un accord global sur le climat qui se tiendra fin 2015, donc sous présidence luxembourgeoise du Conseil, le Conseil européen a statué que l’UE "présentera sa contribution au plus tard avant la fin du premier trimestre de 2015 (donc avant le 31 mars 2015, ndlr) comme devraient le faire toutes les grandes économies". L’UE tiendra compte des résultats du sommet des Nations unies sur le climat qui se tiendra en septembre 2014, mais aussi des éléments proposés par la Commission en janvier 2014, dans le double but d’assurer "à ses opérateurs économiques la stabilité et la prévisibilité dont ils ont besoin" et de confirmer "le rôle qu'elle joue sur la scène mondiale".

Pour l’UE, il s’agira de travailler sur les principes suivants :

  • renforcer la cohérence entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'efficacité énergétique et le recours aux sources d'énergie renouvelables,
  • réaliser les objectifs fixés pour 2030 de manière efficace au regard des coûts, un système réformé d'échange de quotas d'émission jouant un rôle capital à cet égard,
  • mettre en place un cadre de l'UE qui soit propice à la promotion des énergies renouvelables et garantir la compétitivité au niveau international,
  • garantir la sécurité de l'approvisionnement énergétique des ménages et des entreprises, à des prix abordables et compétitifs,
  • offrir aux États membres une certaine marge de manœuvre quant à la manière dont ils s'acquitteront de leurs obligations, afin de tenir compte de leur situation respective et de respecter leur liberté de déterminer leur bouquet énergétique

Pour qu’il y a ait rapidement un accord au sein de l’UE sur un nouveau cadre d'action en matière de climat et d'énergie pour la période entre 2020 et 2030, le Conseil et la Commission européenne sont invités "à analyser les conséquences pour chaque État membre des propositions de la Commission concernant des objectifs à l'échelle de l'UE en matière de réduction des émissions et d'énergies renouvelables". Il s’agit ensuite de "mettre au point des mécanismes qui permettront de répartir l'effort de manière globale et équitable et encourager la modernisation du secteur énergétique". Il faudra également "mettre en place des mesures destinées à éviter les risques de fuite de carbone et préconiser une sécurité de planification à long terme pour les investissements industriels afin d'assurer la compétitivité des industries européennes grandes consommatrices d'énergie". Par ailleurs, la directive relative à l'efficacité énergétique devra être révisée, à peine transposée dans le contexte de l'élaboration d'un cadre pour l'efficacité énergétique.

Les commentaires du Premier ministre Xavier Bettel et de l’ancien rapporteur sur la directive sur l’efficacité énergétique, l’eurodéputé vert Claude Turmes

La presse luxembourgeoise a rapporté de manière concordante les commentaires du Premier ministre, Xavier Bettel, sur les questions liées à l’énergie à l’issue du Conseil européen. Pour lui, "les ambitions restent réalistes". A ses yeux, écologie et économie devraient pouvoir cohabiter.

Le 19 mars, la Chambre des députés avait voté une motion dans laquelle elle invitait le gouvernement à "plaider pour des objectifs communautaires ambitieux et contraignants pour 2030 en matière d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables (au moins 30 % de la consommation finale) et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (40 % comparé à l’année 1990)". «J'avais reçu un mandat de la Chambre des députés pour soutenir une position ferme, mais aucun objectif chiffré n'a été retenu», a dû admettre le Premier ministre après le Conseil européen. 

Commentant le fait que le Conseil européen veut "offrir aux États membres une certaine marge de manœuvre quant à la manière dont ils s'acquitteront de leurs obligations, afin de tenir compte de leur situation respective et de respecter leur liberté de déterminer leur bouquet énergétique", le Premier ministre a dit : "Les uns et les autres ont insisté sur la spécificité des différents pays et il faut aussi les respecter. Pour le Luxembourg, la spécificité se situe dans le transit que connaît le pays et dans sa taille." Néanmoins, "ces spécificités ne doivent pas constituer une excuse pour renoncer à des objectifs ambitieux."

Le député européen vert et ancien rapporteur de la directive sur l’efficacité énergétique, Claude Turmes, ne s’est pas montré irrité du fait qu’aucun objectif chiffré n’a été retenu. Pour lui, le temps qui reste devra être utilisé pour convaincre les parties prenantes d’aller vers des objectifs encore plus ambitieux que ceux prônés par la Commission. Il faudra surtout aller vers les industriels qui continuent de croire que des ambitions plus conséquentes réduisent la compétitivité des entreprises en augmentant le prix de l’énergie, un argument qu’il estime faux dans les faits. A terme, repenser la politique énergétique sous l’égide d’objectifs ambitieux pour lutter contre les émissions de gaz de serre sera au contraire profitable à la compétitivité du continent européen. Pour gagner l’industrie à la bonne cause, il faudra revoir, selon Claude Turmes, le régime des aides, notamment à l’investissement dans l’efficacité énergétique.