Dans le cadre du 31e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté, le Bureau d’Information du Parlement européen au Luxembourg et le Comité de Liaison des Associations d’Etrangers (CLAE) avaient invité le 14 mars 2014 à un premier débat avec les représentants des neuf partis qui se présenteront au Luxembourg aux élections européennes du 25 mai. Avaient répondu présents Sven Clement, le président de la Piratepartei, Jean Colombera, l’ancien député ADR qui est maintenant président de son propre parti, le PID ou Partei fir integral Demokratie, l’ancienne ministre de l’Education Mady Delvaux-Stehres, la tête de liste des socialistes du LSAP, le député européen Frank Engel, qui a pris la parole pour le CSV, le député européen et tête de liste des libéraux Charles Goerens (DP), Fabienne Lentz, la porte-parole de Déi Lénk, Liliana Miranda, secrétaire générale de l ADR, le président du KPL, Ali Ruckert, et le député européen et tête de liste de Déi Gréng, Claude Turmes. L’animateur du débat, le journaliste de RTL Guy Weber, avait retenu trois thèmes : la sortie de crise, la libre circulation et la citoyenneté.
Charles Goerens (DP) a plaidé pour une UE plus solidaire à l’intérieur comme à l’extérieur et un changement des traités, la crise ayant montré que l’UE ne peut plus fonctionner normalement dans les conditions institutionnelles actuelles. Les deux grands chantiers sont l’assainissement des finances publiques et l’investissement dans la recherche et l’innovation. Ce dernier chantier passe par un plus grand budget de l’UE, ce que la dérive intergouvernementale de l’UE sous l’influence de la chancelière allemande a jusque-là empêché.
Au cours de la discussion, Charles Goerens a précisé sa pensée sur une Europe plus solidaire en plaidant pour une organisation de cette solidarité. L’exemple de la Grèce montre qu’elle est mal organisée. On a aidé la Grèce qui selon lui arrivera à rembourser les taux d’intérêts sur cette aide, mais jamais le capital engagé. Par contre, si l’UE avait disposé de plus de budget et de réserves, elle aurait pu pousser une politique anticyclique en Grèce. Pour lui, l’UE doit aller sur le chemin de la constitution de ce type de réserves. Et pour cela, il faudra changer les traités.
Mady Delvaux-Stehres (LSAP) ne veut pas trop promettre, sachant que l’UE est composée de 28 Etats membres. Un des objectifs de la stratégie Europe 2020 a été de réduire l’illettrisme, le chômage et la pauvreté pour 20 millions de personnes. Mais avec les politiques budgétaires qui ont cours et le risque de sanctions que tout non-respect des normes budgétaires comporte, moins de choses ont été possibles. Par contre, si un pays affiche un nombre croissant et inquiétant de chômeurs, aucun clignotant ne s’allume. Pour la socialiste, ce paradoxe donne à réfléchir, d’autant plus que l’UE ne dispose pas d’outils propres dans ce domaine.
Claude Turmes (Déi Gréng) a plaidé pour un pacte de l’innovation. Il faut donner un espoir aux jeunes, comme la Garantie Jeunesse que les Verts ont contribué à faire naître. Il a regretté que le budget de l’UE soit avec 1 % du PIB trop faible pour pratiquer des investissements dans les domaines qui comptent pour sortir de la crise. Aux USA, avec un budget fédéral qui dispose de 25 % du PIB, cela a été plus facile au président Obama de contrer la crise et de préserver les entreprises. Mais il en a été décidé ainsi par la France et l’Allemagne, qui représentent 48 % des actifs de l’UE. D’où la politique d’austérité néolibérale que l’UE a connue depuis 2008. La Banque européenne d’investissement (BEI) constitue pour Claude Turmes, avec les 85 milliards de crédits annuels – un plus de 30 milliards - dont elle dispose, le premier levier public européen de l’investissement. Claude Turmes a salué le fait que le SPD ait réussi à faire passer le principe d’un salaire minimum dans le programme de la grande coalition avec la CDU en Allemagne, parce que cela contribuera à la lutte contre le dumping social, à la hausse du pouvoir d’achat des citoyens et donc à la relance économique.
Au cours de la discussion, Claude Turmes a encore expliqué qu’il n’y aura pas de sortie de crise si les multinationales ne paient pas leur contribution. Il faut donc changer la base de la fiscalité. Par exemple en introduisant une taxe sur les transactions financières (TTF). A ce sujet, certaines choses devraient évoluer au Luxembourg, où l’on veut protéger le secteur financier. Pour Claude Turmes, il faudra réduire l’écart qui existe entre le pari sur certaines niches financières et le "plus d’Europe" que l’on revendique comme politique nationale.
Fabienne Lentz (Déi Lénk) a plaidé pour une UE qui harmonise les normes sociales vers le haut, alors que l’UE a au cours de la crise surtout contribué à baisser les salaires et les pensions. Il faut donc changer les principes fondamentaux sur lesquels est construite l’UE. L’assainissement des finances publiques ne peut pas être une fin en soi. Il faut aussi changer les ressources budgétaires, alors que jusque-là, les entreprises paient de moins en moins d’impôts.
Aly Ruckert (KPL) a expliqué que l’UE a été fondée dès ses débuts sur un grand pilier, le grand capital, et que depuis 2008, des centaines de milliards d’euros d’aide sont allés avec le sauvetage des banques directement au grand capital. Pour lui, il faut tout changer et augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs. Sinon la sortie de la crise se fera par la guerre, comme cela s’est déjà vu dans l’histoire européenne. L’UE déclenche selon lui de toute façon des guerres, comme en Yougoslavie ou en Afrique., rien que pour que cela profite à l’industrie de l’armement.
Pour Frank Engel (CSV), l’Europe sociale, cela devrait être des seuils minimaux en matière de revenu et de protection sociale. L’exemple allemand, qui a conduit à la pauvreté de nombreuses personnes, n’est pas un exemple à suivre. Il est aussi déplorable que les banques aient absorbé autant d’aides. Mais s’il y avait eu des faillites de grandes banques systémiques, les dépôts des citoyens se seraient volatilisés. Le temps est maintenant venu pour investir, pour produire et mettre fin à l’austérité. Cette austérité, estime Frank Engel, a été nécessaire, car une dette publique dans l’UE qui tourne en moyenne toujours autour de 92 % dans la zone euro et dépasse les 100 % du PIB dans certains pays représente un service de la dette qui constitue une grande charge budgétaire. Il faut donc continuer à faire des économies, par exemple en fusionnant les ambassades des pays de l’UE et les armées, renforcer le budget de l’UE et l’investissement public, et aussi passer à une fiscalité des entreprises plus raisonnable.
Pour Liliana Miranda (ADR), ce sont les Etats membres qui doivent eux-mêmes fixer leurs seuils sociaux minimaux, et qu’il n’est pas possible de réduire les écarts entre les seuils nationaux existants, comme entre un SMIC luxembourgeois qui tourne autour de 2000 euros et un SMIC portugais qui tourne autour de 500 euros. L’assainissement des finances publiques aurait dû se faire bien plus tôt. Reste que l’ADR est contre l’immixtion dans la souveraineté budgétaire des autres Etats membres, donc aussi contre le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le paquet budgétaire. L’ADR plaide pour que l’on propose à certains Etats de la zone euro d’en sortir provisoirement de manière négocié et avec l’aide des Etats qui y resteraient afin qu’ils se refassent une santé économique.
Jean Colombera (PID) a plaidé pour l’introduction d’un revenu de base minimal garanti (RMBG) au niveau européen et le renforcement des pouvoirs du Parlement européen. Le RMBG contribuerait à réduire les déséquilibres sociaux en enlevant la pression des citoyens.
Sven Clement (Piratepartie) est d’avis que les moyens de l’UE pour sortir de la crise sont insuffisants et qu’il faut revoir ses fondements. Il plaide pour une UE plus fédérale où le Conseil soit réformé et le Parlement européen.
Le sujet de la libre circulation des personnes et des travailleurs a été abordé sur fond des campagnes populistes au Royaume Uni entre autres après l’ouverture inconditionnelle du marché du travail européen pour les travailleurs originaires de Roumanie et de Bulgarie.
Pour Aly Ruckert (KPL), la libre circulation existe pour le grand capital. Les travailleurs sont libres d’aller se faire exploiter partout en Europe. Elle entraîne une harmonisation vers le bas des salaires, particulièrement avec les travailleurs roumains et bulgares qui travaillent au Luxembourg.
Liliana Miranda (ADR) a insisté sur le respect des lois régissant la libre circulation par ceux qui en bénéficient. C’est la crise qui draine les jeunes des pays particulièrement touchés vers d’autres pays où ils pensent pouvoir construire leur avenir. Mais pas tous les espoirs sont exaucés, même dans des pays qui ont besoin de main d’œuvre comme le Luxembourg, et qui misent sur la libre circulation. L’ADR dénonce surtout le type de migration qui fait plus de mal que de bien à celui qui migre.
Mady Delvaux-Stehres (LSAP) est un fan de la libre circulation, pour avoir connu une Europe où elle n’existait pas encore. Les propos sur les soi-disant abus des systèmes sociaux par les travailleurs des autres pays de l’UE qui usent de leur droit à la libre circulation l’agacent. Il n’y a pas plus d’abus du côté des migrants que du côté des natifs. Elle ne voit pas où serait le mal si des travailleurs d’un pays de l’UE cherchent un ancrage dans un autre Etat membre.
Pour Jean Colombera (PID), la libre circulation ne pose aucun problème. Le seul danger qu’il voit est la fuite des cerveaux des pays en crise qui risquent d’en manquer pour faire avancer et durer la reprise.
Sven Clement (Piratepartei) estime que la libre circulation des personnes est un des fondements de l’UE. La Suisse l’a remise en cause. La libre circulation des personnes est liée à celle des biens, des services et des capitaux. La libre circulation à la carte est impensable. Si l’on met un de ses volets en cause, l’on cessera de parler de l’UE dès 2015.
Pour ne pas faire monter la pression sur ces questions en Europe, Charles Goerens (DP) plaide pour une pause de réflexion en ce qui concerne l’élargissement de l’UE. Il est temps d’approfondir l’UE. Mais pas question de porter atteinte une libre circulation dont les règles sont à la fois généreuses et brutales, puisqu’après trois mois d séjour dans un Etat membre, il faut apporter les preuves que l’on a des moyens de subsistance propres, et ce au risque d’être renvoyé dans son pays d’origine. Par ailleurs, aucun Etat membre n’a pu communiquer à la commissaire Viviane Reding des preuves sur les soi-disant abus des systèmes sociaux par les travailleurs qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation. Il importe d’autant plus pour lui que les partis dits "mainstream" prennent leurs responsabilités et pour d’aucuns, cessent leur propos contre la libre circulation et l’immigration, car selon lui, l’UE aura dans dix ans massivement besoin d’immigrés.
Pour Fabienne Lentz (Déi Lénk), la libre circulation est un droit fort limité dans le temps et l’espace qui favorise par ailleurs l’externalisation des ressources humaines et le travail au noir.
Claude Turmes (Déi Gréng) a abordé la question du détachement des travailleurs dans le cadre de l’UE, où la directive est en train d’être révisée. Ici, le plus grand problème, ce sont les contrôles. L’ITM luxembourgeoise a développé sur les contrôles une série d’idées qui ont eu un impact au niveau européen sur la manière d’aborder en cas de réforme la question de la responsabilité conjointe des entreprises principales et de leurs sous-traitants. Mais le centre-gauche européen est encore freiné dans sa volonté de réformer le détachement des travailleurs. Claude Turmes s’en est également pris à l’Europe-Forteresse et a exprimé sa honte pour les milliers de morts aux frontières de l’UE.
Pour Frank Engel (CSV), le débat sur la libre circulation est un débat fantaisiste, notamment la manière dont il est mené par le Premier ministre britannique David Cameron, qui pratique la surenchère pour éviter de perdre trop de voix en faveur du parti europhobe de droite UKIP. Il y a un peu plus d’un million de travailleurs issus d’autres Etats membres de l’UE au Royaume Uni qui st un pays qui a réussi à intégrer des millions et des millions de personnes issues de ses anciennes colonies. Ce million d’Européens ne peut pas constituer un grand problème, s’il n’y avait ce problème des Conservateurs avec l’UKIP. Le CSU allemand et l’UMP française imitent les Conservateurs britanniques. Ce qui l’inquiète est que les partis dits « mainstream » suivent d’autres partis en reprenant le discours populiste contre la libre circulation. Sans la libre circulation, le Luxembourg n’aurait pas pu créer 250 000 de ces plus de 360 000 emplois.
L’animateur du débat, Guy Weber a abordé la question de la citoyenneté non pas à partir du concept de citoyenneté européenne qui confère le droit de vote aux élections communales et aux élections européennes aux citoyens ressortissants d’une autre Etat de l’UE, mais à travers la question "des droits politiques des concitoyens non luxembourgeois" telle quelle est abordée dans le programme du nouveau gouvernement luxembourgeois, une question qui est censée devenir l’objet d’un référendum.
Sven Clement (Piratepartei) s’est prononcé pour un droit de vote national pour tous les résidents du Luxembourg.
Pour Jean Colombera (PID), qui est convaincu que le rapport démographique entre 55 % de Luxembourgeois et 45 % de non-Luxembourgeois qui s’inversera dans un proche futur est un défi essentiel du Luxembourg. Lui-même est favorable à une ouverture du droit de vote à toutes les personnes résidentes dans le pays.
Mady Delvaux-Stehres (LSAP) penche dans le même sens, mais pour elle, la citoyenneté ne se réduit pas au droit de vote, mais s’étend à l’accès à tous les droits : à la santé, à l’éducation, au travail, etc..
Frank Engel (CSV) est pour un accès au droit de vote aux législatives pour les citoyens de l’UE qui résident au Luxembourg. Mais la dévolution d’un tel droit de vote aux législatives n’est pas prévu dans les traités européens, contrairement à ce qui touche au droit de vote aux communales et aux européennes. Même si la situation démographique du Luxembourg est unique, il faudrait penser à réviser les traités européens sur ce point, ne serait-ce que pour que les Luxembourgeois et les autres citoyens de l’UE puissent bénéficier du même droit de vote national à l’étranger..
Charles Goerens (DP) croit dans les vertus de l’intégration par le droit de vote. Mais il est contre un référendum sur la question, car l’issue risque d’être négative par les temps qui courent. La Chambre devrait être placée devant ses responsabilités et il faudrait mener un vrai débat avant un vote à la Chambre.
Fabienne Lentz (Déi Lénk) s’est prononcée pour le droit de vote national pour les résidents de l’UE comme des pays tiers.
Pour Liliana Miranda (ADR), il faut dissocier nationalité et citoyenneté, les résidents du Luxembourg étant tous égaux mais différents. L’ADR est pour le droit de vote de tous les résidents, UE et pays tiers, aux élections communales. L’ADR constate par ailleurs que les élections européennes suscitent peu d’intérêt auprès des non-Luxembourgeois concernés. La nouvelle loi sur la double nationalité par contre est un succès. L’ADR est contre un droit de vote des non-Luxembourgeois aux élections législatives, mais veut faciliter la naturalisation qui y donne accès. L’ADR est par ailleurs pour que soit tenu un référendum sur la question des droits politiques des concitoyens non-luxembourgeois.
Aly Ruckert (KPL) estime que les 25 % de jeunes qui sont au chômage dans la commune de Differdange, où il est conseiller communal, se fichent de la citoyenneté mais veulent un travail, un salaire et un logement décents. Son parti avait déjà milité pour le droit du sol il y a plus de quarante ans, ce qui aurait facilité les choses, mais salue la possibilité d’acquérir la double nationalité, une possibilité qu’il faudrait faciliter.
Claude Turmes (Déi Gréng) pense que sur le fond de la crise qui ébranle l’UE et le Luxembourg, il faudra trouver une solution sur la citoyenneté. Son parti est favorable au droit de vote national pour tous les résidents.