Le 3 avril 2014, la Chambre des députés a débattu de la déclaration sur l’état de la nation prononcée la veille par le Premier ministre Xavier Bettel.
Le premier à prendre la parole fut le chef de file du CSV, l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker. Pour lui, la déclaration de Xavier Bettel n’a été "qu’une paraphrase du programme de gouvernement de décembre 2013". Par ailleurs, à certains égards, cette déclaration n’a guère divergée de celle qu’il a prononcée lui-même en avril 2013.0
Partant de là, il a fait la part des choses : ce qui n’est pas nouveau lui plaît, ce qui est censé être nouveau n’est guère visible encore. Mais "beaucoup de choses sont positives" pour le chef de l’opposition qui "ne veut pas mener une politique d’opposition fondamentale, mais d’opposition constructive". Jean-Claude Juncker a ainsi approuvé ce qui a été dit sur la diversification de l’économie, sur le soutien à la recherche et aux secteurs de la logistique et des TIC. Il a également salué la Garantie jeunesse et la politique en faveur de place financière, rappelant que c’était l’ancien ministre Luc Frieden qui avait amené au Luxembourg les onze nouvelles banques étrangères citées par Xavier Bettel.
Mais la déclaration a manqué de clarté, estime Jean-Claude Juncker, car le gouvernement n’a pas livré d’indications sur le chemin qu’il entend prendre au-delà de 2014. Les 231 millions d’économies dans le cadre des efforts de consolidation budgétaire ne diffèrent guère de ceux que son propre gouvernement avait annoncées, plus d’économies ayant été écartées pour des raisons conjoncturelles et pour ne point entraver la croissance. Jean-Claude Juncker a regretté que les grandes lignes du programme de stabilité et de croissance et du plan national de réformes pour 2015, ainsi que les volumes financiers qu’ils impliquent, ne puissent pas être discutés par la Chambre, alors que ces deux plans doivent être soumis fin avril 2014 à la Commission européenne dans le cadre du semestre européen.
L’ancien Premier ministre a par contre félicité le gouvernement d’avoir renoncé aux intérêts notionnels, "car il s’agit d’un cadeau fiscal inacceptable pour le capital étranger".
La hausse de la TVA, déjà mise en expectative par son gouvernement, et qui sera de 2 %, aurait par contre être assortie de mesures de compensation fiscale pour ceux qui perdent en termes de pouvoir d’achat et d’autres compensations pour les personnes, nombreuses, qui ne paient pas d’impôts. Or, la hausse de la TVA touchera selon lui avant tout les personnes aux revenus les plus faibles. Maintenant, l’horizon pour des compensations sociales est l’année 2017, quand la réforme fiscale globale sera mise en œuvre, mais pour les autres personnes, rien n’est prévu. Jean-Claude Juncker a aussi demandé à ce que l’impact de la suppression du taux super-réduit de TVA sur les constructions ou rénovations qui ne touchent pas au domicile soit évalué, par exemple sur la construction de logements locatifs. Lui-même craint que la mesure ne puisse freiner l’investissement dans ce secteur où la pénurie est la plus sensible. Par ailleurs, a-t-il rappelé, le taux réduit de la TVA est aussi un moyen de lutter contre le travail au noir.
Le chef du groupe politique CSV est aussi resté sur sa faim sur les vraies intentions du gouvernement en matière de RMG, d’allocations familiales et de chômage, et a mis en garde contre toute idée de réduire les allocations de chômage en temps de crise. Le vague sur ces questions, a-t-il estimé, a d’ores et déjà insécurisé de larges fractions de la population. Il a conclu en reprochant au gouvernement de ne pas avoir été assez clair sur le futur et les nouvelles politiques qu’il a l’intention de mener et d’avoir "raté l’occasion de montrer le chemin".
Le chef de file du LSAP à la Chambre, Alex Bodry, a lui parlé d’une "impression de déjà-vu". Les grands débats sur les nouvelles orientations n’auront lieu qu’après Pâques. Il a évoqué un Luxembourg qui se retrouve depuis quelques temps dans un environnement international moins amical sinon plus hostile, qui a surtout "un problème d’image". Alex Bodry a estimé que le gouvernement précédent aurait pu éviter le jugement négatif du Global Forum sur la place financière.
Pour lui, le Luxembourg a changé du tout au tout. Sa démographie se développe depuis vingt ans au grand galop, son marché du travail également. Son PIB par tête d’habitant est 2,5 au-dessus de la moyenne UE. Le risque de pauvreté a cependant augmenté et touche plus de 15 % de la population, soit plus de 80 000 personnes, et surtout les familles monoparentales. Le Luxembourg est le pays de l’UE aux logements les plus chers, au salaire minimum le plus élevé, le pays qui dispose des plus grandes réserves pour les pensions, mais qui a aussi fait les plus grandes promesses. De plus en plus de Luxembourgeois se retrouvent dans le secteur public, et ils ne sont que 20 % dans le secteur privé. 50 % du marché du travail est constitué de frontaliers.
Maintenant, l’Etat devra, dans un contexte de tels changements, compenser la perte de 800 millions de recettes provenant de la TVA sur le commerce électronique, une perte qui s’élèvera même à 1,3 milliards jusqu’en 2019. C’est sur cette question que devront se concentrer les travaux budgétaires jusqu’en septembre 2014 et ces travaux impliqueront une réflexion destinée à éviter des effets indésirables d’une nouvelle politique budgétaire, comme par exemple le risque de paupérisation des classes moyennes.
Alex Bodry pense que le Luxembourg doit aller dans le sens de l’objectif européen fixé dans la stratégie Europe 2020 qui veut que l’Union devienne une société de la connaissance. L’emploi doit être ici la première priorité, et il passe entre autres par une politique de la ré-industrialisation.
Abordant la question de l’index, Alex Bodry a plaidé pour que l’on laisse en place la loi existante et que l’on n’intervienne seulement si nécessaire. Par ailleurs, dans une optique de maintien du pouvoir d’achat des citoyens, le chef de file des députés socialistes pense qu’il ne faut pas sortir la hausse de la TVA de l’index. Cela devrait aider à stimuler la demande intérieure. La question de l’index devrait en tout cas être un moyen de réussir à faire de nouveau discuter ensemble les salariés et le patronat.
Quant à l’accord salarial dans le secteur public, Alex Bodry a rappelé que la valeur points n’avait augmenté que de 2,2 % entre 2010 et 2015, ce qui témoignait d’une politique salariale modérée dans la fonction publique.
Eugène Berger (DP) a prononcé un plaidoyer très marqué pour l’analyse des dépenses publiques et la sélectivité sociale des transferts sociaux. Il a critiqué la politique du gouvernement précédent d’avoir couvert les dépenses courantes par des recettes dont on savait qu’elles ne dureraient pas. Il aurait été juste de passer plus tôt à la hausse de la TVA. Le DP pense également que le dernier gouvernement n’aurait pas dû concéder une augmentation salariale au secteur public, mais le nouveau gouvernement est désormais lié par cet accord. Mais ensuite, aucune nouvelle augmentation ne sera plus accordée jusqu’à la fin du mandat du nouveau gouvernement, a-t-il assuré.
Eugène Berger a exprimé ses doutes que toutes les allocations familiales bénéficient en fin de compte aux enfants auxquels elles sont destinées, jugeant qu’elles sont plutôt investies dans des écrans plasma ou des vacances. Il a suggéré que le gouvernement prévoie plus de prestations en nature : crèches, garderies et autres services pour les enfants, et ce pour encourager les femmes à rester sur le marché de l’emploi.
Viviane Loschetter (Verts) a estimé que si le Luxembourg était une famille, il serait déjà un client du bureau de surendettement. A politique inchangée, le pays serait à terme ruiné, pollué et malade. La question budgétaire doit être selon elle posée sous le double angle de la justice sociale et du gaspillage des fonds publics. Elle s’est ainsi demandé s’il fallait soutenir une politique nataliste ou soutenir par des bourses des étudiants de familles fortunées. "Allégoriquement parlant : celui qui a une couverture dans le froid n’a pas besoin d’une deuxième !", s’est-elle exclamée. Comme Eugène Berger, elle a critiqué un Luxembourg qui a vécu à crédit, dont la dette publique s’est multipliée par six en dix ans, alors que l’on se trouvait face à une disparition annoncée d’importantes recettes. Et pourtant, on a signé un accord salarial avec le secteur public qui a donné l’impression qu’il n’y avait pas de crise. La députée admet que la hausse de la TVA pour réagir à ces problèmes n’est fondamentalement pas socialement juste, mais aussi qu’elle est incontournable. S’il a fallu réagir ainsi, c’est parce que pendant toute la période précédente, il n’y a pas eu d’analyse sur une réforme fiscale, une réflexion qui, par nature, prend du temps.
Viviane Loschetter a loué la nouvelle politique de l’eau du gouvernement, une eau qui est selon elle "l’or du 21e siècle" et dont les citoyens ont empêché la privatisation par une directive européenne. En apportant son soutien aux objectifs européens de l’efficacité énergétique, le gouvernement aidera la promotion des écotechnologies qui sont un de ses piliers dans la diversification économique et contribuera à la création de « green jobs » qui serviront à la lutte contre le chômage. La députée a également mis en avant l’engagement du Premier ministre au Conseil européen de mars 2014 pour des objectifs d’ici 2030 en matière de réduction des émissions de CO2 et d’énergies renouvelables.
Gast Gibéryen (ADR) a critiqué une déclaration longue mais peu concrète, mais aussi le fait que toute proposition plus concrète soit retardée jusqu’aux élections européennes du 25 mai. "Votez Gambia, le démantèlement social suivra !", a-t-il ironisé. Il craint que les personnes qui ne paient pas encore d’impôts actuellement en payent en 2017. Il a par ailleurs critiqué l’impact de la hausse de la TVA sur le marché locatif.
Une autre crainte de l’ADR est qu’après les concessions faites par le Luxembourg en matière d’échange automatique des informations (EAI), les négociations avec la Suisse se révèlent être un échec, de sorte qu’en décembre 2014, les normes OCDE ne soient pas appliquées. Gast Gibéryen aurait pour cela préféré que le gouvernement eût défendu avec plus d’énergie les intérêts du pays au Conseil européen.
Serge Urbany (Déi Lénk) a jugé le discours de Xavier Bettel « assez superficiel » et estimé que l’avenir de l’Etat social avait été le non-dit de ce discours. Or, un citoyen sur huit est exposé au risque de pauvreté et plus de 7 % de la population active est au chômage. Par ailleurs, l’inégalité salariale a augmenté et elle est selon lui la cause première de ces évolutions. De plus en plus de travailleurs pauvres doivent solliciter une part RMG, alors que la plus-value moyenne d’un travailleur est au Luxembourg de 106 000 euros tandis que le salaire annuel moyen tourne autour de 50 000 euros. Sans transferts sociaux, le risque de pauvreté passerait de 16 à 46 % des résidents. Dans ce contexte, l’annonce faite de changements concernant le RMG, les allocations familiales et de chômage tout comme la sécurité sociale l’inquiète, puisqu’en même temps, l’imposition des revenus des capitaux est 6 fois moins onéreuse que celle des revenus salariaux. Moins d’Etat social contribuera à la croissance du secteur des assurances privées, mais de l’autre côté, des systèmes sociaux sélectifs sont aussi des systèmes pauvres que personne ne défendra, estime-t-il. Concernant la Garantie jeunesse, le député de la Gauche a souhaité un débat sérieux à la Chambre. Quant à la hausse de la TVA, il a jugé que les salariés se voient octroyés une charge supplémentaire sans que l’on sache si la réforme fiscale de 2016 sera socialement plus juste.
Serge Urbany a salué le fait que la place financière ait renoncé à favoriser la fraude fiscale, mais il a noté que cela ne s’est fait que sous la pression extérieure. Il a mis en garde contre la tentation de créer, par exemple avec les fonds patrimoniaux, de nouvelles niches fiscales en n’assimilant pas les revenus de ces fonds à des dividendes ou à des intérêts.
Regrettant qu’il n’y ait pas de débat public spécifique à la Chambre sur le programme de stabilité et le plan national de réformes (PNR), Serge Urbany a déposé une motion demandant à ce qu’un tel débat ait lieu.
Xavier Bettel a répondu aux critiques sur la manière de procéder du gouvernement avec le programme de stabilité et le PNR en expliquant que le ministre des Finances prendrait position sur ces questions le 23 avril dans le cadre du débat sur le budget de l’Etat. Il a donc appelé à rejeter la motion de Serge Urbany de Déi Lénk.
Il a aussi récusé les critiques adressées à la hausse de la TVA dans la construction de logements autres que le domicile principal et contesté que la hausse de la TVA contribue à la lutte contre le travail au noir. Pour lui, ce sont les contrôles sur le terrain qui constituent la meilleure lutte contre le travail illégal.
Quant à l’index, le Premier ministre a mis en avant que le gouvernement veut miser sur la paix sociale qui est un grand atout. D’autre part, comme l’inflation est actuellement très faible, et que ce phénomène risque de durer un certain temps, il n’y a pas de raison d’ancrer la modulation de l’index qui expirera fin 2014 dans la loi, mais de viser un accord entre les partenaires sociaux, et répondant directement à une question de Serge Urbany, il a souligné que le gouvernement cherchait accord avec les syndicats.
Le député de Déi Lénk, Justin Turpel a expliqué le sens de la motion de son groupe. Le programme de stabilité et le PNR sont des éléments du semestre européen. Les députés ont besoin de connaître les documents qui s’y rapportent, ils veulent être consultés et débattre au cours des différentes phases du semestre européen en connaissance de cause. Lors de la semaine du 22 au 24 avril, quand la Chambre débattra du budget, un moment devrait selon Justin Turpel pouvoir être trouvé pour mener un débat d’orientation. L’agenda proposé par le Premier ministre par contre est que le ministre des Finances prenne position sur le programme de stabilité et le PNR le 23 avril, et le gouvernement l’adoptera de manière formelle le 25 avril. Ensuite, il veut venir le présenter dans le détail le 28 avril à la commission des finances et du budget. Mais, a souligné Justin Turpel, une discussion en commission ne concerne pas la plénière et elle n’est pas publique, alors qu’elle devrait l’être. Pourquoi une solution ne peut-elle pas être trouvée le 23 ou 24 avril en plénière ?
Le Premier ministre est resté inflexible, répondant que le 23 avril, les députés pourraient prendre position.
La motion a été rejetée avec 32 voix contre 22, des députés du CSV et de l’ADR ayant voté avec Déi Lénk.