De nombreuses parties de la déclaration sur l’état de la nation prononcée le 2 avril 2014 par le Premier ministre Xavier Bettel devant la Chambre des députés étaient largement surdéterminées par l’appartenance du Luxembourg à l’UE : celles consacrées aux finances publiques, à la hausse de la TVA, à la compétitivité, à la lutte contre l’inflation et à la politique salariale, à la place financière et à l’échange automatique d’informations, à l’industrie des TIC, à la réduction des émissions de gaz de serre, à l’idée de l’Europe, et dans la foulée, à la politique de défense.
Le Premier ministre estime que l’Etat et le pays doivent être réformés au niveau politique, économique et sociétal, parce que les dépenses publiques ont dépassé les recettes, parce que la dette publique n’a jamais été aussi élevée, parce que le pays est devenu moins compétitif, parce que son secteur financier est sous le feu des critiques, parce que trop de personnes non qualifiées et de jeunes sont au chômage, parce que trop de salariés âgés sont poussés trop tôt à prendre leur retraite, parce que les prestations sociales vont aussi à des bénéficiaires qui n’en ont pas besoin.
Le Premier ministre a parlé d’une dette publique qui s’élève en avril 2014 à 11 milliards d’euros et qui pourrait atteindre à politique inchangée les 15 milliards en 2016. Or, a-t-il souligné, le Luxembourg n’a jamais connu un taux d’endettement qui approchait les 30 % de son PIB. La situation est d’autant plus grave que l’Etat ne dispose pas de réserves financières suffisantes pour amortir le choc de l’affaissement des recettes provenant de la TVA sur le commerce électronique. Un des premiers objectifs de son gouvernement, qui a déjà été formulé dans l’accord de coalition, est donc de faire en sorte que le budget de l’Etat soit de nouveau équilibré.
Le projet de budget 2014 prévoit d’ores et déjà 231 millions d’euros d’économies et réduira de 8,5 % ou de 50 millions les frais de fonctionnement de l’Etat. Il a rétabli la norme fiscale qui prévoit que les dépenses ne doivent pas augmenter plus rapidement que les recettes. Le budget de l’Etat respectera de ce fait les critères du Pacte de stabilité sur lesquelles il y a accord au niveau de l’UE.
Les budgets de 2015 et 2016 continueront cet effort. Chaque dépense sera examinée sous l’angle de plusieurs questions: Un objectif politique justifie-t-il la dépense? Qu’est-ce qui est dans l’intérêt du citoyen? De quelle marge de manœuvre dispose-t-on? Quels résultats seront générés par la dépense en question? Un cofinancement par le secteur privé serait-il utile?
En 2015, l’affaissement des recettes de l’e-commerce tournera autour de 800 millions d’euros qui manqueront dans les caisses publiques. Pour amortir le choc, le gouvernement prévoit d’augmenter le taux de la TVA de 2 % à partir du 1er janvier 2015, un taux de base qui passera de 15 à 17 %, les taux intermédiaires passant eux aussi de 12 à 14 et de 6 à 8 %. Le Premier ministre Bettel a insisté sur le fait que ce taux de 17 % continuera à être le taux le plus bas pratiqué dans l’UE, rappelant aussi qu’il est de 19 % en Allemagne, de 20 % en France et en Belgique et de 21 % aux Pays-Bas. Il a aussi souligné le maintien du taux super-réduit de 3 %, qui continuera de s’appliquer à l’alimentation, aux vêtements et chaussures pour enfants, aux livres et aux imprimés comme aux tickets d’entrée pour le cinéma, le théâtre et les musées. Les travaux de rénovation pour la résidence principale continueront eux aussi à ne pas être affectés. Tout cela pour faire valoir que la hausse de la TVA telle qu’elle a été conçue par le gouvernement est une mesure "socialement juste" tout en n’étant "pas socialement sélective, à l’instar de toute taxe sur la consommation". La dimension sociale sera en contrepartie prise en compte lors de la réforme fiscale générale de 2016 et la lutte contre la fraude à la TVA renforcée.
Cette hausse de la TVA devrait rapporter 350 millions d’euros supplémentaires. Comme elle ne suffira pas à compenser les 800 millions de pertes escomptées liées à l’e-commerce, chacune des administrations devra encore identifier d’autres postes sur lesquels des économies pourront être prévues.
Une annonce importante de la part du Premier ministre a été que le Luxembourg n’introduira pas le système des intérêts notionnels (qui permet à des filiales financières sur place de minimiser l'impôt sur des capitaux, reçus à taux d'intérêt nul d'une maison mère située dans un "paradis fiscal" avant d’être prêtés à une entreprise dans un autre pays, vues d’un très mauvais œil par la Commission européenne, ndlr). Xavier Bettel a expliqué que “l’effet de ce système a été calculé, et le résultat est que l’utilité pour l’économie est sans rapport avec les pertes en termes de recettes”.
La compétitivité de l’économie et le maintien du pouvoir d’achat de familles sont pour le Premier ministre les deux faces d’une même médaille. S’y rattache directement la problématique de l’indexation automatique des salaires, car l’inflation doit être efficacement combattue. Le Premier ministre s’est demandé "si le fait de continuer la modulation de l’indexation des salaires telle qu’elle est prévue par la loi est la meilleure manière de tenir compte des intérêts des salariés et du patronat". D’où sa proposition que les partenaires sociaux essaient d’arriver avant l’été à un accord global qui exclut une intervention dans le mécanisme d’indexation par la voie législative. Sinon le gouvernement interviendrait de nouveau par cette voie en cas de dérapage de l’inflation.
Le Premier ministre est parti de plusieurs constats. La place financière a été sous pression depuis de nombreuses années et certaines niches n’étaient plus tenables vue la pression externe. L’échange automatique d’informations (EAI) sera introduit, déjà sur décision du gouvernement précédent, "qui a agi sans précipitation et avec l’objectif que la place financière de Luxembourg ne soit pas désavantagée en Europe". Xavier Bettel affirme avoir agi sur base de cette position lorsqu’il a insisté lors du Conseil européen de décembre 2013 à ce que la Commission européenne s’engage de son côté à mener les négociations avec les pays tiers que sont la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre a Saint Marin et à présenter des résultats en fin d’année. Parallèlement, le gouvernement a pris tout un train de mesures pour se plier aux nouvelles exigences de l’OCDE, du Global Forum et du GAFI qui lutte contre le blanchiment d’argent, ayant dans la mire à la fois le maintien du triple A des agences de notation et que les grandes banques institutionnelles comme la BEI et la BERD continuent de pratiquer leurs transactions au Luxembourg.
Partant de là, le Premier ministre ne veut pas parler de "la fin d’une ère", mais il estime que "nous entrons dans une nouvelle étape du développement de notre excellente place financière" qui ne dépend pas du seul secret bancaire. "Ce modèle n’était pas durable, et ce qui comptera surtout, c’est et ce sera la qualité du service offert à ceux qui ouvrent des comptes au Luxembourg", souligne-t-il. Depuis juillet 2013, onze nouvelles banques se sont installées au Luxembourg, des banques françaises, anglaises, chinoises, suisse, brésilienne et russe.
Le Premier ministre a admis que même après la suppression de 1000 emplois en cinq ans dans le secteur financier et avec un marché du travail sectoriel qui s’est ensuite stabilisé, la situation reste fragile, comme le montre l’étude d’impact de l’EAI publiée la veille par le STATEC. Mais il mise sur la réorientation, la transparence et l’attractivité intrinsèque d’une place financière qui est la première dans l’UE et la deuxième dans le monde en termes de fonds d’investissement et qui se doit d’être "irréprochable".
Ceci dit, Xavier Bettel a mis en garde contre l’illusion de se fixer exclusivement sur la place financière. La diversification de l’économie luxembourgeoise reste d’actualité, "comme sous le gouvernement précédent". Les secteurs d’avenir identifiés sont la logistique, les TIC, les biotechnologies, les écotechnologies avec la construction durable et la mobilité durable, le commerce et l’économie électronique soutenus par une stratégie en faveur de la large bande et par la mise en place de grands centres de données, où le Luxembourg se positionne comme leader européen, l’e-gouvernement. Bref, le Luxembourg doit devenir une société numérique, faire sa "révolution TIC". Par ailleurs, pour soutenir les secteurs plus traditionnels des PME, le gouvernement veut faire avancer à grands pas la simplification administrative. La loi dite "Omnibus" qui ira dans ce sens sera déposée avant la Pentecôte. Finalement, 3 % du PIB devraient à terme être investis dans la recherche et l’innovation.
Dès juin, la Garantie Jeunesse, que le ministre du travail Nicolas Schmit a poussée au niveau européen, entrera en vigueur au Luxembourg. Endéans quatre mois, tout jeune à la recherche d’un emploi qui se sera adressé aux autorités se verra proposer soit un emploi, soit un poste en apprentissage, soit la possibilité de retourner à l’école.
Le gouvernement se propose également de mieux encadrer les chômeurs de plus de 50 ans, qui représentent un quart des chômeurs. "Le retour au travail doit être fluide, mais clair, et travailler doit être rentable, tout comme chômer ne doit pas être une alternative, mais une exception", a lancé le Premier ministre. Les chômeurs concernés doivent selon lui être plus responsabilisés, leurs efforts doivent être scrutés, ils devront être motivés et flexibles. Conséquence: invoquer la distance entre le lieu du domicile et le lieu de travail pour refuser une offre d’emploi ne sera plus possible. De l’autre côté, un projet de loi sur la "gestion des âges" négociée avec les partenaires sociaux et qui vise le maintien des salariés âgés dans l’entreprise et à améliorer leurs conditions de travail a été adopté par le gouvernement. Cela n’empêche pas le gouvernement de se proposer de réviser le RMG, les indemnités de chômage et la sécurité sociale, même s’il ne doit pas s’agir "d’abattage social". Les prestations sociales devront être "allouées de manière ciblée", selon le terme du Premier ministre.
Xavier Bettel a mis en avant la position du Luxembourg lors du Conseil européen de mars 2014: 40 % de réduction des émissions de CO2 d’ici 2030 et 30 % d’énergies renouvelables. Au niveau national, le gouvernement veut créer de concert avec le secteur privé une "banque climatique" pour accélérer la mise en œuvre de mesures dans le domaine de l’efficacité énergétique et des nouvelles sources d’énergie. Il s’agit par ailleurs d’améliorer l’interconnexion avec les réseaux énergétiques des pays voisins et d’adopter une approche résolument européenne.
Pour le Premier ministre, "l’Europe est plus qu’une construction économique. Elle est une idée de paix et de liberté pour laquelle cela vaut la peine de s’engager, voire de lutter. Des personnes qui ne peuvent pas ou n’ont pas le droit de jouir de ce sentiment sont prêtes à mettre en jeu leur vie. Cela vaut pour les milliers de réfugiés qui tentent par différents moyens de rejoindre l’Europe et cela vaut depuis peu pour les nombreux Ukrainiens qui veulent se rapprocher de l’Europe."
Espérant que la crise autour de la Crimée ne conduira ni à une nouvelle guerre froide, ni à une course aux armements, le Premier ministre a salué dans la foulée l’engagement des soldats luxembourgeois dans de nombreuses missions de paix, mais aussi insisté sur le respect par le Luxembourg de ses engagements militaires, dont l’avion militaire A400M qui sera stationné en Belgique sur la base de Melsbroek près de Bruxelles. L’avion aura occasionné une dépense de 200 millions et les travaux pour son stationnement en Belgique 17 millions d’euros. En temps d’économies budgétaires, "il est difficile de rendre plausible une telle dépense aux citoyens", a estimé Xavier Bettel. D’où son appel à des efforts pour réaménager le budget de la défense luxembourgeoise et à le consolider. Des solutions qui pourraient miser sur une coopération internationale plus intensive devraient être explorées. L’aide publique au développement qui contribue à plus de stabilité dans le monde sera maintenue par contre à 1 % du PIB.
"Ce qui a été appelé crise depuis quelques années est devenu entretemps la réalité tout court." C’est par ces mots que Xavier Bettel a essayé de saisir "ce monde qui a changé ces dernières années". Plutôt que de "pleurer les temps révolus", il faut "affronter les temps nouveaux". Un signe, ce sont pour lui, selon ce que lui ont dit les patrons de nombreux secteurs, les nombreuses demandes de stage des jeunes "conscients qu’il faut faire des efforts, s’affirmer, s’engager, retrousser les manches et donner un coup de main". Ces jeunes donnent pour lui l’exemple à toute la société.