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Elections européennes - Entreprises et industrie
La Fedil invite quatre candidats des partis représentés au Parlement européen à débattre sur le thème de "quelle Europe pour les entreprises"
21-05-2014


A moins d’une semaine des élections européennes dont le scrutin se déroulera le 25 mai 2014 au Luxembourg, la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) avait convié des candidats "des quatre partis politiques représentés au niveau du Parlement européen" à la Chambre de Commerce du Luxembourg, le 21 mai 2014, afin de débattre sur le thème, central pour les représentants de l’organisation patronale, de "quelle Europe pour les entreprises ?".

Pendant une heure et demie devant un public d’une trentaine de personnes, Frank Engel (CSV), Cátia Gonçalves (LSAP), Claude Radoux (DP) et Claude Turmes (déi gréng) ont ainsi été invités à confronter leurs idées, entre autres, sur le marché intérieur, la politique climatique et énergétique européenne, l’économie numérique ainsi que la politique sociale au niveau européen. Cela sous la modération du journaliste Guy Weber et face aux questions de plusieurs "experts" de la Fedil.

Marché intérieur : toujours trop de barrières ?

Après une introduction du directeur de la Fédération, Nicolas Soisson, qui a rappelé que la plupart des décisions politiques qui impactent la vie des entreprises "viennent de Bruxelles" où la Fedil est représentée notamment au travers de l’organisation patronale faîtière BusinessEurope qui essaye toujours de s’impliquer "dès le début du processus législatif" pour faire valoir les intérêts de ses membres, le débat s’est engagé sur le marché intérieur.

elec-pe-fedil-goncalvesBeaucoup de barrières persistent-elles pour les entreprises dans un marché intérieur trop fragmenté comme le craint la Fedil ? Selon Cátia Gonçalves (LSAP), "beaucoup d’efforts" ont déjà été consentis en la matière, la candidate socialiste citant le "Small Business Act" (adopté en 2008 et qui reflète la volonté de la Commission de "reconnaître le rôle essentiel joué par les PME dans l'économie européenne", selon les termes mêmes de la Commission européenne). L’harmonisation et la reconnaissance mutuelle pourraient néanmoins "être améliorées" dans ce domaine, poursuit-elle, soulignant néanmoins sa préférence vers davantage d’harmonisation. Elle plaide en outre pour des investissements ciblés à l’égard des PME en termes de recherche, d’innovation et de créativité. "L’Europe pourrait être plus proactive", dit-elle.  Il s’agit cependant de protéger des "fondamentaux sociaux" du marché intérieur afin d’aller vers une "croissance durable", donc qui "profite aussi aux citoyens".

Pour Claude Radoux (DP), qui "partage" la critique de la Fedil selon laquelle le marché intérieur doit être rendu plus efficace tout comme le soutien aux PME, "de nombreuses décisions doivent être prises à Bruxelles et au Parlement européen" en ce sens. Le candidat libéral souligne notamment l’absence de marché unique de l’énergie de même que "dans d’autres domaines", absence qu’il impute à la volonté de certains Etats membres de "protéger leur secteur". Le DP est en tous les cas "pour abattre autant de barrières que possible aussi vite que possible", dit-il.

Frank Engel (CSV) a pour sa part également critiqué le fonctionnement du marché intérieur qu’il considère pourtant "crucial". L’eurodéputé chrétien-social sortant et candidat à sa propre réélection juge qu’on ne pourra échapper à une harmonisation des standards, des normes et des règles pour les produits et les services, mais il souligne plusieurs avancées en la matière. Ainsi en est-il selon lui des réformes de procédures de concessions et de marchés publics, qui en introduisant le principe "d’offre économiquement la plus avantageuse", permettra désormais de ne plus simplement choisir l’offre la moins coûteuse pour tenir compte d’autres critères (environnementaux, sociaux, etc.), "ce qui profitera aux PME qui sont innovatrices", assure-t-il.

Interrogé sur la question de la reconnaissance mutuelle dans le marché intérieur, le candidat chrétien-social s’est dit "frappé que l’on n’en soit pas plus loin", citant par exemple le problème de l’homologation de véhicules produits hors-UE, qui selon les Etats membres, peut durer de quelques semaines à plusieurs mois.

En revanche, Claude Turmes (déi gréng) a estimé de son côté que l’Europe était déjà loin en termes de marché intérieur et exprimé sa crainte d’un "retour en arrière" face à la montée des extrêmes et des nationalismes. "Notre grande responsabilité est déjà d’éviter un tel recul", a appuyé le candidat écologiste qui brigue un nouveau mandat européen. Lui aussi a souligné les progrès en la matière, en particulier sur les marchés publics évoqués plus tôt, mais également "l’amélioration de la directive détachement en matière de contrôles". Cette dernière, via le badge social, permet d’augmenter les moyens pour lutter contre le dumping social, qui est selon le député européen sortant l’une des motivations de la tentation du repli national.

Protection des consommateurs et croissance sont-elles compatibles ?

elec-pe-fedil-turmesFace à la Fedil qui s’interroge sur la frontière entre "une protection raisonnable des consommateurs et charges insupportables pour les entreprises", Claude Turmes estime que la croissance doit être "qualitative" et ce pour tous les membres de la société, patrons, organisations écologistes, syndicats ou salariés. "Nous vivons sur une seule planète qui est déjà dans le rouge en matière de protection du climat, de biodiversité et de matières premières", insiste-t-il. Selon lui, il est "clair" que le monde du 21e siècle sera celui de "la gestion des ressources" et que toutes les entreprises qui sauront l’anticiper seront "gagnantes". Le lien entre la protection des consommateurs et le business passera par la production de "produits et de services hautement qualitatifs" optimisant l’utilisation des matières premières et le développement d’une "sharing economy" (économie de partage) dont la pratique actuelle du leasing par les grandes entreprises est un exemple selon l’eurodéputé Vert. Sur la question de l’harmonisation des règles, Claude Turmes se dit inquiet d’un "harmonisation par le bas".

Frank Engel juge également que la protection des consommateurs et la croissance sont les deux faces d’une même pièce. Si l’UE avait réussi à se doter d’une législation commune en termes de protection des consommateurs, cela aurait renforcé et dynamisé le marché intérieur sur base de règles plus claires et donc aussi la croissance, estime-t-il. Selon lui, la reconnaissance mutuelle dans ce domaine "ne permettra pas d’aller très loin car ça ne règle pas le problème d’un marché de 500 millions de consommateurs et de 28 législations différentes".

La protection des consommateurs "n’est pas du tout contraire à la croissance" selon Claude Radoux, qui estime que la croissance européenne repose sur le commerce, les exportations, donc sur la consommation extérieure et que dès lors une bonne protection des consommateurs "les encourage à faire les transactions". Et de citer une étude sur l’e-commerce européen qui souffrirait aux USA en raison de l’incertitude et de l’incohérence des règles. Le candidat libéral plaide donc pour, à long terme, "une protection des consommateurs unifiée, raisonnable et cohérente dans toute l’Europe" dont il juge qu’elle serait "dans l’intérêt de l’économie" mais qu’elle ne doit pas être "un handicap". La reconnaissance mutuelle pourrait être une solution en attendant, juge-t-il.

Cátia Gonçalves considère elle aussi qu’il ne s’agit pas "de faire plus de social et moins de croissance" mais que les deux vont de pair et "dépendent même l’un de l’autre". "Les entreprises dépendent de leurs salariés et vice versa", souligne-t-elle, "donc les deux doivent avancer main dans la main". La candidate socialiste note que nous vivons dans un monde globalisé et qu’ "on ne peut donc pas ignorer le commerce", mais que les entreprises qui s’en sortiront le mieux sont celles qui auront su anticiper, notamment dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). "Cela implique que les entreprises doivent complètement se réorganiser, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain", poursuit-elle, son parti plaidant pour que cette réorganisation se fasse "en mettant davantage l’accent sur les gens", notamment via une plus grande implication et responsabilisation des salariés dans la prise de décisions, ce qui "sera une bonne chose pour les entreprises qui auront des travailleurs plus motivés et innovateurs", estime-t-elle.

L’Europe doit-elle être davantage sociale ?

Pour Cátia Gonçalves, il n’est pas normal, dans la zone euro en particulier, que les déséquilibres économiques, budgétaires et financier fassent l’objet d’un contrôle et de potentielles sanctions alors que ce n’est pas le cas pour les critères sociaux, qui ne font pas l’objet d’objectifs contraignants. Le LSAP se prononce en faveur d’un salaire minimum européen différencié, d’objectifs en termes de formations et d’emploi ainsi que d’une amélioration du dialogue social qui devrait être "institutionnalisé au niveau de l’UE" dans la procédure législative car actuellement "il ne fonctionne pas". La candidate note d’ailleurs sur ce dernier point la différence de traitement entre lobbys économiques et syndicats.

elec-pe-fedil-radouxClaude Radoux souligne de son côté que le DP "a bien entendu" dans son programme un chapitre consacré à l’amélioration de l’Europe sociale. Le candidat libéral souligne qu’il faut réussir à prendre en main les décalages en matière sociale mais que ce thème relève avant tout des compétences nationales. Il se dit donc convaincu que l’introduction d’un salaire minimum européen n’est "pas réaliste" et n’est pas "le plus important", mais qu’il faut "commencer par respecter les lois dans chaque pays", Claude Radoux citant des entreprises étrangères qui viennent travailler au Luxembourg et n’y respectent pas les lois sociales.

En termes de dialogue social également, le candidat libéral juge que la subsidiarité doit jouer et commencer au sein des entreprises, "les cultures nationales étant très différentes". "Les Français font la grève beaucoup plus vite que les Luxembourgeois et je ne vois pas pourquoi ce domaine devrait être harmonisé au niveau de l’UE", explique-t-il. Il se dit par ailleurs "contre un dialogue social institutionnalisé au niveau européen" qui selon lui ancrerait, à côté des institutions démocratiques, de nouvelles personnes non-élues.

Frank Engel a pour sa part expliqué que le CSV était pour un salaire minimum européen mais dont le niveau devra être calculé attentivement pour ne pas pénaliser l’économie. L’eurodéputé chrétien-social ne voit cependant pas à court ou à moyen terme l’introduction d’un système de protection sociale européen.

Interrogé par le modérateur sur la question de savoir de "l’économie ou du social, quel est le plus important", Frank Engel assure que la question ne se pose ni pour lui ni pour son parti, l’un n’allant pas sans l’autre. Selon lui la question principale est comment faire pour avoir une économie efficace qui repose sur un socle social et qui garantisse ainsi la cohésion sociale, celui-ci ne se disant pas convaincu de la nécessité d’institutionnaliser davantage de personnes non-élues.

Claude Turmes a pour sa part évoqué à nouveau le badge social, mais surtout la Garantie pour la jeunesse, un outil "très important pour éviter une génération perdue" et qui met la pression sur les Etats, le candidat écologiste plaidant pour "aider les Etats les plus faibles via le budget de l’UE". Le député a également évoqué la nécessité d’améliorer le dialogue social au niveau de l’UE et face aux grandes multinationales qui agissent à travers les frontières.

La dimension sociale de l’UEM serait par ailleurs en cours d’approfondissement, a dit Claude Turmes, citant à ce sujet une analyse intitulée "l’Union sociale" qui précise les moyens non d’harmoniser, mais de faire converger les systèmes sociaux des Etats membres. Enfin, il a insisté sur la question de la répartition des richesses et sur la demande intérieure étouffée au cours de la crise, alors qu’elle aurait eu un effet multiplicateur trois à quatre fois plus important sur la croissance que les exportations.

Faut-il un accord sur le climat ambitieux s’il devait pénaliser l’Europe ?

Selon Cátia Gonçalves, l’UE doit se doter d’objectifs contraignants ambitieux en veillant à ce que les entreprises et les Etats soient capables de les remplir, la candidate socialiste plaidant donc pour un "équilibre". Il s’agirait également d’aller vers une indépendance énergétique européenne, qui pourrait passer par l’amélioration de l’efficacité énergétiques et la diversification via la recherche de sources alternatives comme l’énergie bleue.

Claude Radoux est sur une ligne similaire, celui-ci souhaitant aussi un accord aussi ambitieux que possible  en termes de protection du climat et d’efficacité énergétique, "mais de manière idéale, il faut des objectifs internationaux", juge-t-il, au risque de pénaliser l’économie européenne.

elec-pe-fedil-engelEncore plus catégorique, Frank Engel a affirmé que l’UE ne devait pas faire comme si elle pouvait à elle seule régler le problème et qu’il ne fallait pas se pénaliser avec "des objectifs totalement fantaisistes comme c’est l’habitude de le faire au Luxembourg". Pour l’eurodéputé chrétien-social, si les énergies renouvelables sont une bonne chose, tant que les nouvelles  capacités de productions ne sont pas disponibles, "on fait de l’argent avec les anciennes". Et de s’interroger sur les énormes sommes d’argent qu’il faudra pour tenter d’atteindre ces objectifs.

"Monsieur Engel dit beaucoup de bêtises", a rétorqué Claude Turmes, qui souligne qu’"avec la nature, il n’y a pas beaucoup à négocier", citant notamment les inondations catastrophiques en Bulgarie et en Serbie comme des "conséquences du réchauffement". Selon l’eurodéputé Vert, la politique climatique est aussi une politique économique, car "nous dépensons 500 milliards par an pour le pétrole et le gaz qui sortent de notre économie pour enrichir Vladimir Poutine", soit 4 % du PIB européen annuel.

Faut-il stopper les négociations sur le projet de partenariat transatlantique UE-USA ?

Sur la question du projet de partenariat de commerce et d’investissement transatlantique (TTIP) négocié actuellement entre UE et USA et qui suscite beaucoup de questions en particulier dans la société civile, Frank Engel a commencé par souligner qu’il n’avait pas de crainte vu l’absence de texte. Un manque de transparence ? Pas du tout selon le député qui juge normal l’absence de publicité dans des négociations et qui souligne que les négociateurs voient bien les craintes soulevées et en tiendront compte. Quant au mécanisme de règlement des différends Etats-investisseurs (RDIE), il le juge également normal. Il se refuse donc à rejeter un texte dont il ne sait toujours rien, tout en se disant attentif car le Parlement européen devra valider l’accord.

Son de cloche identique du côté de Claude Radoux qui jugerait "idiot" d’arrêter les négociations. "Il faut attendre la fin et voir ce qui se trouve dans le texte", estime-t-il. Il serait d’ailleurs  très important pour le Luxembourg, qui exporte 80 à 90 % de sa production industrielle, en termes d’accès au plus grand marché du monde pour les produits et services. La question des normes est réelle, mais elle vaut "de part et d’autre", affirme-t-il, se disant "serein" et soulignant l’avance habituelle des USA dans de nombreux domaines.

Claude Turmes estime pour sa part que l’on se dirige vers un monde avec de plus en plus de règles et pas l’inverse et que via le TTIP "on protège davantage le libre-échange que la demande intérieure, or 400 000 emplois prévus en 10 ans au mieux, c’est des cacahuètes dans une économie qui compte 26 millions de chômeurs", dit-il

Les Verts sont totalement opposés au mécanisme de RDIE et dès lors contre les cours d’arbitrages extra judiciaires en raison d’exemples issus d’expériences passées similaires, notamment les poursuites de Vattenfall contre la République fédérale d’Allemagne depuis qu’elle a initié le retrait du nucléaire. Il estime par ailleurs que l’ouverture des marchés publics américains, dont les entreprises européennes sont actuellement exclues, ne se fera pas sans contreparties, "et les USA veulent l’abandon du principe de précaution dans le domaine alimentaire". Et d’ajouter qu’il ne s’agit pas d’un combat entre l’UE et les USA, "mais d’un combat pour les droits des citoyens contre ceux des entreprises".

Enfin, Cátia Gonçalves s’est également prononcée contre un arrêt des négociations et juge qu’il faudrait aller dans ces discussions avec davantage de confiance, chaque partie ayant des intérêts dans une négociation. Le principe démocratique serait respecté selon elle vu l’approbation nécessaire du Parlement européen et des Etats membres une fois le texte bouclé. Là où davantage de transparence pourrait être nécessaire selon elle, c’est avant tout au niveau du mandat, pour lequel les lignes rouges auraient pu être tracées en amont avec une influence de la société civile.