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Economie, finances et monnaie
La Chambre des députés transpose dans la législation nationale le "pacte budgétaire" ou TSCG
09-07-2014


Chambre des DéputésLe 9 juillet 2014, la Chambre des députés a voté à 55 voix contre 5, celles des trois députés de  l’ADR et des deux députés de Déi Lénk en faveur du projet de loi 6597 sur la coordination et à la gouvernance des finances publiques.

Le projet de loi sur la coordination et à la gouvernance des finances publiques s’inscrit dans le contexte de tout un éventail de mesures qui ont vocation à renforcer le dispositif des instruments devant permettre de garantir l’équilibre des finances publiques..

Suite au paquet sur la gouvernance "Six-Pack", au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne ("Pacte Budgétaire" ou TSCG) et au "Two-Pack", une série de dispositions doivent être à intégrées dans le droit national luxembourgeois.

Le projet de loi prévoit par conséquent de renforcer le contexte légal luxembourgeois dans le domaine des finances publiques. Cela passe par plusieurs mesures.

  1. une règle budgétaire prévue à l’article 3 du TSCG qui dispose que la situation budgétaire des administrations publiques d’une partie contractante est en équilibre ou en excédent. Cette règle est considérée comme étant respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques (administration centrale, administrations locales  et administrations de sécurité sociale) correspond à l’objectif à moyen terme.
  2. la fixation dans le droit national d’un objectif à moyen terme (OMT) et d’une trajectoire permettant de l’atteindre comme prévu dans le Pacte Budgétaire. La loi en projet prévoit de fixer cette trajectoire dans le cadre de lois de programmation financière pluriannuelle. Les objectifs budgétaires à moyen terme sont fixés par le Luxembourg dans le cadre des programmes de stabilité respectifs. De manière générale, ils doivent obligatoirement respecter la limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du PIB ou de 1 % du PIB pour les Etats membres dont le taux d’endettement est sensiblement inférieur à la valeur de référence de 60 % du PIB, comme c’est le cas du Luxembourg.
  3. un mécanisme de correction qui est déclenché automatiquement lorsqu’un Etat signataire s’écarte de manière importante de son objectif budgétaire à moyen terme ou de sa trajectoire d’ajustement, comme expliqué dans le Pacte Budgétaire. Ce mécanisme comporte l’obligation pour la partie contractante concernée de mettre en œuvre des mesures visant à corriger ces écarts sur une période déterminée. Un tel écart est mesuré à partir d’un résultat  de 0,5 % du PIB inférieur à la trajectoire envisagée.
  4. au niveau national, une institution indépendante qui sera chargée de la vérification du respect de la règle budgétaire et de l’application du mécanisme de correction automatique.
  5. un cadre budgétaire à moyen terme, crédible et efficace, comprenant une programmation budgétaire à trois ans au moins, "afin de garantir que la programmation budgétaire nationale s’inscrit dans une perspective de programmation budgétaire pluriannuelle" ("Six-Pack"). La loi de programmation financière pluriannuelle sera déposée à la Chambre des Députés courant octobre pour être votée conjointement avec le projet de budget. S’étendant sur la même période que celle couverte par l’actualisation subséquente du programme de stabilité et de croissance, la loi de programmation financière pluriannuelle a pour vocation de constituer le fondement de cette actualisation du programme de stabilité et de croissance. L’évolution pluriannuelle des recettes et dépenses de l’Etat se fera sur une période mobile de cinq ans, comprenant l’année en cours, l’année à laquelle se rapporte le projet de budget ainsi que les trois exercices financiers qui suivent.
  6. comme prévu par le "Two-Pack", une procédure budgétaire entrera en vigueur si le budget de l’Etat n’est pas approuvé par le Parlement avant le 1er janvier de l’année à laquelle le budget s’applique, procédure traditionnellement qualifiée de "procédure des douzièmes provisoires".
  7. une procédure contraignante pour imposer à toutes les entités des administrations publiques la communication d’informations concernant notamment les dépenses fiscales, les engagements implicites (garanties, etc.) et les prises de participations dans des sociétés privées et publiques. Cette mesure suit une directive du "Six-Pack". Cette disposition met en œuvre une série d’obligations en matière de transparence, statistiques et coordination de la part des administrations publiques.

Un problème au cours de l’élaboration de la loi : la BCL n’a pas voulu être l’institution chargée de la vérification du respect de la règle budgétaire et de l’application du mécanisme de correction automatique

Le projet de loi initial confiait la mission de vérification à la Banque centrale du Luxembourg (BCL). Dans son avis du 18 décembre 2013, la Banque centrale européenne (BCE) disait redouter que ces attributions puissent aller au-delà des activités de suivi de la Banque centrale du Luxembourg qui sont la conséquence, ou sont liées, directement ou indirectement, à l’exécution de sa mission de politique monétaire.

Par conséquent, le gouvernement a introduit un amendement qui prévoit l’instauration d’un "Conseil national des finances publiques" comme organisme indépendant tel qu’il est prévu à l’article 3 du traité du "Pacte Budgétaire".

Cet organe se compose selon cet amendement des membres suivants:

  • deux membres proposés par la Chambre des Députés parmi des personnalités du secteur privé, reconnues pour leur compétence en matière financière et économique;
  • un membre proposé par la Cour des comptes ;
  • un membre proposé par les Chambre de Commerce, la Chambre des métiers et la Chambre d’agriculture;
  • un membre proposé par la Chambre des fonctionnaires et employés publics et par la Chambre des salariés;
  • deux membres proposés par le Gouvernement.

Le rapporteur

Eugène Berger (DP) a été le rapporteur du texte. Pour lui, le Luxembourg sera renforcé par le fait de se donner une nouvelle discipline budgétaire, car il lui faut des finances publiques saines pour faciliter sur son territoire l’investissement qui crée des emplois et produit de la croissance. Il s’est inscrit en faux contre l’idée que ce serait "Bruxelles qui écrira notre budget". Il y aura des règles contraignantes à respecter par l’administration centrale et les administrations communales s’engageront politiquement à respecter les nouvelles règles. Il a souligné le refus du texte par la Chambre des salariés (CSL) qui parle, elle, des répercussions "néfastes" du TSCG qui ne cherche qu’à réduire les marges de manœuvre budgétaires des Etats membres de l’UE et dont les dispositions risquent de conduire à des politiques qui réduiront le budget social. Par ailleurs, la compétence budgétaire des parlements nationaux pourrait être mise en question par l’installation d’une autorité de vérification. Même si une majorité qualifiée n’est pas, selon le Conseil d’Etat, nécessaire, le texte sera voté avec une large majorité, a souligné le rapporteur.

Le débat

L’ancien ministre des Finances, Luc Frieden (CSV), a été le premier à prendre la parole. Pour lui, il y a eu au début de la crise deux camps : ceux qui voulaient faire des économies et ceux qui voulaient faire des dettes pour relancer la croissance. Le texte soumis à la Chambre tranche juridiquement la question. Les Luxembourgeois ont besoin de stabilité chez eux et dans l’UE, a-t-il estimé. De l’autre côté, à court terme, toute économie n’est pas nécessairement opportune, par exemple s’il faut des investissements qui peuvent relancer la croissance. Pour trouver l’équilibre entre ces exigences, il faut une discipline budgétaire qui fixe le cadre de ces options. Il ne s’agit donc pas de prôner l’austérité, mais de favoriser la stabilité et le sentiment d’appartenance à l’UE, puisqu’on attend aussi des autres de la discipline budgétaire.

De toute façon, pense Luc Frieden, si on a une monnaie commune, il faut avoir des règles communes. C’est ce qui a rendu nécessaire la réforme du pacte de stabilité et de croissance, car nombreux ont été les Etats membres qui ne se sont pas tenus à ses règles originelles. "Nous n’aurions jamais dû arriver aux two- pack, au six-pack et au TSCG", a-t-il lancé.

Parmi les éléments du texte que Luc Frieden a éclairés, il a abordé la question de l’équilibre structurel qui a été selon lui atteint au niveau de l’administration publique pour le budget 2013 dont il était responsable, mais pas au niveau de l’administration centrale. Or c’est l’équilibre de l’administration qui doit selon lui être "l’objectif central de gouvernement luxembourgeois", et c’est à cette aune que sa politique sera jugée par le CSV, "même si cela n’est pas prescrit par les règles de l’UE".

Quant à l’organe de vérification du respect de la règle budgétaire, Luc Frieden a expliqué qu’il avait à l’époque de son mandat ministériel proposé que la BCL exerce cette fonction "pour des raisons d’économie", mais il avait fallu tenir compte des réticences expresses de la BCE et de la BCL. La CSV s’y est donc résigné, mais se demande toujours qui nommer dans ce petit pays alors que les membres de ce conseil de vérification sont censés être indépendants.

Luc Frieden se targue d’avoir réussi à ce que Luxembourg ait gardé son triple A, ce qui lui permet d’emprunter à moins de frais, et il souligne que le gouvernement auquel il a participé a déjà voulu maîtriser les dépenses et consolider le budget. La loi soumise à la Chambre est dans ce sens une "bonne loi qui consolide nos finances", ce qui entraîne le vote du CSV "pour ce projet important pour le pays".

Pour le chef de file des socialistes à la Chambre, Alex Bodry, le texte soumis "n’est pas la grande réforme budgétaire", mais une suite logique de la ratification du TSCG qui a été très controversée. Et de renvoyer à différents avis et interventions depuis 2013, dont l’avis de la CSL.

Pour Alex Bodry, le texte du projet de loi respecte "une approche non-maximaliste" de la discipline budgétaire et ne vise pas une réduction totale de la marge de manœuvre nationale en ne tranchant pas la question de savoir s’il faut agir au niveau des dépenses ou des recettes. Si le TSCG est pour lui un "traité politique conclu pour permettre à l’Allemagne de continuer à cofinancer les aides à d’autres Etats membres en crise", une discipline budgétaire est néanmoins nécessaire pour assurer des finances publiques durables. Mais elle doit offrir des flexibilités pour permettre la lutte contre le chômage. Pour lui, le futur président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, semble aussi être sur cette ligne.

Alex Bodry a aussi souligné le fait que nombre d’éléments du texte de loi se retrouvent déjà actuellement dans les textes du gouvernement, comme par exemple dans le programme national de réforme et le plan de stabilité. Bref, elle est d’ores et déjà entrée dans les mœurs  de la politique budgétaire.  

Pour le socialiste, le texte ne donne pas toutes les réponses. Il ne dit pas comment fixer, au-delà de l’administration centrale, des objectifs budgétaires pour les autres composantes de l’administration publique, i.e. la sécurité sociale ou les autorités communales qui bénéficient d’une certaine autonomie ou qui impliquent les partenaires sociaux.

Par ailleurs l’OMT en termes de solde structurel, qui est plus qu’un simple équilibre budgétaire, est fixé en fonction de la conjoncture, ce qui donne une certaine flexibilité, mais son mode de calcul n’est pas encore fixé, ce qui créé une incertitude juridique. Or, objecte Alex Bodry,  si le mode de calcul n’est pas clair, les sanctions ne peuvent pas être automatiques. Ici, de la clarté au niveau de l’UE est rapidement nécessaire.

Finalement, il n’est pas clair si l’organe de vérification est une entité juridique propre, même s’il aura un secrétariat.

Mais somme toute, le LSAP a donné son accord au texte.

Henri Kox, des Verts, dont le groupe politique avait voté contre le TSCG début 2013, a repris les critiques de l’époque : que le TSCG avait été négocié entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, que les politiques d’austérité ont ruiné beaucoup de personnes, que les dettes publiques n’ont pas cessé d’augmenter dans les pays en crise à cause aussi du sauvetage des banques. Les Verts avaient voté contre le TSCG, car avec lui, cela devenait plus difficile de faire une politique anticyclique. Il ne visait que les dépenses publiques, mais pas les recettes publiques, et encore aujourd’hui, les Etats continuent à être privés de recettes. Il ne constituait pas le seul moyen de résoudre la crise. Mais à l’époque, la décision avait été prise à une très large majorité de ratifier le TSCG. Les Verts acceptent donc la nouvelle loi.

Henri Kox a donc mis en avant les côtés positifs des conséquences du TSCG transposé dans la loi luxembourgeoise. Il permettra de ne pas laisser aux prochaines générations des dettes qui n’auront pas créé des bénéfices durables comme le tram, des écoles, des énergies renouvelables. Il permettra de maîtriser les dettes. Il est un signe que l’UE a travaillé ensemble pour sortir de la crise qui est celle des finances, de l’économie, et surtout du marché du travail. La dimension de la flexibilité est devenue plus audible depuis les élections européennes. Par ailleurs, il faudra maintenir les recettes des Etats et renforcer la solidarité entre eux.

Roy Reding (ADR) a exprimé son opposition claire et nette à un texte qui est selon lui un pas de plus vers l’union politique européenne. L’ADR n’est pas opposée à une discipline budgétaire, mais contre le fait que la Chambre et le pays soient privés de leurs compétences et de leur souveraineté budgétaires. Il a parlé, citant les avis de la CGFP, de la CSL et de la Chambre des Métiers, de bureaucratisation, de  mise sous tutelle, de resserrement des boulons, de pression de Bruxelles, de perte de la souveraineté nationale. Il a jugé positif l’exercice de regarder de plus près le sens des dépenses, "mais ici, il s’agit de mécanismes automatiques". Pour lui, la norme budgétaire pousse à désinvestir ou à resserrer la vis du pays concurrent où les transferts sociaux sont importants, ce qui se dirige contre le volet social dans l’UE. Par ailleurs, pour Roy Reding, ce sont désormais les banques centrales et non plus les élus qui prennent les décisions. Ce à quoi s’oppose l’ADR.

Le député de Déi Lénk, Justin Turpel, a adopté un autre ton encore pour expliquer son  opposition au projet de loi sur la coordination des finances publiques dans le cadre des engagements européens du Luxembourg. Il a illustré les cas extrêmes de ce que l’application du TSCG pourrait créer selon lui en évoquant la Grèce où des enfants sont donnés en adoption par des parents au chômage ou même qui travaillent, faute de ressources pour les nourrir, et où un tiers des citoyens n’a plus d’assurance-maladie, ce qui entraîne que des malades sont refusés dans les hôpitaux. Il a exprimé la crainte que l’on fasse de moins en moins la différence entre les frais de fonctionnement de l’Etat et les investissements, et que les Etats de l’UE investissent de moins en moins pour les générations àvenir, et que l’on coupe de plus en plus dans les dépenses pour les politiques sociales. Pour lui, "tout cela n’est pas juste", et c’est pourquoi il se rallie lui aussi à l’avis de la CSL qui dénonce le "tout économique" et la surdétermination de l’action de l’Etat par les seules capacités de production, une politique qui se développe selon lui aux dépens des ménages et des travailleurs et oblige les personnes à s’adapter aux besoins du capital.

La politique anti-crise de l’UE a eu pour Justin Turpel des conséquences désastreuses pour les personnes, et n’a servi à rien.  Dans les pays soumis à des programmes d’aide, les riches continuent à ne pas payer d’impôts, et selon les pays, il y a jusqu’à 27 % de chômeurs parmi la population active. La dette publique de ces pays a continué suite aux mesures de la Troïka. Pour lui, il y a des signes que cette politique d’austérité n’est plus tenable. Elle a été critiquée par le Parlement européen et la Commission a fait en 2013 des propositions sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Mais alors que la partie économie et monétaire est dotée d’un cadre juridique contraignant, la politique sociale reste basée sur une approche volontaire des Etats membres. C’est pourquoi Déi Lénk sont peu confiants que les choses changent, alors qu’il faudrait dans l’UE des critères de convergence sociale obligatoires.  

La Chambre aurait dû prendre plus au sérieux l’avis de la CSL, a estimé le député de la Gauche, qui a exigé une harmonisation fiscale dans l’UE, "car le dumping fiscal mène à une impasse". Estimant que la Chambre s’apprêtait à abandonner des droits essentiels en matière budgétaire et de configuration des finances publiques, Justin Turpel a cité en guise de conclusion le journaliste Romain Hilgert, qui dans un article publié le 4 juillet dans l’hebdomadaire Lëtzeburger Land, juge que le vote  de la loi sur la coordination des finances publiques marque le passage de l’ère de démocratie parlementaire à celle de la post-démocratie, un passage corroboré avec la mise en place du budget "nouvelle génération" prôné par le gouvernement.

Dans son intervention à la fin du débat, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a estimé que le TSCG, qui est la matrice du projet de loi soumis aux députés, a contribué à stabiliser l’UE et la zone euro. "S’il n’y avait pas eu de six- pack, de two-pack et de TSCG, il n’y aurait peut-être plus de zone euro", a-t-il lancé. Les discussions la veille au Conseil ECOFIN sur les priorités de la Présidence italienne n’auraient pas eu la même teneur sans ces paquets législatifs.

Le ministre a expliqué que le solde structurel pour le Luxembourg est de + 0,5 % du PIB "à cause de la dette cachée de nos pensions" et que "cela ne risque pas de changer". Il a admis que le calcul du solde structurel était très compliqué et qu’il implique encore de grandes incertitudes pour les Etats membres. Pour lui, il  faut corriger et préciser cela. Dans ce contexte, le budget "nouvelle génération" poursuivra un grand objectif : atteindre ce solde structurel en 2018.

Quant à la question de Luc Frieden sur les personnes qui pourraient siéger dans l’organe de vérification, Pierre Gramegna a esquissé leur profil en parlant de personnes compétentes en matière de finances publiques, et que ce seront des experts qui seront dotés de moyens adéquats. Il a salué le fait que le CSV allait voter pour le projet, de sorte qu’il arrivait à rassembler une super-majorité qualifiée. La Chambre serait par ailleurs impliquée dans l’élaboration du budget "nouvelle génération" quand les textes de loi devront être modifiés, ce qui ne sera pas immédiatement le cas, puisque le budget 2015 sera encore élaboré dans le cadre actuel.