Dans deux interviews accordées au journal Le Quotidien, à huit jours d’intervalle, le ministre luxembourgeois de l’Economie, Etienne Schneider, a eu l’occasion de formuler ses attentes envers la nouvelle Commission européenne en termes de réindustrialisation de l’UE et de politique budgétaire européenne.
Le 26 août 2014, au lendemain de la démission du gouvernement socialiste français, à la suite de critiques adressées par son ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, contre la politique d’austérité européenne que la France, au goût de ce dernier, ne devrait pas suivre, Le Quotidien a interrogé le ministre luxembourgeois de l’Economie, Etienne Schneider, également socialiste, pour savoir s’il partageait le diagnostic de son homologue français démis de ses fonctions.
Etienne Schneider prend d’abord soin de préciser qu’une France qui va mal économiquement, a "des conséquences négatives au Luxembourg". Il confie ensuite être du même avis que l’ancien ministre français de l’Economie au sujet de la politique d'austérité. "On ne peut pas compter que sur une rigueur budgétaire, il faut laisser du pouvoir d'achat aux gens", dit-il. Il émet le souhait que "toute cette politique d'austérité menée par la Commission européenne fera partie du passé avec la nouvelle Commission". Il espère ainsi que "l'Europe aura le courage de donner un peu plus de marge de manœuvre aux pays", parce qu'il faut d'abord "redémarrer l'économie". Néanmoins, Etienne Schneider est convaincu que "l'Allemagne continuera à mettre la pression, c'est certain", pour la poursuite de la politique menée actuellement.
Le Quotidien rappelle que, dans une interview publiée le 26 juillet 2014 dans ses colonnes, le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait déclaré qu’il pensait savoir comment on peut créer "une intersection vertueuse" entre la stabilité et la flexibilité. "Les 28 chefs d'État et de gouvernement ont bien précisé, lors du Conseil européen des 26 et 27 juin, qu'il n'y aurait pas d'amendements apportés au pacte de stabilité et de croissance, donc, il reste ce qu'il est et il sera appliqué", disait Jean-Claude Juncker.
A ces paroles, Etienne Schneider oppose le fait que "forcer quelque chose qui ne marche pas, ça ne sert à rien". "Le Portugal a pu emprunter de l'argent, ça montre qu'il y a un certain optimisme, mais il faut leur laisser un peu d'air", juge-t-il.
Interrogé lui aussi par Le Quotidien, le président de la fraction socialiste à la Chambre des députés, Alex Bodry, rappelle que la "politique d'austérité menée par la France est encadrée par des textes communautaires" et que, "si on veut revoir les clauses du pacte de stabilité et de croissance, on doit revoir le Traité et c'est très difficile de se lancer dans une nouvelle modification". "On peut avoir une interprétation plus large des textes en vigueur, mais on ne peut pas passer outre », complète-t-il.
Le 21 août 2014, d’ailleurs, le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a semblé assouplir sa position, lors du rendez-vous annuel des banquiers centraux mondiaux à Jackson Hole."Une stratégie cohérente de réduction du chômage exige que les politiques agissent sur l’offre et la demande, au niveau national et au niveau de la zone euro", a-t-il déclaré. "Les gouvernements qui font des réformes structurelles n’iront pas très loin. Mais sans réformes structurelles, alors les mesures pour augmenter la demande vont rapidement s’essouffler pour finalement devenir moins efficaces." Mario Draghi a plaidé pour un allègement fiscal neutre d'un point de vue budgétaire et a aussi appelé à utiliser "la flexibilité" prévue dans les règles budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance afin de stimuler la reprise et d'amortir les coûts des réformes structurelles indispensables.
Ce que Mario Draghi a dit "reflète largement la position prise par la Commission à plusieurs reprises", a déclaré le porte-parole du commissaire chargé de l'euro, Jyrki Katainen, lundi 25 août, comme le rapporte l’Agence Europe dans son Bulletin Quotidien. Ce dernier a renvoyé aussi aux conclusions du Conseil européen de juin 2014 et du Conseil Écofin du mois de juillet suivant qui appellent les États membres à accorder "une attention particulière aux réformes structurelles qui augmentent la croissance et améliorent la durabilité des finances publiques", et particulièrement à "utiliser de façon optimale la flexibilité du Pacte de stabilité et de croissance".
Etienne Schneider espère également une nouvelle manière de faire de la Commission européenne dans un autre dossier qui lui tient autant à cœur qu’il importait à son ancien collège en charge de l’économie française, à savoir la politique de réindustrialisation de l’Europe. Dès le 17 juillet 2012, les deux ministres avaient déjà fait part de leurs exigences communes en faveur de l’industrie européenne et ont depuis plaidé ensemble dans ce dossier.
Tous deux défendent "l'idée que l'Union européenne ne peut pas laisser importer n'importe quel produit sans faire respecter de règles écologiques ou sociales" rappelle Etienne Schneider dans son interview du 26 août 2014. Dans un entretien accordé au Quotidien le 18 août 2014, Etienne Schneider avait pu détailler sa position en matière de politique européenne de réindustrialisation. Il s’était dit satisfait du fait que le nouveau président de la Commission européenne, en est fait une de ses priorités, durant son discours d’investiture le 15 juillet 2014.
"Entre ministres de l'industrie et avec le commissaire européen en charge de ce domaine, nous sommes tous d'accord là-dessus", soulignait Etienne Schneider. Ce fut notamment le cas le 30 janvier 2014, lors d’une réunion du club des Amis de l’industrie. Par contre, ajoutait Etienne Schneider, "la Commission, dans toute sa représentation, ne laisse pas transparaître la même préoccupation." "Nous n'avons pas de politique horizontale, aucune priorité. Le commissaire en charge de l'Environnement ne voit que l'environnement, celui en charge de la Compétitivité ou de la Fiscalité, c'est la même chose", déplorait ainsi le ministre luxembourgeois de l’Economie, en estimant que "le grand défi de Jean-Claude Juncker, s'il veut vraiment réaliser cette nécessaire réindustrialisation, c'est d'imposer cette réindustrialisation comme priorité de la Commission tout entière et pas que d'une petite partie, alors qu'une autre prend des décisions à l'encontre de cette réindustrialisation".
Afin de favoriser cette réindustrialisation, Etienne Schneider a rappelé qu’il était partisan de "normes a minima", en termes de contribution au changement climatique et de politique sociale, à mettre en place sur les produits importés en Europe. "Si elles ne sont pas respectées, taxons alors ces produits de x pourcent", à l’instar des Américains, suggérait-il. "Je suis favorable à un marché sans frontières au sein de l'Union européenne, mais il faudrait quand même parler de la protection de ce marché intérieur, parce que toutes ces branches industrielles qui sont en train de disparaître ne vont plus jamais revenir et on sera alors dépendant d'autres régions du monde pour certaines productions", prévenait le ministre.
Dans l’entretien du 26 août 2014, Etienne Schneider fait par ailleurs savoir qu’il partageait également l’avis d’Arnaud Montebourg, notamment exprimé lors du Conseil Compétitivité du 20 février 2014, "que les Etats doivent pouvoir aider les entreprises à s'en sortir ». « Actuellement, ce qui est permis par I'UE est trop limité, surtout en temps de crise, et nous devons trouver une solution équitable pour tous les pays", juge Etienne Schneider.