Dans deux courriers transmis le 29 juillet 2014 pour l’un au Conseil de l’Union européenne, pour l’autre à la Commission, la Médiatrice européenne, Emily O'Reilly, a demandé aux institutions d’accroître la transparence relative aux négociations en cours entre l’UE et les USA sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI ou TTIP en anglais), cela en publiant davantage de documents liés à ces discussions.
Elle a en conséquence ouvert une enquête d’initiative "pour permettre au Conseil et à la Commission d'établir une approche plus proactive de la transparence de ces négociations", les deux institutions étant invitées à envoyer leur avis sur ses propositions concrètes respectivement avant le 30 septembre et le 31 octobre 2014.
La Médiatrice demande ainsi au Conseil de publier le mandat de négociation de l'UE et suggère à la Commission des mesures pratiques pour permettre un accès du public en temps opportun aux documents du TTIP, ainsi qu'aux détails des réunions avec les parties prenantes.
Pour mémoire, les négociations sur le TTIP ont été décidées officiellement en février 2013 et lancées effectivement quatre mois plus tard, suite à l’adoption par le Conseil en juin 2013 des directives de négociation de l'UE sur base desquelles la Commission négocie jusqu’à présent avec les USA au nom de l’UE.
Le TTIP a pour objectif de réduire les tarifs et de rapprocher les différences de réglementations et de normes techniques entre l'UE et les États-Unis et en cas de concrétisation, il sera le plus grand accord bilatéral de libre-échange de l'histoire. Cependant, des organisations de la société civile ont exprimé à de multiples reprises leur crainte que les normes élevées de l'UE en matière d'environnement, de santé et de consommation, entre autres, puissent être abaissées.
Emily O'Reilly se dit consciente du fait que "les institutions de l'UE ont fait un effort considérable à promouvoir la transparence et la participation du public au sujet du TTIP" et elle "conçoi[t] bien que tous les documents de la négociation ne peuvent être divulgués à ce stade, afin de conserver une marge de négociation". Mais elle relève "des inquiétudes [qui] naissent au sujet de documents clés non publiés, de retards et sur la présomption d'accorder un accès privilégié aux documents du TTIP à certaines parties prenantes", lit-on dans un communiqué diffusé par son service de presse le 31 juillet 2014.
"En tant que Médiatrice européenne, ce qui est particulièrement préoccupant pour moi, c'est la mesure dans laquelle le public peut suivre l'évolution de ces négociations et contribuer à l'élaboration de leurs résultats", écrit-elle. Et de poursuivre : "Compte tenu de l'intérêt significatif du public pour le TTIP et de son impact potentiel sur la vie des citoyens, j'en appelle urgemment à ces deux institutions de l'UE à ce qu'elles renforcent leur proactivité en matière de politique de transparence."
Via l’ouverture d’une enquête de sa propre initiative, Emily O'Reilly demande ainsi au Conseil de publier les directives de négociation de l'UE relatives au TTIP, notant qu’elles ne l’ont pas été proactivement et que les requêtes d’accès à ces documents en vertu du règlement 1049/200 relatif à l’accès du public aux documents des institutions ont été rejetées. Pour rappel, en réponse à une série de questions parlementaires déposées à la Chambre des députés, le gouvernement luxembourgeois avait affirmé le 24 juin 2014 son souhait de "[les] déclassifier et [les] publier", mais que "certains Etats membres de l'UE s'y oppos[ai]ent par principe".
Or, un niveau élevé de transparence des buts et objectifs de l'UE constitue "une condition préalable pour le succès des négociations du TTIP", estime la Médiatrice qui cite l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE les affaires jointes C‑39/05 P et C‑52/05 P. Selon les juges européens, "un manque d'information et de débat ... est capable de faire naître des doutes dans l'esprit des citoyens, non seulement en ce qui concerne la légalité d'un acte isolé, mais aussi en ce qui concerne la légitimité du processus décisionnel dans son ensemble".
A l'inverse, juge Emily O'Reilly, une approche proactive en termes de transparence pourrait améliorer les chances de réussite en renforçant la légitimité du processus de négociation aux yeux des citoyens. La Médiatrice relève par ailleurs que "comme [le Conseil le sait] sûrement, les directives de négociation semblent être facilement accessibles sur Internet. Bien que la jurisprudence prévoie que la divulgation non autorisée ne devrait pas trancher la question de l'accès du public au titre du règlement 1049/2001, il serait trop formaliste d'ignorer la disponibilité du document aux fins de la présente enquête".
En outre, en vertu d’une analyse préliminaire du document fuité qui "ne va dans les détails sur aucun sujet", la Médiatrice juge qu’il n'est "pas immédiatement évident de voir de quelle manière sa divulgation porterait atteinte à la protection de l'un des intérêts publics ou privés prévus à l'article 4 du règlement 1049/2001".
Ainsi une divulgation du document à l’heure actuelle ne serait ni dommageable à la confiance mutuelle entre les négociateurs, ni de nature à inhiber le développement des discussions libres et efficaces dans le cadre des négociations et / ou à révéler des éléments stratégiques des négociations à l'autre partie à la négociation ou à des tiers. "Le fait qu'une année se soit écoulée depuis que le document a été adopté doit être pris en compte à cet égard. On pourrait supposer que l'UE a, à ce stade, a communiqué aux États-Unis, et même à d'autres pays tiers, ce qu'elle estime qui devrait être négocié dans le cadre du TTIP", poursuit Emily O'Reilly.
Par ailleurs, si la Médiatrice dit comprendre la crainte du Conseil que la divulgation "crée un précédent pour de futures négociations, ou pour d’autres documents similaires" dans le cadre de ces négociations en cours, elle juge que ces craintes seraient injustifiées, chaque cas devant être traité de manière individuelle. "S’il peut être établi que l'une des exceptions prévues à l'article 4 du règlement 1049/2001 s'applique à un document particulier, en fonction de son contenu spécifique, l'accès peut être valablement refusé", écrit-elle encore.
Dans son courrier adressé à la Commission européenne, Emily O'Reilly suggère à l’institution une série de mesures pratiques visant à permettre un accès du public en temps opportun aux documents du TTIP, ainsi qu'aux détails des réunions avec les parties prenantes.
Si la Commission européenne a, en vertu de nombreuses demandes d’accès du public aux documents relatifs au TTIP en vertu du règlement 1049/2001, "produit des listes de réunions pertinentes et publié de nombreux documents" dans le même temps, elle "semble rencontrer des retards importants" pour donner ses réponses, souligne la Médiatrice. Elle relève en outre que des préoccupations ont également été soulevées par rapport à "un accès privilégié offert à certains intervenants externes et à la divulgation non autorisée de documents dans certains cas".
La Médiatrice souhaite donc notamment savoir quels enseignements la Commission a tirés de la divulgation des nombreux documents qu'elle a publiés en réponse aux demandes d'accès aux documents qu'elle a traitées dans le cadre de TTIP et lui suggère notamment d’envisager leur mise à disposition sur son site internet.
"Beaucoup de ces documents ont été mis à disposition via le site www.asktheeu.org mais il pourrait être utile que la Commission les publie dans des catégories bien définies sur son site Internet", précise-t-elle. De plus, la Commission pourrait envisager d'inviter les tiers, tels que les organisations professionnelles et les groupes d'intérêt, qui lui envoient des documents par rapport à TTIP, à présenter également des versions non confidentielles de ces documents qui pourraient être mis à la disposition du public. Autre suggestion : la mise en place d’un registre public des documents relatifs au TTIP.
Pour ce qui est du partage supposé de certains documents de négociation de manière sélective avec des intervenants privilégiés, Emily O'Reilly demande à la Commission si elle "applique une telle politique de partage" avec ce type d’intervenants dont elle estimerait qu’ils peuvent jouer un rôle dans l'élaboration de la position de négociation de l'UE sur certains sujets.
Dans ce contexte, la Médiatrice suggère à la Commission d’envisager l'établissement et la publication de listes en ligne de ses réunions avec les parties prenantes concernant le TTIP, ainsi que les documents connexes. Par ailleurs, la Commission pourrait envisager de renforcer les mesures qu'elle a prises pour assurer que les documents confidentiels relatifs au TTIP ne soient effectivement pas diffusés à une tierce partie.
Dans un communiqué diffusé le 31 juillet, l’ONG Friends of Earth Europe (FOEE) s’est félicitée du soutien de la Médiatrice dans sa lutte pour obtenir davantage de transparence dans les négociations relatives au TTIP.
"Le TTIP est le plus grand accord de libre-échange jamais négocié et il aura un impact sur presque tous les aspects de la vie des citoyens des deux rives de l'Atlantique. Les gens ont le droit de savoir ce qui se négocie en leur nom et ce qui conduit les négociations", rappelle Paul de Clerck, coordinateur de l’ONG.
Les appels de la société civile pour plus de transparence sont largement restés lettre morte, y compris un courrier de FOEE au commissaire Karel De Gucht, en mai, au nom de 257 organisations de la société civile, poursuit l'ONG, qui relève que ses demandes d'accès aux documents ont la plupart du temps été rejetées. Et de rappeler que le secret autour des négociations TTIP a été critiqué après les révélations du lobbying écrasant de l'industrie dans ces négociations et des preuves que des propositions en cours de discussion pourraient miner de manière significative la protection des citoyens et de l'environnement.
"Nous sommes heureux que le médiateur s'interroge sur le manque de transparence. La Commission et le Conseil ont refusé de fournir des documents clés à la société civile et sont extrêmement lents pour répondre aux demandes d'accès aux documents. Dans le même temps, la Commission est en permanence autour de la table avec les lobbies du business pour discuter de ce qu'il faut inclure dans le TTIP. Nous croyons que l'intérêt public est en danger", conclut Paul de Clerck.
Le 29 juillet 2014, la Direction générale Commerce de la Commission européenne a de son côté publié un état des lieux des négociations de libre-échange entre l'UE et les USA après six tours de pourparlers, le dernier en date s'étant clos le 18 juillet. Ce texte présente les thèmes abordés par les négociateurs de l’UE et des USA sans entrer dans le détail des négociations.