Les ministres de l’Economie et des Finances des vingt-huit Etats membres de l’Union européenne étaient réunis à Luxembourg le 14 octobre 2014 à l’occasion d’un Conseil ECOFIN présentant un ordre du jour relativement chargé. Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, y représentait le Grand-Duché.
Le Conseil a ainsi marqué un accord politique sur la révision de la directive relative à la coopération administrative étendant le champ d'application de l'échange automatique et obligatoire d'informations (EAI) entre les administrations fiscales. Par ailleurs, les ministres ont débattu de l'investissement en Europe et tenu un débat d’orientation sur une proposition visant à restructurer la taxation des produits énergétiques et de l'électricité dans l’UE. Enfin, une déclaration commune entre la Suisse et l’UE sur la fiscalité des entreprises, dans laquelle la Suisse s’engage à abroger plusieurs régimes fiscaux considérés comme dommageables par l’UE, a été signée en marge du Conseil.
Lors d’une délibération en session publique, le Conseil a marqué son accord politique sur une proposition étendant le champ d'application de l'échange automatique et obligatoire d'informations (EAI) entre les administrations fiscales, qui s’appliquera à 27 Etats membres dès septembre 2017 et à l’Autriche un an après au plus tard.
Ce projet, déposé par la Commission en juin 2013, modifie la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité directe, cela en intégrant dans le droit européen la nouvelle norme mondiale mise au point par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques). La directive révisée étend ainsi le champ d'application de l’EAI aux intérêts, dividendes et autres revenus financiers, ainsi qu'aux soldes de comptes et aux produits de ventes d'actifs financiers, ce qui doit permettre aux administrations fiscales "de mieux lutter contre la fraude fiscale", précisent les conclusions diffusées par le service de presse du Conseil.
A l’occasion de ce Conseil ECOFIN, les décisions du Luxembourg et de l’Autriche quant à la date d’application de l’EAI étaient en effet attendues, ces deux Etats membres ne s’étant alors pas encore prononcés sur une application dès septembre 2017, comme le souhaitaient les 26 autres délégations nationales, l’Autriche invoquant notamment des problèmes techniques qui ne lui auraient pas permis de donner son accord politique sans délai supplémentaire. La Présidence italienne du Conseil avait dès lors proposé un compromis tablant sur une application de l’EAI dès 2017 pour 26 Etats membres et dès 2018 pour le Luxembourg et l’Autriche.
Le Luxembourg a néanmoins créé la surprise en annonçant être prêt à une application de la directive dès 2017, tandis que l’Autriche a, de son côté, maintenu sa demande "pour des raisons techniques". Vienne s'est cependant engagée à faire tous les efforts pour appliquer cette norme plus tôt si cela s’avère techniquement faisable, le gouvernement autrichien ayant annoncé son intention de consulter le secteur notamment sur ce sujet.
Lors de la délibération publique, le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, qui avait préalablement consulté les représentants du secteur au Luxembourg ainsi que la Chambre des députés, a notamment rappelé que le Luxembourg avait souscrit à l’EAI dès mars 2014 en donnant son accord sur la directive révisée relative à la fiscalité de l’épargne. Et le ministre luxembourgeois de souligner que les conditions de cet accord étaient la mise en place d’un seul standard dans l’UE (en l’occurrence celui, global, de l’OCDE) devant mener à la révocation de la directive "fiscalité de l’épargne" qui serait fusionnée – notamment ses dispositions relatives aux trusts – dans celle sur la coopération administrative, ce à quoi la Commission s’est engagée. Par ailleurs, il s’agissait de réviser les accords avec les pays tiers afin qu’eux aussi pratiquent l’EAI, en réponse à quoi le commissaire en charge de la fiscalité, Algirdas Šemeta, a confirmé que les négociations étaient en bonne voie pour un accord d’ici la fin de l’année.
Au ministre luxembourgeois qui craignait cependant que les banques n'aient pas au moins six mois pour se préparer – la collecte des données devant débuter au 1er janvier 2016, soit la date limite de transposition de la directive révisée, pour que l’application effective de l’EAI puisse débuter un an plus tard –, le commissaire a expliqué que les États étaient libres d'adopter la directive avant le 1er janvier 2016. Pour ce qui est de l’Autriche, le commissaire a précisé que, si la solution idéale aurait été d’avancer tous ensemble, la Commission était prête à soutenir le compromis, mais que la période transitoire accordée à Vienne impliquait que les dispositions de la directive révisée sur la fiscalité de l'épargne continuent à être applicables à l’Autriche tant qu’elle n’aurait pas adopté le nouveau régime.
"Nous avons fait un pas important vers une plus grande transparence qui marque la fin du secret bancaire en matière fiscale dans l'UE", s’est félicité Pier Carlo Padoan, le ministre italien de l'Economie et des Finances et président du Conseil, en conférence de presse. Toujours en conférence de presse, le commissaire Šemeta a pour sa part salué l'engagement de la Suisse en faveur de l’EAI, la Confédération ayant annoncé qu'elle l'appliquerait en 2018.
Dans un communiqué de presse diffusé le 16 octobre 2014, le Ministère luxembourgeois des Finances s’est pour sa part félicité du fait que, en "ayant su dégager un paquet équilibré dans l’intérêt d’une place financière moderne et en particulier la garantie d’une norme unique également au sein de l’Union européenne, le ministre des Finances a témoigné d’un engagement continu du Luxembourg sur la voie de la transparence de par sa décision de pratiquer à l’instar de 26 autres États membres l’échange automatique dès 2017". Et de souligner que le choix du Luxembourg pour une mise en œuvre sans délai "a été largement applaudi par bon nombre d’États membres et plus particulièrement par la Présidence italienne".
Les conclusions du Conseil précisent encore que la nouvelle directive sera adoptée une fois traduite dans toutes les langues officielles sans autre discussion. La directive est fondée sur l'article 115 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en vertu duquel l'unanimité est requise pour une adoption par le Conseil, après consultation du Parlement européen.
Pour rappel, l’EAI a été introduit dans l'UE dès 2005 (avec une portée limitée), grâce à la directive sur la fiscalité de l'épargne. En vertu de cette directive, les Etats membres échangent automatiquement des informations sur les intérêts de l'épargne perçus par les non-résidents sur leur territoire. L’Autriche et le Luxembourg bénéficiaient d’une période de transition les autorisant à appliquer une retenue à la source au lieu de s'engager dans un échange automatique. En mars 2014, les 28 États membres ont convenu d’une révision de la directive sur l'épargne, qui a comblé les lacunes dans la législation et a étendu son champ d'application. Cet accord revêtait une importance jugée majeure en ce sens que chaque État membre – dont le Luxembourg et l'Autriche – s'était désormais engagé à appliquer l’EAI sur les revenus de l'épargne, précise un Mémo de la Commission.
En marge du Conseil ECOFIN, la Suisse et l'Union européenne ont signé une déclaration commune sur la fiscalité des entreprises. Dans cette déclaration, la Suisse s'est engagée à abroger cinq régimes fiscaux considérés comme dommageables par l’UE.
"Le Conseil fédéral confirme ainsi sa volonté de proposer l'abrogation de certains régimes fiscaux dans le cadre de la troisième réforme de l'imposition des entreprises, notamment ceux qui prévoient une différence de traitement entre les revenus de source suisse et les revenus de source étrangère ("ring-fencing")", peut-on lire dans un communiqué de presse diffusé par les autorités fédérales helvétiques.
Les nouvelles mesures fiscales se baseront sur les normes internationales de l'OCDE. En contrepartie, les Etats membres de l'UE confirment qu'ils supprimeront leurs éventuelles mesures de rétorsion dès que les régimes en question auront été abrogés.
Une preuve de plus que, "lorsque nous travaillons ensemble dans l'UE en faisant des efforts pour une fiscalité juste, des résultats impressionnants peuvent être obtenus", s'est félicité le commissaire chargé de la Fiscalité, lors de la conférence de presse à l'issue du Conseil ECOFIN.
Le Conseil a par ailleurs adopté des conclusions sur les "mesures de soutien à l'investissement en Europe" qui sont considérées comme un élément clé de la réponse de l'UE dans la promotion de la compétitivité et de la croissance. Selon le Conseil, l'amélioration des conditions régissant les investissements tant publics que privés est au cœur de la réponse à apporter au niveau de l'UE pour promouvoir la compétitivité et la croissance et soutenir la demande.
Dans ses conclusions, le Conseil invite ainsi la Commission à analyser les facteurs qui sont de nature à améliorer le climat des affaires en Europe, notamment le lien clé entre l'investissement et la mise en œuvre des réformes structurelles. Il s'est félicité de la création d'un groupe de travail, co-présidé par la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Commission, et associant les États membres, dans le prolongement de la réunion informelle ECOFIN de Milan.
Ce groupe sera chargé d'analyser les principaux obstacles et les goulots d'étranglement à l'investissement et de proposer des solutions pratiques pour surmonter ces obstacles. Il "permettra d'identifier les projets d'investissement potentiellement viables à réaliser dans le court et moyen terme [et] il jettera les bases crédibles et transparentes d’un ensemble de projets visant à renforcer la compétitivité de l'UE et le potentiel de croissance à moyen et à long terme", précisent les conclusions du Conseil. Le groupe de travail se réunira pour la première fois le 13 octobre 2014, date à laquelle il adoptera son mandat. La BEI et la Commission feront un premier rapport au Conseil ECOFIN de décembre.
Le Conseil a, en outre, souligné l'importance d'adopter des dispositions financières et institutionnelles innovantes en vue d'améliorer davantage le rôle de catalyseur de la BEI et en général a souligné la nécessité de rendre l'action de la BEI plus efficace.
Le Conseil a par ailleurs procédé à un débat d'orientation sur une proposition visant à restructurer la taxation des produits énergétiques et de l'électricité.
Le projet de directive – proposé par la Commission en avril 2011 – modifie la directive actuelle sur la taxation de l'énergie en vue de promouvoir l'efficacité énergétique et la consommation de produits plus respectueux de l'environnement, conformément aux objectifs des politiques de l'UE dans les domaines de l'énergie et du changement climatique. Il vise en particulier à assurer un traitement fiscal cohérent des différentes sources d'énergie, en fonction des émissions de CO2 et du contenu énergétique plutôt que du volume.
Depuis sa présentation, la proposition de la Commission est pourtant loin de faire l’unanimité au Conseil et n’a pas manqué de susciter le débat, et ce y compris au Luxembourg. Ainsi lors d’un précédent débat au Conseil ECOFIN de juin 2012, Christian Braun, le représentant permanent du Luxembourg auprès de l’UE, avait expliqué que le Luxembourg serait disposé à "vivre avec une assiette fiscale se référant au contenu énergétique et aux émissions de gaz à effet de serre" et des taux minima à condition toutefois qu’ils soient associés à des périodes de transition adéquates.
"Il faut laisser aux Etats-membres la possibilité de fixer les taux de taxations au-delà des minima communautaires", avait encore plaidé le représentant luxembourgeois qui s’était néanmoins rallié aux délégations s’opposant au principe de proportionnalité. Selon celui-ci (dit également clause d'alignement), les Etats membres auront la liberté de fixer leurs propres taux, au-delà des seuils minimaux imposés par l'UE et de concevoir leur propre structure de taxation en reproduisant le rapport qui existe entre les niveaux minimaux de taxation pour les différentes sources d'énergie.
Astrid Lulling, rapporteure sur ce dossier au Parlement européen, s’était également prononcée contre ce principe de proportionnalité, estimant qu’il conduirait à une flambée des prix du diesel dans la grande majorité des Etats membres, avait-elle dit en séance plénière, le 18 avril 2012, lors du vote de la position du Parlement européen sur ce texte. La plénière avait alors fait tomber ladite clause et maintenu la possibilité pour les Etats membres d’établir une distinction entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé, une distinction à laquelle la Commission voulait mettre fin. A noter néanmoins que le Parlement n'était que consulté sur ce dossier, qui requiert, comme pour tout ce qui a trait à la fiscalité, un vote à l'unanimité au Conseil.
Lors du débat du 14 octobre 2014 au Conseil, l'Allemagne a notamment constaté l'impossibilité de trouver un compromis dans un avenir prévisible, Berlin estimant qu’il ne fallait "pas gaspiller trop de temps, d'énergie et d'efforts qui n'auront pas d'effet dans un futur proche", une position à laquelle se sont ralliés le Royaume-Uni et la Slovénie. La Belgique et la Finlande ont, pour leur part, déploré le manque d'ambition du compromis de la Présidence italienne, très éloigné de la proposition initiale de la Commission, la Belgique considérant qu'après trois ans de discussions, il serait "temps de reconsidérer l'utilité de ce texte", la Finlande réitérant son soutien à la proposition originelle.
La Suède et la France ont pour leur part dit refuser que l'UE se contente d'un constat d'échec sur ce dossier, tandis que l’Espagne, le Danemark et le Portugal ont également estimé qu'il fallait continuer le travail, car le compromis, bien qu'il réduise l'ambition du texte initial, en garde certains éléments importants. Le Luxembourg ne s'est en revanche pas exprimé sur le texte lors de ce débat.
De son côté, le commissaire en charge de la fiscalité a constaté "une scission totale" entre les positions des Etats membres dont il fera rapport à son successeur. "La Commission verra ce qu’il convient de faire de cette directive et examinera la possibilité de son retrait, car [le projet de texte actuel] est déjà très éloigné de la proposition originelle de la Commission" qui a donc "des doutes quant à la valeur ajoutée de ce texte", a-t-il dit.
Les conclusions diffusées par le Conseil précisent encore à ce sujet que "prenant note des positions divergentes des Etats membres sur les questions clés visées par [s]a proposition de compromis", la Présidence italienne "a indiqué que le Conseil reviendra sur la question à l'avenir".