Réuni en séance plénière le 4 novembre 2014, les députés ont adopté deux projets de loi renforçant la transparence fiscale de la place financière luxembourgeoise.
Le premier projet de loi répond aux critiques formulées par le Forum mondial sur la transparence fiscale en novembre 2013 en énonçant de nouvelles règles d’échange de renseignements sur demande en matière fiscale.
Le second permet l’entrée en vigueur au 1er janvier 2015 de l’échange automatique d’informations sur la fiscalité des revenus de l'épargne.
Déposé le 10 avril 2014, le projet de loi n° 6680 qui prévoit la procédure applicable à l'échange de renseignements sur demande en matière fiscale, a été adopté par 32 voix pour, 5 contre et 23 abstentions.
Ce projet "s’inscrit dans la ligne de l’effort soutenu et délibéré mené ces dernières années par les autorités luxembourgeoises en vue de libérer notre pays en général et notre place financière en particulier des accusations et doutes latents quant à la volonté du Luxembourg de coopérer activement et sans restrictions à la mise en place d’un système financier global marqué par la transparence, une moralisation grandissante de la vie des affaires, et la suppression des moyens facilitant l’évasion fiscale, fléau qui appauvrit les économies en faisant supporter par tous le gain non justifié de quelques-uns", disait le Conseil d’Etat dans son avis.
Le projet de loi modifie la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d'échange de renseignements sur demande, qui avait elle-même été adoptée après que le Luxembourg a été placé sur la liste grise des Etats partiellement coopératifs à l’issue du sommet du G20 de Londres en juillet 2009. Le Luxembourg avait alors adapté des procédures internes des administrations fiscales concernées par l’échange de renseignements et des voies de recours contre les décisions prises au courant de ces procédures
Dans un rapport du 23 novembre 2013, le Forum mondial de la transparence, émanation de l’OCDE, avait jugé que, pour la mise en œuvre des normes de transparence et d'échange de renseignements à des fins fiscales, le Luxembourg restait non-conforme, tout comme trois autres Etats (Chypre, les Iles Vierges britanniques et les Seychelles). Il était accusé d’interpréter, de manière trop restrictive, le critère de "pertinence vraisemblable", qui définit si les données fournies ont un lien avec l’enquête ou le contrôle en cours. Il se voyait ainsi reprocher de ne pas livrer toutes les informations dont ils disposaient. Seulement 43 des 75 accords signés par le Luxembourg permettaient un échange de renseignements conforme au standard international. Et parmi ces 43 accords, seulement 23 étaient en vigueur, dénonçait également le rapport.
Les autres reproches concernaient le refus de communiquer des renseignements parce que les données utilisées à l’appui des demandes de renseignements avaient été obtenues à l’origine d’une manière contraire à son droit interne, mais également l’invocation, survenue à une occasion, du secret commercial pour refuser la transmission de données ou encore l’usage limité de ses pouvoirs de contrainte et de sanction pour obtenir des informations.
Le gouvernement a souhaité répondre rapidement et à l’ensemble des reproches, a expliqué le ministre des Finances, Pierre Gramegna, à la tribune de la Chambre. Il fallait être prêt d’ici le mois de janvier 2015, pour être en mesure de bénéficier à ce moment d’une nouvelle évaluation positive par le Forum mondial. Sans quoi, les institutions financières internationales qui sont au Luxembourg ne pourraient pas opérer normalement sur le marché international. "Si nous sommes catégorisés non transparents, notre régime fiscal entier ne serait plus vu comme conforme", a encore mis en garde Pierre Gramegna, tandis que « nos conventions fiscales pourraient être dénoncées".
Ce texte s’applique à toutes les demandes d’échange de renseignements en matière fiscale, adressées aux administrations fiscales luxembourgeoises et provenant de l’autorité compétente d’un autre Etat sur base d’une convention fiscale ou d’un accord bilatéral en vigueur.
En réponse aux critiques du Forum mondial, le Luxembourg a opté pour que l’échange de renseignements sur demande soit accordé de la manière la plus large possible. Le contrôle à effectuer par l’administration fiscale compétente se limite ainsi à un contrôle de la régularité formelle, consistant à vérifier si la demande d’échange de renseignements contient toutes les indications nécessaires prévues par les conventions et lois. Un complément d’information ne peut être demandé que lorsque la demande est incomplète. Une des conséquences est que l’administration des contributions directes ne contrôle pas si la demande d’informations repose sur l’utilisation de données illicitement recueillies.
Le projet de loi envisage que l’administration fiscale compétente peut requérir la confidentialité, en interdisant au détenteur des renseignements bancaires d’informer son client ou une personne tierce de l’existence ou du contenu de la décision d’injonction de l’administration fiscale luxembourgeoise suite à une demande de l’Etat membre où réside le client.
Avant d’envoyer les renseignements à l’autorité compétente étrangère, l’administration fiscale est toutefois autorisée à effectuer un contrôle a posteriori des renseignements qui lui ont été fournis. Ces renseignements doivent avoir un lien avec l’enquête ou le contrôle en cours. Et leur transmission peut être abandonnée si elle se heurte à un secret commercial, industriel ou professionnel ou à un procédé commercial, et si leur divulgation est contraire à l’ordre public.
Le projet de loi adopté permet également la divulgation d’informations portant sur des tiers non visés par la demande, en interdisant que soient noircies ou rendues invisibles des informations concernant des tiers, dans le cas d’un mandataire ou d’un co-titulaire de compte.
Le projet de loi introduit également la rétroactivité des demandes d’informations qui peuvent donc se rapporter à une ou plusieurs années avant la date d’application des dispositions conventionnelles sur l’échange de renseignements sur demande.
Le point du texte qui a été le plus discuté est l’abandon de tout recours devant les juridictions administratives luxembourgeoises contre une demande d’informations transmise par l’intermédiaire des autorités luxembourgeoises. Le principe établi est que la personne, qui n’est pas résidente et qui est visée par l’information, ou une tierce personne, dont les données apparaîtraient dans les informations, ne dispose d’un recours que dans l’Etat requérant et non dans l’Etat requis.
Le seul recours qui subsiste au niveau luxembourgeois est celui du détenteur d’informations de contester l’amende administrative fiscale d’un montant maximal de 250 000 euros qui lui serait infligée au cas où il ne divulgue pas toutes les informations dont il dispose.
Refusant la suppression des recours juridiques contre les demandes de renseignement des autorités étrangères, le CSV et I'ADR ont demandé en vain le report du vote du projet de loi. Les députés CSV estimaient essentiel le maintien au Luxembourg du contrôle systématique du caractère de "pertinence vraisemblable" d'une demande venant des administrations fiscales étrangères, pour empêcher la pêche aux informations.
A la tribune, le député CSV, Gilles Roth, a dénoncé "une manière d’agir unique pour l’Etat de droit luxembourgeois". Si le CSV est d’accord avec le principe d’une amélioration de la coopération internationale, en faveur d’une "place financière propre", il considère que "la fin ne justifie pas les moyens" et que la loi se heurte à "des droits fondamentaux élémentaires d’un Etat de droit", a-t-il dit. Il a d’ailleurs regretté que "le gouvernement se met à genou devant le forum mondial, un organe qui n’est pas une institution, qui n’est pas occupée par des responsables politiques".
Si elle disait dans son avis que le projet de loi est "très certainement à saluer en ce qu’il renforce la crédibilité du Luxembourg sur le plan international", la Chambre de Commerce avait pour sa part mis en garde "de ne pas tomber dans l’excès inverse". Elle se demandait si le texte ne va pas "au-delà des exigences raisonnables", notamment pour ce qui est de la divulgation d’informations portant sur des tiers et de l’obligation de ne pas informer le contribuable de l’existence et du contenu de la demande le concernant. Cela "pose des questions en matière de respect de la vie privée et de protection des droits de la défense", disait-elle.
Dans son avis sur le projet 6680 livré le 24 octobre 2014, l'Ordre des avocats avait dénoncé "une renonciation au contrôle judiciaire, pourtant inhérent à l'Etat de Droit". "Même si l'abolition du secret bancaire n'est pas une nouveauté, il était jusqu'à maintenant accepté que la mise en pratique de celle-ci et donc l'entraide internationale en matière fiscale devait s'accompagner de certaines garanties et protections, afin d'empêcher des détournements du but", avait regretté l’ordre.
En matière pénale ou policière où il y a également des traités internationaux de collaboration, il est prévu un contrôle judiciaire ou une autorisation préalable de la justice, et un moyen de recours pour les personnes qui y sont visées. Or, les abus ou les excès de zèle, et notamment ce que l'on a appelé les "fishing expéditions" (pêche d'informations tous azimuts), seraient à craindre. Le contrôle du caractère de "pertinence vraisemblable" de la demande, possible dans la loi du 31 mars 2010, permettrait justement de faire obstacle à cette pêche à l’aveugle.
"L'on comprend que l'échange d'informations en matière fiscale est à peu près tolérable si les informations sont transférées suite à une demande d'un pays où régit l'Etat de droit, par exemple la France ou l'Allemagne, d'autant plus qu'il existe dans ces pays des moyens pour se défendre dans une procédure administrative ou contentieuse", disent encore les avocats. "L'absence de tout recours est par contre inadmissible quand la demande d'échange d'informations provient d'un Etat dont les juridictions sont inexistantes, corrompues ou de façon générale, ne garantissent pas un accès à a justice efficace de ses citoyens. Or nous savons tous que le Luxembourg traite parfois avec ce genre d'Etats, quand certains intérêts sont en jeu", lit-on encore dans l’avis de l’Ordre des avocats.
La Chambre de Commerce citait d’ailleurs l’adoption du modèle britannique, qui n’autorise pas les autorités fiscales à demander une information à un tiers sans l’accord du contribuable concerné ou l’autorisation d’un tribunal. Dans les deux cas, l’information doit être raisonnablement nécessaire à la vérification de la situation fiscale du contribuable. Le contribuable doit être informé, sauf si un tribunal autorise une dérogation à cette règle. Enfin, en Grande-Bretagne, le contribuable ou le tiers ont la possibilité de faire appel, sauf dans l’hypothèse où la demande a été autorisée par un tribunal.
Le député socialiste, Franz Fayot, a relativisé les critiques sur l’absence de recours. Le Luxembourg est le pays qui recevait le plus de demandes au monde, en reçoit 300 à 400 par an. Sur 30 recours contre ces demandes, la moitié a été rejetée car infondée. Ensuite, le recours existe dans l’Etat requérant. L’argument de l’absence d’un Etat de droit dans certains pays partenaires ne tient pas. Ce sont les conventions de non double imposition qui encadrent ces échanges. « On doit alors réfléchir si on veut vraiment faire une convention avec un Etat. Nous ne pouvons pas être dans une morale double : faire d’un côté des affaires et de l’autre s’étonner qu’il n’y a pas de droit de la défense", estime le député socialiste.
Franz Fayot a par ailleurs souligné qu’avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 de la nouvelle norme internationale de l’OCDE qui prévoit que l’échange automatique touche de nouvelles catégories de revenus, les demandes seront bien moins nombreuses. Il reprenait l’argument du Conseil d’Etat qui disait que "l’échange automatique d’informations mènera à une connaissance précise de bon nombre de données auprès des autorités d’Etats requérants étrangers, relevant dans une première étape de l’Union européenne, mais dans une vision à moyen terme de l’ensemble des pays membres de l’OCDE, de sorte que la question de la pertinence vraisemblable des informations demandées, de même que la crainte des ‘fishing expeditions’, seront largement désamorcées".
Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a fait savoir que "la transparence n’est pas un désavantage mais ouvre de nouvelles perspectives", tandis que "le secret bancaire ces dernières années était un désavantage et ne correspond plus à notre temps". Le maintien d’un recours aurait maintenu le Luxembourg "dans l’ancien modèle".
Adopté par 56 voix pour et 3 contre, le second projet de loi met en œuvre l’échange automatique obligatoire d’informations sur certains revenus de l’épargne. Il modifie trois lois de 2005, dont celle transposant la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 du Conseil de l’UE en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêt, par laquelle le Luxembourg avait, avec l’Autriche et la Belgique, obtenu un régime transitoire. Cette loi constitue la transposition de l’accord unanime obtenu au sommet européen du 20 mars 2014, accueilli comme "une avancée dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales" par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy qui a assuré que le "secret bancaire était appelé à disparaître".
Pendant une période de transition, ces trois Etats membres ont dû appliquer une retenue à la source aux revenus de l’épargne de non-résidents couverts par la directive, pour reverser un niveau minimum d’imposition effective à l’Etat membre d’origine. Au Luxembourg, le taux de la retenue a progressivement augmenté: il était de 15% entre juillet 2005 et juillet 2008, puis de 20 % jusqu’en juillet 2011 et enfin de 35 % depuis lors. Trois quarts de ces recettes étaient transférées à l’Etat de résidence de l’épargnant.
L’abandon de la retenue à la source et l’introduction de l’échange automatique obligatoire d’informations sur certains revenus de l’épargne par le Luxembourg a également été motivée par la signature le 28 mars 2014 de l’accord FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) sur l’application de la loi américaine du même nom, signale également l’exposé des motifs du projet de loi. Elle impose un échange automatique d’informations sur tous les avoirs des résidents américains. Or, la directive 2011/16/CE du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, transposée en droit luxembourgeois par une loi du 29 mars 2013, contient en effet une sorte de clause de la nation la plus favorisée.
Le but de la loi adoptée par la Chambre consiste à ce que les revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts effectué au Luxembourg en faveur de bénéficiaires effectifs, qui sont des personnes physiques ayant leur résidence fiscale dans un autre Etat membre, soient effectivement imposés conformément aux dispositions législatives de ce dernier Etat membre. Les personnes morales d’une façon générale, les résidents fiscaux luxembourgeois, ainsi que les résidents fiscaux d’un autre Etat tiers en sont donc exclus. Les résidents fiscaux luxembourgeois continueront de payer un impôt de l’ordre de 10 % prélevé à la source.
Désormais, l’agent payeur ne prélèvera plus de retenue à la source sur les intérêts, mais communiquera les données fiscales du bénéficiaire non-résident à l’autorité fiscale luxembourgeoise, qui à son tour, les transmet à l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil de l’entité réceptrice des intérêts.
Les informations que l’agent payeur est tenu de communiquer dans la forme prescrite, jusqu’au 20 mars suivant l’année au cours de laquelle l’attribution du paiement des intérêts devront contenir : l’identité et la résidence du bénéficiaire effectif ; le nom ou la dénomination et l’adresse de l’agent payeur; le numéro de compte du bénéficiaire effectif ou, à défaut, l’identification de la créance génératrice des intérêts; ainsi que le montant total des intérêts ou des revenus ou le montant total du produit de la cession, du rachat ou du remboursement. La communication des informations par l’autorité compétente du Luxembourg aura lieu au moins une fois par an, au plus tard le 30 juin suivant la fin de l’année civile.
Pour les paiements d’intérêts ainsi que les retenues d’impôt effectués antérieurement au 1er janvier 2015, les dispositions légales relatives à la retenue à la source et au partage des recettes applicables avant la mise en vigueur de la loi continuent à garder leur effet.
D’après la fiche financière annexée au projet de loi sous avis, les modifications engendreront une perte de recettes fiscales estimée à quelque 47 millions d’euros par an. Une étude publiée par le STATEC le 1er avril 2014, a estimé la diminution du solde des finances publiques à une fourchette allant de 0,1 % à 0,3 % du PIB, soit entre 48,7 et 146,1 millions d’euros de pertes, rappelle la Chambre des salariés dans son avis. La diminution de l’emploi total pourrait se situer entre 211 personnes la première année et 2 729 personnes après quatre années suite à l’introduction de cet échange automatique d’informations.
Dans son avis, la Chambre de Commerce a douté de l’efficacité du système de l’échange automatique par le passé, jugé "coûteux et inapproprié". Elle estime que "les moyens mis en œuvre portent atteinte à des droits fondamentaux tels que la vie privée ou encore la protection des données personnelles".
Durant le débat, le député socialiste Franz Fayot a parlé d’un "moment historique" et a rappelé que la place financière a eu le temps de s’y préparer. Cette Place est en train de muter en une Place de banques privées, a-t-il expliqué. Elle misait auparavant sur les avoirs de moyennes fortunes se dirige vers la gestion de grandes fortunes, devient "plus internationale".
La députée Déi Gréng, Viviane Loschetter, a estimé qu’il s’agissait d’"une adaptation, un renouvellement" de la place et a fait remarquer que, contrairement à ce qui avait été annoncé, le chaos, ce n’est pas arrivé.
Le député ADR, Gast Gybérien, a pris acte du changement de mentalité survenue dans les dix dernières années vers l’abandon du secret bancaire. Mais il a regretté que le gouvernement en décembre 2013 et au Conseil en mars 2014 a accepté cet échange automatique, en n’obtenant que la promesse, et donc pas de garantie, que l’échange automatique serait réalisé plus tard à un niveau international.
Le député Déi Lénk, Justin Turpel, a notamment déploré que les résidents continuent à ne payer que 10 % d’imposition bien qu’il y aurait pu y avoir progressivité de l’impôt jusque 40 %. Il a dit que la voie vers l’échange automatique d’informations restait encore longue. Après 2017, et l’adoption de la nouvelle norme de l’OCDE, "de nombreux produits ne sont pas là, de nombreux établissements ne sont pas visés, donc les fonds de commerce de la place luxembourgeoise ne seront pas directement touchés".