Suite aux révélations de Luxleaks, de nombreuses voix s’élèvent au Luxembourg pour demander une harmonisation des pratiques du ruling à l’échelle européenne. Il faudrait discuter, négocier et coopérer à l'échelle nationale, internationale et européenne pour standardiser les "tax rulings", des décisions anticipatives en matière fiscale, afin d’éviter "que des bénéfices importants ne soient pas taxés", a ainsi insisté le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn, lors d’une réunion conjointe de la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et de l'Immigration et de celle de l'Economie de la Chambre des députés, le 10 novembre 2014. "Mon approche est qu'il faut rapprocher au maximum la légalité et la légitimité", a-t-il encore dit au micro de RTL.
Dans un article publié le 9 novembre dans le magazine allemand Der Spiegel, Jean Asselborn était par ailleurs cité ainsi : "Le Luxembourg ne doit pas devenir un endroit qui accueille les entreprises qui veulent éviter de payer leurs impôts". Selon lui, le Grand-Duché n'accepterait plus de telles "combines" et Luxleaks aurait porté un "coup sévère porté à la réputation du pays". Des propos qui n’ont pas fait l’unanimité dans les partis luxembourgeois de droite et de centre-droit.
L’eurodéputé libéral Charles Goerens estime quant à lui que tous les pays devraient montrer leurs pratiques et indiquer comment faire pour une fiscalité plus juste, selon RTL. Il a précisé que les Luxembourgeois avaient actuellement une position très difficile à Bruxelles et à Strasbourg: "En tant que Luxembourgeois, on entre dans un ascenseur et en en ressort tout petit." En ce moment, il n’y aurait pas moyen d’avoir un "débat objectif", a-t-il déclaré au quotidien Luxemburger Wort qui le rapporte dans son édition du 11 novembre 2014. Pour avoir une "discussion loyale", il faudrait que tous les Etats membres qui ont recours à la pratique du ruling en discutent et changent leurs pratiques, estime-t-il.
Pour lui comme pour l’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel (PPE), Luxleaks est un "non-évènement". Le ruling serait aussi pratiqué dans d’autres pays, mais seul le Luxembourg serait attaqué, a critiqué Frank Engel dans une interview avec RTL datée du 7 novembre 2014. "Les journalistes auraient pu se focaliser sur les pratiques aux Pays-Bas, mais ils ne l’ont pas fait, ou encore au Royaume-Uni ce qu’ils n’ont, évidemment, pas fait", a insisté l’eurodéputé. Charles Goerens avait quant à lui précisé le 7 novembre que les décisions de tax ruling obligent les entreprises à investir si elles veulent profiter d’une réduction d’impôts.
Claude Wiseler, chef du groupe politique du CSV à la Chambre des députés, a de son côté appelé le 10 novembre 2014 le gouvernement actuel à "défendre le Luxembourg et la politique des dernières années de manière offensive", une politique "conforme à la loi européenne et internationale". Il s’est également exprimé en faveur de la transparence, mais insisté sur la nécessité d’un environnement favorable à l'économie.
Le député allemand Carsten Schneider, vice-président de la fraction du SPD, a appelé le 11 novembre 2014 dans une émission de la chaîne allemande ZDF la Commission à instaurer un "enquêteur spécial" qui examinerait en détail les différents systèmes fiscaux dans les Etats membres, entre autres afin d’assurer "l’impartialité" de Jean-Claude Juncker. Cet enquêteur ne devrait pas se concentrer uniquement sur le Luxembourg, mais également scruter les arrangements fiscaux légaux dans d’autres Etats membres.
Le groupe des conservateurs allemands (CDU/CSU) au Parlement européen s’est pour sa part exprimé contre cette initiative, rapporte le quotidien Süddeutsche Zeitung dans son édition du 11 novembre 2014. Par contre, elle est soutenue par un eurodéputé libéral allemand, Michael Theurer, qui appelle la Commission à instaurer une commission d’enquête parlementaire au Parlement européen, tout en dénonçant des "paradis fiscaux" en faveur des multinationales et une pratique "massivement asociale et injuste" à l’égard du "contribuable honnête".
"Le problème est qu’on n’a pas accès aux données", a encore martelé Carsten Schneider. Le député socialiste a dénoncé un "comportement pervers" et le "parasitisme" ("Schmarotzertum") des entreprises, puisque les pratiques du ruling qui "portent la charge fiscale à presque zéro [...] retirent le pouvoir fiscal" à des pays comme la France ou l’Allemagne. Le député allemand a lancé un appel à la solidarité intra-européenne de ne pas "se priver mutuellement de la base" du financement des budgets nationaux. "Il n’est pas acceptable que la librairie du coin paie ses impôts tandis qu’Amazon y échappe et en profite pour baisser les prix. C’est une concurrence déloyale", a-t-il critiqué. Le fait que le droit fiscal relève du droit national et non communautaire serait une "faute" dans la construction européenne, a-t-il encore dit. Il s’est exprimé en faveur d’une coordination accrue des politiques fiscales au niveau européen et d’un contrôle "amélioré". "Il n’est pas acceptable qu’un Etat membre impose à 2 % tandis qu’un autre comme l’Allemagne le fait à 30 %. Cela crée une concurrence contraire à la solidarité", estime-t-il.
Le président du groupe S&D, Gianni Pitella, a appelé le président de la Commission Jean-Claude Juncker, sous le feu des critiques parce qu’il a été Premier ministre quand les accords dénoncés dans Luxleaks ont été conclus, à venir s'expliquer devant le Parlement européen. "On demande un éclaircissement", a-t-il dit à la Süddeutsche Zeitung, tout en affirmant que la crédibilité politique de Jean-Claude Juncker était en jeu.
Pour l’eurodéputée Rebecca Harms (Verts/ALE), Jean-Claude Juncker commet "une grande erreur" s’il ne comparait pas devant le Parlement européen.
Philippe Lamberts, co-président du groupe écologiste, juge pour sa part que la participation de Jean-Claude Juncker au débat du Parlement européen sur Luxleaks est "impérative". Il appelle le Parlement européen à adopter une résolution pour clarifier les étapes à suivre. "Si les grands groupes politiques échouent à soutenir ces propositions, comme court la rumeur, cela porterait un sérieux coup à la crédibilité des institutions européennes", a-t-il déclaré dans un communiqué.
L'eurodéputé vert Sven Giegold, porte-parole de son groupe pour les affaires financières, a demandé pour sa part la mise en place d'une "commission d’enquête" pour scruter les "réseaux" de l’évasion fiscale à travers les Etats membres. Il a en outre appelé la Commission à renforcer la législation existante et à étendre l’investigation en cours contre le Luxembourg, l’Irlande et les Pays-Bas à tous les pays susceptibles d’avoir recours aux mêmes pratiques du ruling. Il suggère que les déductions de taxes perçues "de manière illégale" par les entreprises devraient être remboursées et reinvesties dans le plan d’investissement de Jean-Claude Juncker.
Le groupe des Verts demande entre autres une obligation de publication de tous les arrangements fiscaux (tax rulings) dont bénéficient les entreprises, la mise en place, telle que votée par le Parlement Européen, d’un registre public sur les bénéficiaires effectifs de tous les instruments financiers opaques ou encore la mise en place d’une assiette commune et consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS).
Gabi Zimmer, présidente du groupe GUE/NGL, a de son côté appelé Jean-Claude Juncker à se retirer, le groupe ayant par ailleurs collecté 52 signatures d’eurodéputés (les 52 membres du groupe de la GUE/NGL) en vue de présenter une motion de censure contre le Luxembourgeois, peut-on lire dans un communiqué. "Le groupe est à la recherche du plus large soutien possible des autres groupes politiques pour aider à atteindre le total de 76 députés nécessaires pour adopter la motion. Cependant, la GUE/NGL n'acceptera pas les signatures de députés de l'extrême-droite qui souhaiteraient signer", précise le texte.
Jean-Claude Juncker "choisira le moment" pour s’exprimer, soit au G20 qui commence le 15 novembre 2014, soit à un autre moment, a indiqué en guise de réponse un des porte-paroles de la Commission lors du "Midday press briefing" quotidien de la Commission européenne du 10 novembre 2014. Le lendemain, le 11 novembre 2014, Mina Andreeva, une autre porte-parole de la Commission, a déclaré que la Commission "ne comment[ait] pas des déclarations individuelles d’eurodéputés ou de groupes politiques". Ella a indiqué que la Commission donnera sa position, si le Parlement européen le lui demande et exprime une position unique.
La Commission européenne a pour sa part attesté une "coopération meilleure et accrue" du Luxembourg avec la Commission "pendant ces derniers mois", en référence aux enquêtes approfondies de la Commission contre le Luxembourg sur des accords fiscaux anticipatifs en faveur de Fiat Finance. Ricardo Cardoso, porte-parole de la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a précisé que l’enquête a été lancé il y a plusieurs mois, mais qu’entretemps il y a eu "plus de nouvelles, plus d’informations sur le marché et nous sommes en train d’étudier la question pour voir comment et dans quel sens nous pouvons avancer", en référence à Luxleaks. Il n’a ni confirmé ni exclu l’existence d’un délai posé par la Commission au Luxembourg, mais soutenu que la Commission attend toujours "plus d’informations" pour pouvoir avancer dans son investigation, lors d’une conférence de presse du 10 novembre 2014. En effet, le Luxembourg refuse de fournir certaines informations sur ses pratiques de ruling fiscal. Il met en doute l’étendue des pouvoirs de la Commission et a saisi la Cour de justice de l’UE. L’ancien commissaire chargé de la fiscalité, Algirdas Šemeta, avait néanmoins attesté d'une "coopération nettement améliorée" avec le Luxembourg, le 7 octobre 2014, lors de l’ouverture d’une enquête approfondie concernant des allégations de traitement fiscal privilégié accordé à Amazon.
Pour Pascal Saint Amans, directeur du Centre de politique et d'administrations fiscales à l'OCDE, le Luxembourg a fait "des progrès phénoménaux" en ce qui concerne ses engagements à aller vers plus de transparence, selon ses propos cités par l’Agence Europe qui insiste notamment sur la conférence de presse donnée par le ministre des Finances, Pierre Gramegna, sur la politique de transparence en matière fiscale du gouvernement luxembourgeois la veille des révélations sur Luxleaks. Il y avait annoncé que le Luxembourg veut être un "bon élève de la transparence". Il a notamment précisé que le Luxembourg allait rendre payant les décisions anticipatives, comme c’est le cas en Allemagne et que la pratique du ruling soit désormais inscrite dans la loi, afin de lui donner plus de lisibilité.