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Entreprises et industrie - Fiscalité
Luxleaks – Les premières réactions de Jean-Claude Juncker, Margrethe Vestager, au Parlement européen, chez les partis luxembourgeois, de l’UEL et de PricewaterhouseCoopers
06-11-2014


Les réactions aux révélations de Luxleaks du 6 novembre 2014, quand une quarantaine de médias internationaux ont révélé des accords fiscaux conclus entre le Luxembourg et 340 multinationales entre 2002 et 2010, ont été nombreuses.

Alors que la rumeur de la publication imminente de Luxleaks avait fait le tour des salles de presse des institutions européennes à Bruxelles, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s’est vu interpeller le 5 novembre 2014 par un journaliste qui lui demandait s’il ne risquait pas de se retrouver dans la situation d’être à la fois juge et partie. En effet, Jean-Claude Juncker était Premier ministre luxembourgeois entre 1995 et 2013, précisément au cours de la  période pendant laquelle les accords fiscaux dits "ruling" ont été signés. Sa réponse : "La Commission a parfaitement le droit de lancer des enquêtes de ce type, qui ne concernent d'ailleurs pas le seul Luxembourg. La Commission fera son travail, moi je m'abstiendrai d'intervenir, puisque c'est un dossier qui concerne la commissaire chargée de la concurrence (Margrethe Vestager, ndlr), qui doit avoir une grande liberté d'action et de propos. Je ne la freinerai pas, parce que je trouverais ça indécent. J'ai une idée sur le sujet, mais je la garderai pour moi." Une position répétée le lendemain 6 novembre par un porte-parole de la Commission qui a ajouté : "L'exécutif européen est prêt à sanctionner le Luxembourg, s'il y a lieu."

Dans une déclaration publiée le 6 novembre 2014, le Commissaire européen à la concurrence Margrethe Vestager a signalé que le "tax ruling" est "une pratique courante" dans les Etats membres. Elle a néanmoins précisé que si dans un tax ruling, les autorités fiscales d'un État membre acceptent que la base d'imposition d'une société spécifique soit calculée d'une manière favorable qui ne correspond pas aux conditions du marché, il se peut que l’Etat accorde à la société un traitement plus favorable que ce que d'autres entreprises devraient normalement obtenir en vertu des règles fiscales du pays, ce qui pourrait constituer une aide d'État. Selon  Margrethe Vestager, la Commission s’occupe déjà des tax rulings des Etats de l’UE qui pourraient favoriser certaines entreprises. Elle a cité les procédures formelles d’examen que la Commission a récemment ouvertes à l’encontre de l’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg et a envoyé des demandes d'information aux autres États membres. Pour ce qui est du Luxembourg, elle a rappelé les deux enquêtes qui sont en cours sur le tax ruling pour Amazon et Fiat Finance & Trade (FFT), un dossier sur lequel les autorités luxembourgeoises et la Commission sont en "étroite collaboration". "Nous n’avons pas encore vu toutes les informations publiées hier (le 5 novembre 2014, ndlr), et à ce stade nous n’avons pas encore d’opinion sur ces rulings et sur un éventuel suivi par la Commission", a-t-elle expliqué.

Le ministre allemand chrétien-démocrate des Finances Wolfgang Schäuble a réagi à Luxleaks alors qu’il présentait le 6 novembre au Bundestag la nouvelle norme d’échange automatique de renseignements élaborée par l’OCDE qui a été adoptée par tous les pays de l’OCDE et du G20 ainsi que par les grands centres financiers lors de la réunion annuelle du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales qui s’est tenue à Berlin le 29 octobre 2014 ainsi que l’accord soutenu par 51 juridictions, dont le Luxembourg,  pour mettre en place un échange automatique d'informations financières d'ici 2017-2018. Il a estimé lors de son intervention que le Luxembourg avait encore "beaucoup à faire" pour améliorer ses pratiques fiscales. Sigmar Gabriel, le ministre allemand social-démocrate de l’Economie, a lui demandé à ce que le Luxembourg cesse ses pratiques et appelé la Commission européenne à placer la lutte contre le dumping fiscal au centre de son agenda. "Si les grandes compagnies multinationales arrivent à dresser les Etats membres l’un contre l’autre, le projet Europe est mis en question dans son ensemble."

Au Parlement européen

Dans un communiqué de presse, le groupe PPE a indiqué qu’il "soutient l’enquête en cours" sur les "systèmes en place au Luxembourg et dans d’autres Etats membres de l’UE (…)". Le président du groupe PPE au Parlement européen Manfred Weber a par ailleurs souligné que cette question n’engage pas la personne du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, mais qu’elle "devrait être traitée par les autorités nationales et européennes compétentes". Pour lui, "Jean-Claude Juncker a indiqué très clairement que, sous sa direction, la Commission européenne redoublerait d’efforts pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Le Groupe PPE soutiendra fermement toutes les initiatives allant dans cette direction". Selon Manfred Weber, la politique fiscale relève d’une compétence des Etats Membres. "Nous aimerions que les gouvernements nationaux cessent leur double langage sur la lutte contre l’évasion fiscale – exprimant un point de vue lorsqu’ils sont à Bruxelles, puis un tout autre une fois de retour dans leurs capitales- et qu'ils s'accordent sur des actions déterminées pour mettre un terme à ces pratiques", a conclu Manfred Weber.

Le chef de file du groupe S&D au Parlement européen, Gianni Pitella, a lui appelé la Commission à agir contre les pratiques fiscales douteuses dans l’UE et a exigé un débat sur la question lors de la plénière du Parlement qui se tiendra entre le 12 et le 13 novembre 2014, un débat au cours duquel il sera demandé à la Commission de présenter ses positions. Les sociaux-démocrates européens estiment que l’évasion et la fraude fiscale coûte autour de 1 000 milliards d’euros aux Etats de l’UE. Le tax ruling constitue pour Gianni Pitella une planification fiscale agressive qui aggrave les déficits budgétaires contre lesquels nombre d’Etats membres luttent et prolonge ainsi la récession. Jean-Claude Juncker devra "montrer maintenant de quel côté il se trouve, du côté des citoyens européens ou du côté des firmes qui font les fines avec le fisc".

Le groupe des libéraux (ALDE) a demandé à ce que les allégations contre le Luxembourg sur les pratiques d’évasion fiscale soient "clarifiées immédiatement". Comme les Verts européens et le S&D, Guy Verhofstadt, président du groupe ALDE, a demandé à la Commission de venir expliquer au Parlement européen "si ces pratiques sont conformes à la législation européenne". "Nous trouvons inacceptable que les citoyens et les PME doivent payer des impôts élevés en cette période de crise, tandis que nombreux sont ceux dans le secteur des entreprises qui semblent faire tout leur possible pour minimiser les impôts. Si les rapports sont exacts, dans de nombreux cas, ils ne paient pratiquement rien.", a ajouté le président du groupe ALDE. Selon l’eurodéputé belge, il est indispensable que l’UE prenne des "mesures énergiques" afin de s’assurer que l’évasion fiscale et la fraude fiscale soient sévèrement punis." Le groupe ADLE va garder un œil attentif sur la Commission en ce qui concerne sa promesse d’un progrès vers un système d'imposition des sociétés dans l’UE qui soit plus transparent et plus équitable.", a conclu Guy Verhofstadt.

Alors que les Verts autrichiens ont d’ores et déjà demandé la démission de Jean-Claude Juncker, le porte-parole des Verts européens pour les questions économiques et financières, le député européen allemand Sven Giegold n’est pas allé dans ce sens. Il a déclaré que "la crédibilité de Jean-Claude Juncker comme bon Européen est désormais mise en question, puisque c’est sous son gouvernement que les méthodes du tax ruling ont été introduites en réaction à des restrictions imposées au dumping fiscal au niveau européen". Mais dans son "nouveau rôle", Jean-Claude Juncker "a la chance de lancer un plan d’action contre le dumping fiscal agressif dans l’UE", ce qui devrait faire taire certains critiques. Il pourrait ainsi renforcer une unité de lutte contre les aides fiscales à la DG Concurrence qui n’est dotée que de huit collaborateurs en quadruplant au moins ses ressources humaines, a estimé Sven Giegold. Autre proposition : un taux d’imposition minimal européen pour les entreprises. Loin de lui "de condamner d’avance" le président de la Commission qui pourra démontrer sa bonne foi en matière de politique fiscale dans l’UE.

Les réactions au Luxembourg

Au Luxembourg, le principal parti d’opposition, le CSV, le parti de Jean-Claude Juncker, a demandé la réunion d’urgence de la commission des finances et du budget de la Chambre des députés. Le député Eugène Berger, chef de file des libéraux du DP à la Chambre, a répliqué sur Twitter, disant soutenir la proposition du CSV, à condition que l’ancien Premier ministre, donc Jean-Claude Juncker, et l’ancien ministre des Finances, Luc Frieden, qui a démissionné de la Chambre des députés en juillet 2014 pour devenir vice-président de la Deutsche Bank AG et exercer ses nouvelles fonctions à Londres, y soient convoqués.

Le député socialiste (LSAP) Franz Fayot, rapporteur du budget 2015, a indiqué dans une déclaration reprise par le Tageblatt qu’ "en tant qu’Etat souverain, le Luxembourg a le droit de mener sa politique fiscale dans le cadre de traités multilatéraux ou européens d’une manière telle que ses intérêts soient garantis".  Il a exprimé son souhait que les journalistes qui se sont occupés de Luxleaks aient le courage d’enquêter également sur les "crimes pour raison d’Etat" commis par les grandes puissances pour assurer leurs intérêts géostratégiques et pour des raisons économiques. L’éditorialiste du Tageblatt, Alvin Sold, a abondé dans le même sens.  

Le parti de gauche Déi Lénk, qui met avant d’avoir régulièrement dénoncé "la fraude fiscale organisée au niveau de l’Etat", demande lui la tenue d’un débat en plénière sur Luxleaks, les pratiques qu’il révèle, les conséquences qui devraient en être tirées et la responsabilité du CSV dans l’affaire, alors qu’il était au pouvoir. Déi Lénk est convaincu que les hausses d’impôt révélées le 15 octobre 2014 sont la conséquence directe de la fraude fiscale qui déplace la charge des finances publiques vers les ménages et les salariés.   u/fr/actualites/2014/10/chd-budget-gramegna/index.h   

Le parti souverainiste ADR a, quant à lui, établi une relation entre plusieurs événement des derniers jours – le vote à la Chambre le 4 et le 5 novembre de deux projets en relation avec l’échange d’informations fiscales et la conférence de presse du ministre des Finances Pierre Gramegna sur les efforts du Luxembourg en matière de transparence - pour  reprocher au gouvernement d’avoir fait trop de concessions sans contreparties. Pour l’ADR, il n’a fallu que 24 heures pour montrer que la "nouvelle transparence" n’a pas servi au pays. L’ADR admet que "le monde a changé, que tout le monde doit contribuer sa part au fardeau fiscal et qu’il n’est pas possible de construire une place financière qui favorise l’évasion fiscale." Mais le parti de droite insiste sur le fait que la législation en vigueur est en accord avec les directives européennes. Il demande que le gouvernement soumette "un vrai plan pour le futur de la place luxembourgeoise" qui ne se base pas seulement sur le futur de la place bancaire et financière.

Pour le nouveau directeur de l’UEL, Jean-Jacques Rommes, le tax-ruling est un "facteur de compétitivité". Pour l’ancien directeur de l’ABBL, la concurrence fiscale en Europe est un fait, et cela devrait rester ainsi, "quitte à ce que cela devrait se faire dans le futur sur la base de règles plus transparentes et équilibrées". Luxleaks a créé selon lui avant tout un problème politique et de réputation de la place financière. Mais si la question devait être envisagée du point de vue du management d’une entreprise, ce serait le devoir des gestionnaires de chercher les meilleurs moyens pour réduire la charge fiscale qui grève leur firme. Dans ce contexte, le tax-ruling n’est pas une manière d’agir "typiquement luxembourgeoise".

Pour PwC, une "attaque" qui "vise essentiellement" le Luxembourg

PricewaterhouseCoopers (PwC), la grande société d’audit, d'expertise comptable et de conseil présente dans 150 pays et qui emploie 2 450 personnes au Luxembourg qui proviennent de 55 pays différents, PwC qui est dans la mire de Luxleaks parce que  tous les dossiers de cette fuite sont signés PwC, a convoqué le même jour à Luxembourg une conférence de presse pour dénoncer une "attaque" qui "vise essentiellement" le Luxembourg.

Didier Mouget, directeur associé chez PwC, a parlé d’une "campagne massive"  sur la base de "documents obtenus de manière illégale". Il fait ainsi référence à une fuite de documents qui a eu lieu en 2010 par "moyen informatique" et suite à laquelle PwC a déposé plainte contre X en mai 2012 et renforcé la sécurité de son système informatique. Tout ce qui se fait à Luxembourg en matière fiscale "est légal et conforme aux règles locales, européennes et internationales", a-t-il insisté.

Déjà en 2012, les dirigeants de PwC avaient argué de la même façon, selon les propos repris par Paperjam.lu : "Les services de conseils fiscaux délivrés à (ses) clients, ainsi que les activités qu'ils conduisent au Luxembourg, en accord avec ces services, respectent scrupuleusement, et sans exception aucune, les lois et réglementations luxembourgeoises, les normes et traités internationaux ainsi que les codes d'éthique auxquels nous sommes soumis".

Didier Mouget a insisté sur le fait que les révélations se basent sur des "informations dépassées" qui "ne sont plus pertinentes" ainsi que "des pratiques qui datent", vu que les documents concernent la période de 2002-2010. Depuis "beaucoup s’est passé au Luxembourg", affirme-t-il, notant que le Luxembourg a changé sa réglementation nationale pour s’adapter aux règles internationales. Il estime qu’il s’agit d’une "campagne orchestrée" contre le Luxembourg qui pourrait "susciter la jalousie" parce que le pays s’est "bien sorti de la crise". Son collègue Wim Piot a ajouté que la fiscalité a évolué au Luxembourg ce qui n’aurait pas été pris en compte dans les articles de presse.

Didier Mouget estime qu’on ne peut pas qualifier le Luxembourg de "monopole des structures d’optimisation fiscale" et le Luxembourg n’a pas non plus "d’exclusivité" en la matière, vu que "ces actions se font aussi dans beaucoup d’autres pays européens", notamment au Royaume-Uni qui est "le plus dynamique dans l’innovation fiscale" ou aux Pays-Bas. Le manager critique notamment le fait que les journalistes du Consortium aurait seulement regardé deux ou trois transactions isolées, sans avoir une vue globale des activités d’une entreprise. "Ce n’est pas parce qu’un groupe paie un impôt minimal lors d’une transaction que le groupe se comporte mal", a affirmé Didier Mouget, ajoutant que si ces transaction ne s’étaient pas faites au Luxembourg, elles auraient eu lieu ailleurs. Il estime qu’on ne peut pas "conclure qu’il y a eu des transactions cachées", tout en jugeant que le Luxembourg a un "niveau de transparence élevé".

Didier Mouget a expliqué que la solution pour que les gouvernements augmentent leurs recettes ne réside pas dans le fait d’ "agresser un pays comme le Luxembourg". "Les sociétés vont utiliser d’autres pays si elles n’utilisent pas le Luxembourg", a-t-il indiqué. Selon lui, le problème est d’ordre mondial, et la réflexion doit ainsi se faire au niveau mondial. Il a indiqué que le PwC est favorable à certaines dispositions de l’OCDE relatives à la fiscalité internationale et estime que, dans un contexte de crise, "le fait d’imposer quelque chose uniquement au niveau européen aggrave le problème dans l’UE et est bénéfique aux autres régions du monde."

Wim Piot a critiqué le fait qu’il n’y a "pas de standard" pour calculer les charges fiscales. Selon lui, si on prend en compte toutes les charges que les sociétés payent, le standard au Luxembourg serait semblable à ceux dans d’autres pays, sous-entendant que la charge fiscale serait en réalité plus élevée. Il prend l’exemple de la notion de "substance", qui selon lui, "n’est nulle part définie". Wim Piot estime qu’il est néanmoins important d’adapter le standard fiscal au monde contemporain.