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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Directive PNR – Le Conseil veut un accord avant la fin de l’année, mais la commission des Libertés civiles du Parlement européen reste très divisée
11-11-2014


Parlement européenLe 11 novembre 2014, la commission Libertés civiles (LIBE) du Parlement européen a mené un premier débat sur la poursuite des travaux législatifs concernant la proposition de directive sur "concernant l’utilisation des données des passagers aériens (PNR pour "passenger name record") pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière", dite directive PNR, restée en suspens depuis un an et demi.

Cinq jours plus tôt, à Paris, les ministres de l'Intérieur européens qui composent le G6 (France, Espagne, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Pologne), avaient cité l’adoption de la directive PNR parmi les législations communes à adopter pour faire face au phénomène des combattants partis faire le djihad et de la propagande sur internet.

"Tous les États membres soutiennent déjà cette initiative et nous devons maintenant convaincre le Parlement européen", a dit alors le ministre français, Bernard Cazeneuve. "Il faut qu'on puisse convaincre avec plus de garanties" pour les libertés. Les autorités allemandes ont invoqué l’urgence de la situation, en soulignant que quelque 3 000 ressortissants de pays d'Europe occidentale, dont 400 Allemands, ont rejoint les rangs de l'État islamique (EI). "Depuis le début de l'année, le nombre des Français a augmenté de 82%. Nous en sommes aujourd'hui à près de 1 000", a prévenu pour sa part Bernard Cazeneuve.

Le Conseil JAI des 5 et 6 juin 2014 et celui du 9 octobre 2014 consacré au terrorisme et à la sécurité des frontières avait d’ailleurs déjà exprimé son souhait que le dossier progresse et aboutisse au plus tard avant la fin de l'année 2014.

La directive PNR, proposée en février 2011, veut imposer aux transporteurs aériens de fournir aux États membres de l’Union les données des passagers de vols internationaux à destination ou en provenance du territoire de l’Union. Les États membres analyseraient et conserveraient ces données dans un fichier. Mais pour le grand nombre et la longue durée de conservation des données récoltées, cette proposition de directive avait attiré de nombreuses critiques.

Le 24 avril 2013, par 30 voix pour, 25 contre et 5 abstentions, la commission LIBE avait fini par rejeter le texte. Mais, le 10 juin 2013, deux jours avant le vote en plénière initialement prévu, le Parlement européen avait renvoyé le texte à la commission LIBE afin de reprendre le travail législatif.

L’impact de l’arrêt de la CJUE invalidant la directive européenne sur la conservation des données reste à évaluer

Lors du Conseil JAI du 9 octobre 2014, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, avait estimé que le blocage du PNR par le Parlement européen est "juste" dans la mesure où il faut "veiller au respect de la Charte des droits fondamentaux". Il plaidait pour un système "préventif" donnant accès à des données de passagers "s’il y a besoin", sans pour autant collecter systématiquement les données de tous les passagers.

L’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 4 avril 2014 invalidant la directive relative à la conservation des données a ajouté un élément nouveau, à savoir le risque que la proposition de directive dit PNR ne soit elle-même pas en conformité avec l’arrêt. La Cour avait motivé son jugement sur la directive sur la protection des données en précisant qu’elle permettait l’accès aux autorités compétentes à des données qui, "prises dans leur ensemble, sont susceptibles de fournir des indications très précises sur la vie privée des personnes dont les données sont conservées, comme les habitudes de la vie quotidienne, les lieux de séjour permanents ou temporaires, les déplacements journaliers ou autres, les activités exercées, les relations sociales et les milieux sociaux fréquentés".

En réponse à une question parlementaire du député CSV Laurent Mosar, trois ministres luxembourgeois dont Jean Asselborn avaient, le 14 octobre 2014, jugé évident que "les futures discussions sur la proposition de directive PNR seront fortement conditionnées par les enseignements à tirer de l'arrêt de la CJUE", car les deux directives "reposent sur une logique similaire", à savoir "la rétention de tout un ensemble de données à caractère personnel par un opérateur privé commercial afin de les rendre disponibles aux autorités de poursuites pénales en cas de nécessité dans une enquête déterminée". De ce fait, la position à adopter lors de la continuation des négociations de la proposition de directive PNR devrait être similaire à celle à adopter dans le contexte de la suite du dossier de la rétention des données, "et cela tant au niveau national qu'au niveau européen", disaient-ils en mentionnant tout particulièrement les trilogues.

A l’heure de rouvrir les débats le 11 novembre 2014, la commission LIBE ne disposait toujours pas de l’analyse qu’elle a commandée au service juridique du Parlement européen sur la conformité de la directive PNR. Cette analyse devrait être prête le 9 décembre, a-t-on appris au cours des débats. Dans ce contexte de flou juridique, plusieurs eurodéputés ont jugé qu’il était trop tôt pour reprendre les discussions, laissant entendre que le délai d’une adoption à la fin de l’année 2014 était illusoire.

"Les députés restent divisés sur la question, mais la plupart d'entre eux ont souligné qu'il était nécessaire d'évaluer le jugement de la Cour de justice de l'UE annulant la directive sur la conservation des données, d'analyser si les autres mesures existantes sont suffisantes avant d'en prendre de nouvelles et de mettre en place les dispositions adéquates en termes de protection des données", rapporte le communiqué de presse du Parlement européen.

Pourtant, comme elle l’a expliqué en début de débat, la Présidence italienne du Conseil aspire à un accord rapide afin de respecter l’appel formulé également par le Conseil européen du 30 août 2014, demandant aux colégislateurs de finir les travaux à la fin de l'année. "Toutes les forces de police confirment qu’il s’agirait d’un instrument important, qui pourrait avoir un impact dans la lutte contre ce phénomène très grave. Nous sommes conscients des préoccupations des députés à propos des droits à la confidentialité", a dit le porte-parole de la Présidence italienne, dans une déclaration similaire à celle de son homologue de la Commission européenne.

Lors de son audition, le nouveau commissaire européen en charge de l’Immigration, Dimitris Avramopoulos avait d’ailleurs garanti que la proposition serait examinée à la lumière des principes et critères de la directive sur la protection des données, en mettant en œuvre une utilisation proportionnée des données et en veillant à un contrôle par la Cour de justice.

Le débat en commission LIBE

Le rapporteur de la proposition, Timothy Kirkhope (ECR) a jugé que les données PNR étaient "fondamentales" pour identifier les itinéraires des personnes, les empêcher d‘atteindre leur destination et les arrêter. Les données PNR sont pour lui "une pièce importante du puzzle pour protéger les citoyens". Il a cité l’arrestation d’un réseau criminel de trafic de drogues ou de gangs actifs dans le trafic d’êtres humains, comme premières réussites des systèmes PNR. Des tels systèmes sont déjà en effet mis sur pied. Comme l’a souligné Timothy Kirkope, quinze Etats membres, parmi lesquelles ne figure pas le Luxembourg, reçoivent un financement de la Commission pour mettre sur pied un tel système. Or, la tâche des compagnies aériennes est rendue difficile par l’existence de systèmes différents. De même, la protection des données varie fondamentalement en fonction de la législation de l’Etat membre concerné.

L’eurodéputée S&D, Birgit Sippel, a estimé qu’il fallait d’abord évaluer si toutes les mesures existantes pour lutter contre le crime et le terrorisme sont effectivement utilisées par les Etats membres, avant de décider d’autres. Elle a déploré que les lois nationales ayant transposé la directive sur la protection des données, bien que très similaires, existent toujours, "même si tous les Etats membres ont accepté les mêmes règles et les mêmes valeurs". Elle a appelé à la prudence, en faisant remarquer que les Etats membres qui ont déjà mis en place un système PNR pourraient se heurter à la jurisprudence de la CJUE. Elle a également balayé tout reproche fait au Parlement européen. "Ce sont les Etats membres qui freinent et qui ne prennent pas de décisions. Ils devraient établir des normes communes s’ils veulent accéder à l’utilisation de données", a-t-elle enfin fait remarquer.

Dans un communiqué de presse diffusé à l’issue de la réunion de la commission, le groupe S&D prévient qu’il n’y aura "pas de système PNR avant de nouvelles règles sur la protection des données". "Nous ne pouvons pas faire la même erreur deux fois. Nous avons d’abord besoin de clarté légale sur la compatibilité des systèmes de rétention de données avec les droits fondamentaux européens", y dit aussi Birgit Sippel.

L’eurodéputé Verts-ALE, Jan Philip Albrecht a d’abord souligné que "personne ne s’oppose à un meilleur échange d’informations" existantes, lequel pourrait d’ores et déjà permettre d’éviter des attaques terroristes. La directive PNR constitue un autre débat puisqu’elle ne concerne pas l’échange mais la rétention d’informations. Jan Philip Albrecht est d’avis qu’il faut au préalable analyser l’environnement juridique, avant de poursuivre les travaux. Il déplore le manque de proportionnalité de la directive PNR qui veut essayer de lutter contre le crime organisé, "en n’exigeant aucun lien entre les données et la menace à la sécurité publique". "La directive n’a prévu ni zone géographique, ni un groupe de personnes, il s’agit simplement d’une rétention de données de personnes", de sorte que "tout voyageur qui circulerait à travers l’UE verrait ses données retenues pendant cinq ans", prévient-il.

L’eurodéputée GUE/NGL, Carmelia Ernst, a estimé que la commission LIBE "tourne en rond". Il n’est pas possible, selon elle, de continuer le parcours législatif, en raison du jugement de la CJUE et de l’inutilité de tels systèmes. Elle a demandé que les mesures contre le terrorisme plus anciennes fassent l’objet d’évaluations avant d’en créer de nouvelles. Par ailleurs, Carmelia Ernst a aussi contesté la décision de financer des systèmes PNR sans véritable base juridique et s’étonne que les Etats membres puissent se plaindre, dans ce contexte, de ne pas avoir de système uniforme.

Sophie in’t Veld (ADLE) a jugé sévèrement le financement de systèmes PNR par la Commission européenne, alors qu’un an plus tôt, un seul Etat membre avait un système PNR : le Royaume-Uni. "On finance d’abord et maintenant on dit ‘Il faut harmoniser, en venir à une directive’, c’est de la corruption, une façon vile de faire de la politique", a-t-elle jugé. L’eurodéputée libérale ne comprend pas l’intérêt d’une directive dès lors que chaque Etat membre a le loisir de faire son propre système et qu’ils peuvent échanger s’ils le veulent. Une directive contraindrait chaque Etat membre à créer un système PNR, alors que le Parlement de son pays a repoussé une proposition du ministre de la Justice de créer un système PNR. "La justification pour cette directive ne cesse de changer : c’est d’abord le terrorisme, puis l’exploitation sexuelle, puis la santé publique, puis on revient au terrorisme. (…) Maintenant ce sont les combattants étrangers qui vont en Syrie, ce n’est pas une justification plausible", pense l’eurodéputée qui dit que la longue mise en œuvre de ces systèmes dans les Etats membres ne répond pas à l’urgence invoquée par les Etats membres. "Si c’était urgent, les Etats membres agiraient ensemble", a-t-elle d’ailleurs suggéré.

L’eurodéputé PPE, Axel Voss, a reproché aux eurodéputés se concentrant  sur la proportionnalité et la nécessité de la rétention de données prévue par la directive de délaisser l’aspect sécuritaire de la question. "On ne peut pas laisser tous les criminels se déplacer en voiture, et laisser les autorités partir à pied à leur poursuite. Nous atteignons nos limites dans le domaine pénal et dans nos capacités de réaction", a-t-il affirmé. "Nos ennemis profitent du fait que nous stagnons." Axel Voss plaide pour le recours à ces données PNR, couplé à la mise en place de moyens de contrôle adéquats et des garanties pour renforcer les droits des citoyens. Sur son site internet, l’eurodéputé allemand a dénoncé "l’irresponsabilité" des Socialistes et des Verts qui ignoreraient le danger constitué par l’Etat islamique et les djihadistes venus des Etats membres de l’UE.

En conclusion du débat, Timothy Kirkhope, s’est agacé des réticences exprimées. Pour lui, il y a urgence. "Les choses bougent, la situation est différente d’il y a un ou deux ans, il y a beaucoup plus de menaces aujourd’hui", a-t-il dit. Il a aussi fait savoir qu’il jugeait hypocrite les réserves sur la conservation des données concernant la directive PNR, dès lors qu’elles ne sont pas exprimées dans les propositions de directive sur Europol et sur le blanchiment d’argent, qui contiendraient pourtant des rétentions d’informations bien plus conséquentes.