Le président de la commission parlementaire des Transports (TRAN) du Parlement européen, Michael Cramer, a critiqué dans plusieurs médias le projet allemand de vignette autoroutière ("Maut") qu’il désigne comme une "aberration populiste".
Pour mémoire, le projet d’une redevance d’infrastructure ("Infrastrukturabgabe") présenté le 30 octobre 2014 par le gouvernement allemand, prévoit qu'à partir de 2016, les automobilistes soient taxés, sous forme d'une vignette annuelle dont le coût dépendra de l'âge de la voiture, de la cylindrée du moteur et de critères environnementaux, pour un montant s’élevant en moyenne à 88 euros. Les taxes sont censées contribuer à maintenir les infrastructures routières allemandes. Tandis que les automobilistes étrangers doivent payer normalement le prix d’une vignette, les automobilistes allemands verraient leur taxe sur le véhicule diminuée du prix de la vignette.
Une grande majorité des députés qui siègent dans la commission des Transports, avaient estimé le 4 novembre 2014 que le projet de péage allemand est discriminatoire et anti-européen.
L’avis du président de la commission des Transports, Michael Cramer, est sur la même longueur d’ondes. Selon lui, ce projet de vignette n’est rien d’autre qu’un "péage pour étrangers", car si l'achat de cette vignette sera obligatoire pour tous les conducteurs, même étrangers, qui circulent sur les routes fédérales allemandes, celui-ci sera compensé d'une ristourne fiscale pour les résidents allemands payant une taxe de circulation, tel que l’avait indiqué le gouvernement allemand, lorsqu’il a précisé les modalités de l’introduction d’une vignette autoroutière en 2016.
Dans une interview au Deutschlandfunk le 31 octobre 2014, Michael Cramer a ainsi estimé que les conditions pour que le projet de vignette allemand voie le jour ne sont pas remplies. Celui-ci est selon lui "contraire à la législation européenne" et il est convaincu que la Commission européenne va "inévitablement" le court-circuiter. "Si la Commission laisse passer ce projet, sa crédibilité est endommagée dès le début", a-t-il souligné dans une interview auprès du "Tagesspiegel" le 4 novembre 2014.
L’eurodéputé allemand évoque notamment plusieurs précédents qui auraient connu la même issue. Il explique qu’en 1992, l’UE n’avait pas donné le feu vert au ministre fédéral des Transports allemand qui avait voulu introduire un système de péage pour poids lourds et réduire la taxe sur les véhicules. "La même chose devait se produire pour la mise en place d’un péage pour camions en 2004. La taxe automobile devait être baissée. Même ce projet a échoué", a expliqué l’écologiste allemand.
D’après Michael Cramer, aucune forme de discrimination ne peut être tolérée dans l’UE, spécialement parce que "nous avons un marché intérieur commun" et que "depuis, nous ne pouvons pas faire la distinction entre nationaux et étrangers".
Il a par ailleurs rappelé que le principe de non-discrimination a également "joué son rôle" dans la controverse entre la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre britannique David Cameron lors du sommet de l’UE du 23 au 24 octobre 2014. Il explique que dans ce contexte, c’était Angela Merkel qui avait insisté sur les principes du droit communautaire pour critiquer le plan britannique d'introduire des quotas dans l'immigration d’étrangers de l'UE. "La proposition de péage du gouvernement allemand doit être mesurée à l'aune de la déclaration de la chancelière Angela Merkel sur la Grande-Bretagne: une érosion de la non-discrimination et de la liberté de circulation ne peut être tolérée en Europe", a conclu Michael Cramer.
L’eurodéputé vert a remis en question l’ensemble des chiffres avancés par le ministre des Transports allemand Alexander Dobrindt. Le gouvernement allemand avait indiqué le 30 octobre 2014 que le bénéfice annuel prévu est de 3,7 milliards d'euros, dont 3 milliards proviendraient des propriétaires de voitures enregistrées en Allemagne (qui ne paieront donc rien en plus) et 690 millions des conducteurs étrangers.
Selon Michael Cramer, l’introduction d’une vignette ne produira que peu de bénéfices. Il cite les coûts bureaucratiques qui selon lui diminueront l’apport financier de la vignette. "Les rendements seront presque intégralement dévorés par la bureaucratie", a-t-il estimé dans une interview auprès de "Focus online". "Auparavant, il (le ministre des Transports allemand, ndlr) a dit qu’il y aura 800 millions pour toutes les routes, et maintenant il n’y en a plus que 700", a mis en avant Michael Cramer. "Aucun chiffre n’est correct!", a-t-il conclu dans l'interview avec le Deutschlandfunk.
En outre, il juge dans cette interview le projet de vignette "injuste, antisocial et nuisible à l'environnement, parce que les conducteurs qui roulent beaucoup, paient autant que ceux qui conduisent moins". Il pointe du doigt le fait que les voitures doivent payer pour utiliser les routes, tandis que "les camions jusqu’à 12 tonnes, voire même jusqu’à 7,5 tonnes dans quelques années, n’ont pas besoin de payer". Or, selon lui, un camion endommage les routes 60 000 fois plus qu'une voiture.
"Si le gouvernement veut de l'argent, une augmentation de la taxe sur le carburant de 1 cent suffit pour faire rentrer 600 millions, et s’il décide d’étendre le péage pour poids lourds comme en Suisse sur toutes les routes et pour tous les camions de plus de 3,5 tonnes, il aurait au moins 4 milliards d’entrées sans qu'il doive passer par un grand effort bureaucratique", a expliqué l’eurodéputé allemand. Il incite le gouvernement à opter pour des solutions "intelligentes" pour financer les infrastructures allemandes sans dévier vers une "aberration populiste".
L’avis de la Commission européenne, gardienne des traités selon l’article 17.1 du TUE, est important pour analyser la compatibilité du projet de vignette allemand avec la législation européenne.
Dans ses déclarations du 27 octobre 2014, le commissaire européen aux Transports sortant, Siim Kallas, avait indiqué que la Commission n’a pas constaté une entrave au principe de non-discrimination. Il avait indiqué que, dans un contexte de "sous-investissement chronique", il est important que les usagers payent pour les routes qu’ils empruntent. Or, il avait souligné que l’égalité de traitement est un principe "non-négociable", auquel l’Allemagne doit se conformer. Mais selon une source européenne, la nouvelle commissaire compétente, Violeta Bulc, pourrait être moins complaisante.
Le 4 novembre 2014, la Commission a abordé la question lors d’une audition au Parlement européen, et annoncé qu’elle va prochainement proposer de nouvelles mesures. "Nous devrions développer des politiques qui encouragent l’approche des transports intermodaux, mais qui seraient fondées sur le principe de "l’utilisateur-payeur" d’une part et non discriminatoire d’autre part", a déclaré Jean-Claude Juncker.
À ce jour, seuls les transports de marchandises font l’objet d’une réglementation européenne. Pour un péage pour les camions il y a des exigences spécifiques de l'UE, qui sont fixées dans la directive "Eurovignette" (2011/76/UE). Si les États membres peuvent collecter des frais et le montant doit être fondé sur la distance parcourue. Un système de vignette doit être échelonné dans le temps et en fonction de la classe de pollution. Un système de péage national ne peut pas discriminer les transporteurs issus d'autres États membres. Les frais sont calculés par rapport à la construction et les coûts d'exploitation de l'infrastructure en question, les coûts externes de la pollution de l'air et le bruit peuvent être inclus. Les règles pour les camions doivent également prévenir d'éventuelles distorsions de concurrence dans le secteur du transport de fret.
Les véhicules privés, qui comprennent les automobiles, les deux roues et les véhicules utilitaires, sont encadrés par les lois nationales. "Comme les voitures de tourisme ne sont pas en concurrence, nous pensons que cela est un problème pour les États membres", avait déclaré Olivier Onidi, Directeur de la DG Transports et Mobilité de la Commission européenne, chargé de la mobilité innovante et durable.
Ceci explique pourquoi, lorsqu'il est fait référence dans le développement du plan de péage allemand aux problèmes de droit de l'UE, ce sont des principes généraux de l’UE qui sont évoqués, spécialement le principe de non-discrimination des étrangers de l'UE (article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). C’est la Commission européenne qui s’assure que les législations des États membres correspondent aux principes de non-discrimination et de proportionnalité.