Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, réunis en Conseil européen à Bruxelles le 18 décembre 2014, se sont penchés sur la manière de favoriser l'investissement et remédier aux défaillances du marché en Europe, notamment à travers le plan Juncker qui débloque un investissement public et privé dans l'économie réelle d'au moins 315 milliards d'euros sur les trois prochaines années.
Le plan d’investissement pour l’Europe, ou plan Juncker, fait partie d’une des 23 nouvelles initiatives du programme de travail pour 2015 de la Commission européenne, présenté par Jean-Claude Juncker au Parlement le 16 décembre 2014, dans lequel il expose les mesures qu'elle a l'intention de prendre au cours des 12 prochains mois pour induire des changements en matière d'emploi, de croissance et d'investissement et offrir des avantages tangibles aux citoyens.
Le Conseil européen souligne dans ses conclusions que le nouvel accent mis sur l'investissement, ainsi que l'engagement des États membres d'intensifier les réformes structurelles et de poursuivre un assainissement budgétaire propice à la croissance, fourniront la base de la croissance et de l'emploi en Europe.
Pour concrétiser le plan d’investissement proposé par la Commission européenne, le Conseil européen appelle à la mise en place d'un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) dans le cadre du Groupe BEI (Banque européenne d’investissement) en vue de mobiliser 315 milliards d'euros de nouveaux investissements entre 2015 et 2017. Le FEIS sera ouvert aux contributions des États membres, directement ou par l'intermédiaire des banques nationales de développement. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont mis en avant "la position favorable dont a fait part la Commission à l'égard de ce type d'apports de capitaux dans le cadre de l'évaluation des finances publiques au titre du pacte de stabilité et de croissance, la flexibilité inhérente à ses règles actuelles étant nécessairement prise en compte." En clair, pour encourager les États membres, la Commission propose que les sommes versées ne soient pas comptabilisées dans le calcul de leur déficit.
"Par sa nature même, ce nouveau fonds servira à financer des investissements plus risqués, qui n’auraient pas eu lieu autrement, et c’est pourquoi il sera particulièrement utile aux pays qui ont été les plus touchés par la crise.", a expliqué Jean-Claude Juncker devant les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
Les chefs d’Etat et gouvernement ont généralement bien accueilli l’approche générale du plan Juncker. Le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel a fait l‘éloge du plan Juncker. Il a souligné son importance et a vanté le fait qu’il ait été mis en place rapidement. Le Conseil européen ne s’est pas prononcé sur des pré-allocations sectorielles ou géographiques ou "quotas" des investissements. Xavier Bettel a néanmoins précisé qu’il est important d’investir dans les secteurs "à haut niveau" tels que la communication, le transport et les énergies renouvelables. Il a ajouté que pour le Luxembourg, tout comme pour l’Autriche, "il ne sera pas question d’investir dans l’énergie atomique". Aussi, pour lui, les investissements de la Commission "ne doivent pas être en concurrence avec les investisseurs privés".
Le président français François Hollande a vanté les atouts du plan "pour que dans notre propre pays, il y ait davantage d'investissement et davantage de soutien à la croissance". "Ce plan Juncker peut avoir un effet beaucoup plus grand qu'on imagine. 315 milliards, c'est une base qui peut aboutir à beaucoup plus", a ajouté le chef de l'Etat français.
Jean-Claude Juncker a exprimé haut et fort son espoir espère que les États contribuent directement au Fonds de 315 milliards prévu dans son plan. "Le nouveau Fonds est là. Cependant, son impact serait évidemment beaucoup plus important si les États membres y contribuaient. Plusieurs États ont manifesté leur intérêt potentiel pour le faire et je suis maintenant en attente de propositions concrètes à cette fin". a indiqué Jean-Claude Juncker. Le 16 décembre 2014, devant le Parlement européen, il avait même souligné qu’il ne voulait pas que "paroles et paroles", mais "money money". Un appel auquel les Etats membres n’ont pas répondu. Au cours du sommet, même si les chefs d’Etat et de gouvernement ont vanté les mérites du plan Juncker, ils n’ont pas fait de propositions concrètes de contributions chiffrées, préférant temporiser avant d'ouvrir leur portefeuille pour contribuer au plan.
Le président de la Commission a tenté de rassurer, contre un certain scepticisme, que pour "garantir que les projets soient choisis selon leurs mérites, les décisions d'investissement devraient être fondées sur une analyse indépendante et experte des mérites intrinsèques et de la viabilité économique et sociale de chaque projet".
"Je ne vais pas mettre d'argent sur la table sans savoir d'abord quelles sont les propositions concrètes pour faire fonctionner ce fonds", a précisé le Premier ministre belge Charles Michel, résumant l’attitude de la plupart des Etats de l’UE. "Je veux que ce fonds soit mobilisé surtout au départ d'argent privé", a-t-il ajouté.
Jean-Claude Juncker est néanmoins resté optimiste. "Personne n’a exclu de participer à la mise en place du capital de départ", a indiqué Jean-Claude Juncker. Il a souligné que certains sont prêts d’y contribuer "sous certaines conditions". "Nous n’avons pas eu un débat détaille sur les contributions nationales puisque les projets ne sont pas encore arrivés à maturité" a-t-il conclu.
En janvier 2015, la Commission présentera une proposition que les législateurs de l'Union sont invités à adopter d'ici juin 2015, afin que les nouveaux investissements puissent être activés dès la mi-2015. Dans cette proposition, la Commission expliquera comment se fera le calcul des contributions nationales. La BEI est en outre invitée à démarrer l'activité en utilisant ses ressources propres dès janvier 2015.
En outre, dans ses conclusions, le Conseil européen invite la Commission et les législateurs de l'Union à faire avancer les travaux sur les mesures clés visant à renforcer l'attractivité de l'Union pour la production, l'investissement et l'innovation. Il l’appelle aussi à améliorer le cadre réglementaire relatif aux investissements, notamment en vue d'une meilleure intégration des marchés de capitaux, tout en poursuivant résolument le programme "Mieux légiférer" dont l'objet est la mise en place, à un coût minimal, d'une réglementation transparente et simple, conformément aux conclusions du Conseil du 4 décembre 2014. Il demande d'accélérer l'adoption, la transposition et la mise en œuvre de la législation de l'Union dans le domaine du marché unique et d'intensifier les travaux visant à lever les obstacles et à achever le marché intérieur des produits et des services.
Le Conseil européen demande un nouveau renforcement du système commercial multilatéral ainsi que la conclusion d'accords commerciaux bilatéraux avec des partenaires essentiels. Il indique dans ses conclusions que l'UE et les États-Unis devraient faire tous les efforts nécessaires pour conclure, d'ici la fin de 2015, les négociations sur un partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, ou TTIP, qui soit "ambitieux, global et mutuellement bénéfique".
"Sur le TTIP, nous sommes convenus que des efforts doivent être faits pour que cet accord puisse être finalisé vers la fin de l’année 2015, mais sans que l’Europe n’abandonne un certain nombre de principes qui lui sont chers au cœur, notamment le maintien en l’état des services publics", a expliqué le président de la Commission Jean-Claude Juncker, "tout comme l’eau ne sera pas privatisée". "Ce ne sont pas des enjeux de la négociation, car ce faisant, nous trahirions les principes européens", a-t-il conclu.
Le marché unique numérique, qui fait partie d’une des 23 initiatives que la Commission s'engage politiquement à mettre en œuvre en 2015, a également été abordé. Les mesures que la Commission européenne entend lancer en la matière ont pour objectif de créer les conditions propices à une économie et une société numériques dynamiques en complétant l'environnement réglementaire des télécommunications, en modernisant les règles relatives au droit d'auteur, en simplifiant les règles pour les consommateurs effectuant des achats en ligne et numériques, en améliorant la cybersécurité et en accordant une place centrale à la numérisation. Le Conseil européen invite les législateurs de l'Union à donner un nouvel élan aux travaux sur les propositions en suspens et demande à la Commission de présenter une communication ambitieuse dans ce domaine avant le Conseil européen de juin 2015.
Il invite aussi la Commission à présenter une proposition globale sur l'Union de l'énergie avant le Conseil européen de mars 2015.
Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se sont également penchés sur la manière de redoubler d'efforts dans la lutte contre l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, à la fois au niveau mondial et au niveau de l'UE.