Les ministres européens en charge des Transports se sont retrouvés à Bruxelles, le 3 décembre 2014, à l’occasion d’un Conseil "Transports, Télécommunications et Energie" (TTE) réuni dans sa formation dédiée aux questions de Transports. Le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, y représentait le Luxembourg.
Lors de la session du Conseil TTE-Transports, les ministres sont parvenu à dégager une orientation générale (accord politique de principe) sur deux propositions – un projet de règlement relatif à la mise en œuvre du "ciel unique européen" ainsi que des règles modifiées pour l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) – dans le cadre du paquet "Ciel unique européen 2+" (CUE 2+).
Pour mémoire, le 12 juin 2013, la Commission avait proposé le paquet CUE 2+ visant à améliorer la compétitivité du système de transport aérien européen et notamment à poursuivre le développement de l'initiative "ciel unique européen" par une révision et une refonte du paquet législatif existant – les quatre règlements sur le CUE – en un acte législatif unique, et une modification du règlement AESA, dont l'adoption est intervenue en 2009. Le Parlement européen avait pour sa part voté en première lecture sur cette proposition le 12 mars 2014, ce qui permettra aux négociations informelles en trilogues de débuter entre les institutions.
Plus précisément, la refonte du ciel unique européen "vise à réaliser des progrès dans la surveillance des règles, le système de performance, les blocs d'espace aérien fonctionnels (Functional Airspace Block - FAB), le souci de la clientèle chez les prestataires de services et les performances globales", précise la proposition de compromis présentée aux ministres par la Présidence italienne du Conseil de l’UE qui ajoute que "les principaux problèmes traités par la proposition sont le manque d'efficacité des services de navigation aérienne et la fragmentation du système de gestion du trafic aérien (GTA)".
C’est sur la base de cette proposition de compromis que le Conseil a dégagé une première orientation générale au sujet du projet de règlement relatif à la mise en œuvre CUE 2+, sans toutefois s’accorder sur la question de l'aéroport de Gibraltar qui divise le Royaume-Uni et l’Espagne. Les conclusions du Conseil précisent en effet que la Présidence italienne "a décidé d'adopter une approche générale laissant le paragraphe 5 de l'article 1 entre crochets. Cela signifie que le Conseil n'a pas pris position sur l'application de cette proposition à l'aéroport de Gibraltar. La manière dont cette question peut être reflétée dans le texte sera décidée à un stade ultérieur, à la lumière de l'issue des discussions entre l'Espagne et Royaume-Uni", y lit-on. C’est "une solution neutre qui ne donne pas raison à une délégation ou à une autre", a noté le ministre italien des Transports, Maurizio Lupi, lors de la conférence de presse à l’issue du Conseil.
Concrètement, selon le texte approuvé par les ministres, le CUE comportera un réseau paneuropéen cohérent de routes. L'espace aérien européen, les systèmes de gestion du réseau et de la circulation aérienne deviendront progressivement plus intégrés. Un des objectifs du CUE est de faire travailler ensemble les organisations nationales chargées de la circulation aérienne au sein de blocs d'espace aérien régionaux appelés "blocs d'espace aérien fonctionnels" ou FAB, ce qui devrait contribuer à accroître la capacité de GTA et rendre celle-ci plus efficace.
Selon les conclusions du Conseil, les FAB seront établis sur la base d'accords conclus entre les États membres. Chaque fois que cela est avantageux, ils seront soutenus par des partenariats industriels, la "souplesse" introduite par les partenariats industriels étant destinée à augmenter le plus possible la performance des FAB et même à améliorer celle de l'ensemble du réseau européen de gestion de la circulation aérienne. Les États membres pourront choisir d'établir un plan d'exploitation décrivant les mesures à prendre pour mettre en œuvre les blocs d'espace aérien fonctionnels. Cette disposition remplace celle sur les actes d'exécution de la Commission qui figurait dans sa proposition initiale.
Le CUE comporte des objectifs de performance qui ont trait à la sécurité, l'environnement, la capacité et l'efficacité économique. Le compromis approuvé "introduit plus de dynamisme et de souplesse dans le processus d'établissement des plans de performance à l'échelon de l'UE et au niveau local et de leur mise en application", précisent les conclusions qui notent encore qu’ "il prévoit un dialogue entre les parties prenantes et une révision du plan de performance ou des objectifs au niveau local si besoin est".
Le Conseil souligne par ailleurs que les autorités nationales de surveillance devront être indépendantes de tout prestataire de services de navigation aérienne, "dans le but d'améliorer encore la sécurité et la supervision et de prévenir les conflits d'intérêt". Lorsqu'il n'y a pas de séparation juridique entre les deux, les autorités nationales de surveillance devront être séparées des prestataires de services de navigation aérienne du point de vue du fonctionnement, notamment sur les plans organisationnel, hiérarchique et décisionnel. "Cela devrait garantir l'indépendance requise en termes de finances, de gestion et d'effectifs" sans que "dans le même temps, cette séparation n'implique pour les États membres de changements coûteux de leurs systèmes administratifs et de leurs structures de propriété", lit-on.
Contrairement à ce que proposait la Commission, le Conseil a choisi de laisser "facultative" l'ouverture à la concurrence des services d'appui – à savoir notamment les services de communications, de navigation et les services météorologiques. Les conclusions précisent que les prestataires de services de navigation aérienne pourront par ailleurs continuer d'associer des services d'appui et les principaux services de navigation aérienne. "Il est en effet considéré que dissocier les services et les soumettre aux conditions du marché, comme prévu dans la proposition initiale, ne serait pas la meilleure manière d'atteindre l'objectif voulu, à savoir des services de navigation aérienne sûrs, efficaces au regard des coûts, de qualité élevée, socialement acceptables et conformes au niveau international", précise le texte adopté par le Conseil.
Les ministres ont néanmoins demandé à la Commission de "mener une étude indépendante afin de déterminer si des services d'appui liés au réseau européen de gestion du trafic aérien pourraient être fournis de manière centralisée par Eurocontrol ou par un groupe de prestataires de services de navigation aérienne", lit-on encore dans leurs conclusions.
Le second volet du paquet, à savoir les modifications concernant l'AESA vise à aligner le champ d'application actuel du règlement relatif à l'AESA sur la législation relative au CUE et à inclure les concepts d'interopérabilité du CUE. Cette mise à jour prend également en compte les récentes évolutions du programme de recherche SESAR. Enfin, elle vise à aligner le texte actuel sur les principes figurant dans l'approche commune sur les agences décentralisées que le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont arrêtée en juin 2012.
A l'issue du Conseil, le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, s'est félicité du fait que "la Présidence italienne a su dégager un compromis généralement acceptable sur le fond en supprimant des pans entiers de la proposition initiale de la Commission", rapporte un communiqué diffusé par son Ministère, le ministre rappelant dans ce contexte qu'une "grande majorité d’États membres s’était montrée réticente à l’égard de ces propositions" de la Commission.
Lors de la conférence de presse à l’issue du Conseil, la commissaire européenne en charge des Transports, Violeta Bulc a pour sa part reconnu que les objectifs de la Commission avaient été revus à la baisse mais elle s'est dite prête à faire des compromis. "Nous posons de petits jalons pour l'espace unique", a-t-elle estimé.
Le Conseil s’est également penché sur le pilier "politique" (dit aussi "de marché") du quatrième paquet ferroviaire. Dans ce contexte, les ministres ont dégagé une orientation générale sur une proposition visant à abroger le règlement en vigueur relatif à la normalisation des comptes des entreprises de chemin de fer et ils ont également fait le point sur les progrès réalisés en ce qui concerne deux propositions visant à améliorer les services ferroviaires dans l'UE par l'ouverture du marché et un renforcement de la gouvernance (les deux autres volets du pilier politique) sur base d’un rapport d’avancement de la Présidence italienne.
Pour mémoire, ces propositions législatives déposées par la Commission européenne en janvier 2013 visent, entre autres, à ouvrir à la concurrence les services ferroviaires nationaux de transport de voyageurs à partir de décembre 2019, à soumettre les contrats de service public à une mise en concurrence obligatoire et à renforcer la séparation entre les gestionnaires de l'infrastructure et les entreprises ferroviaires.
Pour ce qui est de la proposition relative à la normalisation des comptes des entreprises de chemin de fer, les ministres ont marqué un accord de principe sur base d’une proposition de la Présidence italienne. Pour précision, cette proposition vise à abroger le règlement (CEE) n° 1192/69, qui est devenu obsolète et incompatible avec la législation de l'UE. Ce règlement, qui porte sur les compensations versées par les entreprises ferroviaires pour les dommages résultant d'accidents du travail, les pensions et les coûts relatifs aux installations de croisement, sera remplacé par un fonds spécifique en juin 2015
Le Conseil a par ailleurs débattu des deux autres volets du pilier politique du quatrième paquet ferroviaire, à savoir l'ouverture du marché à la concurrence et le renforcement de la gouvernance. Pour rappel, les ministres avaient débattu une première fois de ces propositions lors du Conseil Transport d’octobre 2014. Lors de ce débat, ils avaient convenu qu'il était important de s'efforcer de rendre les services ferroviaires plus dynamiques, orientés vers les clients et d’encourager l'investissement et l'innovation. "Cependant, beaucoup ont estimé qu'il y avait plusieurs façons d'y parvenir et se demandent si l'ouverture du marché serait dès lors la meilleure façon", rapportait la Présidence, ajoutant que beaucoup ont soulignés que ce qui convient à un pays pourrait être préjudiciable à l'autre, alors que les Etats membres sont très différents en termes de population, de géographie, de marchés et de systèmes ferroviaires nationaux. Le Luxembourg notamment, par la voix de son secrétaire d’Etat au Développement durable et aux Infrastructures, Camille Gira, s’était dit fermement opposé au volet politique.
Pour ce second débat, la Présidence italienne avait préparé un volumineux rapport de progrès dressant l’état des lieux de l’avancement de ces deux propositions et des questions principales se posant parmi les Etats membres. Dans ce rapport, la Présidence fait également un certain nombre de suggestions pour la suite des négociations, sous Présidence lettone.
Sur les fonctions des gestionnaires d’infrastructures, la Présidence italienne souligne ainsi que seules les "fonctions essentielles" actuelles devraient continuer à faire l'objet d'une séparation très stricte. "Il faudrait envisager de faire preuve d'une plus grande souplesse à l'égard de l'externalisation de fonctions à d'autres entités, moyennant des mesures de sauvegarde suffisantes", recommande-t-elle. Pour ce qui est des modèles de structure, la Présidence suggère que la proposition soit restructurée "pour mettre sur un pied d'égalité les structures verticalement intégrées et les structures séparées". Les États membres devraient pouvoir choisir à tout moment le modèle de structure qu'ils jugent le plus approprié, plaide le rapport, qui souligne qu’il devrait y avoir un noyau de règles communes sur la gouvernance, conçues pour garantir l'impartialité effective des gestionnaires de l'infrastructure et la transparence des flux financiers, qui devraient s'appliquer quelle que soit la structure. "Il conviendrait de mettre l'accent sur des règles efficaces plutôt que sur des modèles particuliers de structure", écrit encore la Présidence.
Par ailleurs, pour ce qui relève de l'entrée en vigueur des dispositions sur l'ouverture des marchés, la Présidence estime qu’il "convient d'appliquer une approche progressive". Il faudrait par ailleurs "concevoir des garanties suffisantes pour préserver, d'une part, l'équilibre économique des contrats de service public et, d'autre part, les services commerciaux à accès libre". Des garanties "appropriées" devraient ainsi être mises en place "pour éviter que seuls les services les plus rentables soient choisis", plaide encore la Présidence, qui souligne que lorsqu'ils détermineront la portée des contrats de service public, les États membres "devraient avoir la possibilité de grouper des lignes rentables et des lignes non rentables".
Enfin, si le principe de la mise en concurrence des contrats de service public dans les chemins de fer "est accepté", un certain nombre d’exceptions formulées par les Etats membres sont évoquées dans le rapport de la Présidence, telles que la taille des marchés, des situations d'urgence ou des objectifs de performance.
Ce rapport de progrès a été accueilli favorablement par de nombreuses délégations lors du débat en session publique organisé sur le sujet au Conseil, la Présidence italienne, se disant persuadée que, sur base de ce texte, un accord sur le volet politique pourrait être dégagé durant le trio de présidences (italienne, puis lettone et luxembourgeoise). A cette occasion, de nombreux Etats membres ont une nouvelle fois plaidé pour de la souplesse, demandant que la taille de leur marché soit prise en compte. Le Luxembourg ne s’est pas exprimé lors de cette session.
Dans son communiqué diffusé à l'issue du Conseil, le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, a constaté qu'"aucune décision substantielle n’a[vait] été adoptée" sur le sujet. "La Présidence italienne a dû se borner à présenter des rapports sur l’état d’avancement des travaux des dossiers de la gouvernance mais aussi des contrats de service public. Il s’agit des éléments du quatrième paquet ferroviaire relevant de la plus haute sensibilité politique", a-t-il souligné, son communiqué rapportant encore que "ce dossier épineux" a d’ailleurs fait l’objet de certaines entrevues informelles que le ministre Bausch a eues avec une série de ses homologues en marge du Conseil.
Les ministres ont par ailleurs marqué leur accord de principe sur une décision visant à autoriser les États membres à devenir parties à la convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille (STCW-F). La STCW-F est une convention de l'Organisation maritime internationale, qui a été adoptée en 1995 et est entrée en vigueur en 2012. Elle constitue la première tentative qui ait été réalisée pour rendre obligatoire, à l'échelle internationale, l'application de normes de sécurité pour les équipages des navires de pêche.
Les ministres ont enfin adopté des conclusions sur les infrastructures de transport et le réseau transeuropéen (RTE-T) dans le cadre de l'examen à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 pour la croissance. Selon les conclusions du Conseil, le message clé à adresser au Conseil européen de décembre est que "l’économie de l’UE dépend d’un réseau complet et efficace d'infrastructures de transport afin de contribuer à la croissance et à l'emploi".