Les ministres des Affaires étrangères de l’UE étaient réunis à Bruxelles, le 19 janvier 2015, à l’occasion d’un Conseil "Affaires étrangères" (CAE) à l’ordre du jour très dense dominé par les conséquences des attentats de Paris et la lutte contre le terrorisme ainsi que l’évolution des relations entre l’UE et la Russie dans le contexte d’une nouvelle dégradation de la situation ukrainienne.
Lors de ce CAE, les ministres ont par ailleurs appelé à une action militaire pour désarmer les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda accusées de violences dans l’est de la République démocratique du Congo et ils ont décidé du lancement prochain d’une mission militaire de conseil stratégique pour la réforme du secteur de la sécurité en République centrafricaine (RCA). Le Conseil a également félicité la Tunisie pour la tenue d’élections législatives et présidentielles et annoncé la décision de L’UE de faire appel contre la décision de la CJUE ordonnant le retrait du Hamas de la liste des organisations terroristes de l’UE. Jean Asselborn, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, y représentait le Luxembourg.
Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont appelé à plus de coopération avec les pays arabes dans la lutte contre le terrorisme, lors du premier Conseil "Affaires étrangères" après les attentats de Paris il y a deux semaines.
"Nous préparons des projets spécifiques à lancer dans les prochaines semaines avec des pays précis pour accroître le niveau de coopération en matière de contreterrorisme", a déclaré le 19 janvier 2015 la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, lors d’une conférence de presse à l’issue d’une réunion à laquelle était convié le Secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi. Les résultats du Conseil seront soumis aux chefs d’Etat et de gouvernement lors du prochain Conseil européen du 12 février 2015.
Federica Mogherini a évoqué une meilleure "coordination" en matière d'échange d'informations et de renseignement, au sein de l'UE mais aussi avec d'autres pays comme la Turquie, l'Égypte, le Yémen, l’Algérie, les pays du Golfe, mais aussi l'Afrique du Nord, l'Afrique et l'Asie. "Pour la première fois il y a une réelle conscience que nous devons travailler ensemble pour lutter contre une menace commune", a-t-elle déclaré dans les conclusions.
Parmi les "actions concrètes immédiates", Federica Mogherini a cité la présence "d'attachés de sécurité dans toutes les délégations de l'UE dans les pays pertinents", afin d'entretenir des "contacts réguliers entre professionnels de la sécurité et du contreterrorisme". Les ministres ont également prévu de s’échanger sur certaines "bonnes pratiques" qui "marchent très bien" dans certains Etats membres et qui pourraient être élargies au niveau européen, une "nouvelle pratique", a souligné Federica Mogherini.
Elle a également plaidé pour une "meilleure communication" avec le monde arabe, en estimant que l’Europe doit améliorer ses capacités de parler et lire l’arabe. Elle a récusé tout "deux poids deux mesures", en soulignant que les "premières victimes du terrorisme sont les musulmans et les pays arabes". Elle a plaidé pour le "dialogue et l'alliance pour éviter toute perception d'un choc" des civilisations. La lutte contre le terrorisme n'est pas seulement "une question militaire ou sécuritaire", a estimé Nabil al-Arabi, affirmant qu'il fallait la livrer "au niveau intellectuel, culturel, médiatique, religieux".
La Haute représentante et plusieurs ministres ont fait appel au Parlement européen de continuer à travailler sur la proposition de directive sur l’utilisation des données des passagers aériens (PNR pour "passenger name record"), un dossier bloqué depuis deux ans par les eurodéputés qui réclament des garanties sur la protection des données personnelles. Suite aux attentats, la pression sur le Parlement européen de mettre fin au blocage de cette proposition s’est considérablement accrue.
"Nous espérons, compte tenu de ce qui s'est passé en France, en Belgique et ailleurs, que le Parlement européen va comprendre qu'il faut débloquer le PNR", a déclaré le ministre français, Laurent Fabius, appuyé en cela par Jean Asselborn. Son homologue belge, Didier Reynders, a lui aussi plaidé pour "plus d'échanges d'informations (...) pour suivre à la trace l'ensemble des combattants étrangers".
Le ministre luxembourgeois, Jean Asselborn, a insisté sur l’importance de redoubler d’efforts afin de contrecarrer l’extrémisme à sa source, expliquant que "le terrorisme n’épargnera pas l’Europe si la situation en Irak et en Syrie perdure", rapporte un communiqué du gouvernement. Plaidant en faveur d’un renforcement de l'engagement de l’UE avec les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sur la sécurité et la lutte antiterroriste, il a exposé plusieurs pistes pour s’attaquer aux racines de la radicalisation, telles que l’éducation, le rôle des femmes, la réforme du secteur de la sécurité et la coopération en matière de renseignement. Il a également reconnu que la nouvelle coopération euro-arabe ne devait toutefois pas se faire "aux dépens de la démocratie".
Interrogé par des journalistes à l’arrivée au Conseil, Jean Asselborn a souligné l’importance de la liberté de la presse. "Il faut le dire clairement à nos partenaires, à nos amis arabes que la liberté de presse signifie qu’on peut exprimer son opinion sur les églises et les religions. Si on accepte des restrictions, cela limiterait la liberté de la pensée libre, mais aussi la liberté religieuse", a-t-il insisté, en jugeant que la Une du journal satirique Charlie Hebdo après les attentats était "apaisante". Quant à la Syrie, il a jugé que le Conseil de sécurité de l’ONU a "failli dans sa tâche" depuis deux ans et qu’il serait le seul à trouver une "décision adéquate" pour trouver une issue en Syrie.
Les relations entre l’UE et la Russie dans le contexte d’une nouvelle dégradation de la situation ukrainienne étaient un autre sujet majeur abordé lors de la réunion du Conseil "Affaires étrangères" (CAE) du 19 janvier 2015.
En vue du Conseil européen de mars 2015, les ministres étaient invités à examiner si la politique actuelle de l'UE, et notamment les sanctions décrétées jusqu’ici à l’encontre de Moscou, pourrait être complétée par une approche plus proactive, étroitement liée à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk dans le contexte de la déstabilisation de l'est de l'Ukraine, lisait-on dans la note d’information diffusée par le secrétariat général du Conseil en amont de la réunion.
Il s’agissait ainsi de discuter de la façon "dont les outils de l'UE et les instruments dont nous disposons, en dehors des sanctions, peuvent être utilisés de façon plus coordonnée et d'une manière plus efficace", avait expliqué la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, à son arrivée au Conseil. Pour autant, le lancement d’un tel débat stratégique, "ne signifie pas un changement de direction dans nos relations avec la Russie. Nous étions unis et nous le restons", a-t-elle poursuivi lors d’une conférence de presse à l’issue de la rencontre, la Haute représentante soulignant qu’ "il y aura un changement si et quand, j'espère, les accords de Minsk seront appliqués".
Les conclusions diffusées à l’issue du Conseil se limitent finalement à annoncer que le CAE se repenchera sur cette question avant le Conseil européen de mars, mais Federica Mogherini a précisé que les ministres ont convenu de la nécessité de renforcer les efforts diplomatiques pour résoudre pacifiquement la crise ukrainienne. Par ailleurs, le dialogue politique avec la Russie concernant les défis globaux sera poursuivi tandis que les options pour relancer les dialogues sectoriels avec la Russie seront examinées au niveau technique dans un nombre limité de domaines, tels que l'énergie. Enfin, l’UE va travailler sur une stratégie de communication en vue de fournir une information "correcte et impartiale", en réponse à la propagande russe, a ajouté la Haute représentante. "En aucune façon il n'y a de retour au ‘business as usual’".
Si les ministres devaient s'appuyer sur le document de travail de la Haute Représentante qui n’a pas été rendu public mais a été consulté par diverses agences de presse, notamment l’Agence Europe ou l’AFP, le ministre polonais des Affaires étrangères, Grzegorz Schetyna, a souligné à l’issue du Conseil que "les conclusions et le débat étaient complètement différents" dudit document. Ce dernier suggérait quelques domaines pour un "réengagement sélectif et graduel" avec Moscou, au premier rang desquels la coopération en matière de politique étrangère, mais aussi les relations commerciales et sur certains domaines sectoriels. Le texte envisageait surtout une "différenciation" entre les sanctions liées à la Crimée, qui "devraient être maintenues aussi longtemps que l'annexion se poursuit", et celles visant "la déstabilisation de l'est de l'Ukraine", qui devrait être révisées à la baisse "dès que la Russie met en œuvre les accords de Minsk".
Malgré l’unité affichée plusieurs ministres des Affaires étrangères de l’UE ont par ailleurs exprimé des positions relativement divergentes. Lors de son arrivée au Conseil, le ministre luxembourgeois, Jean Asselborn, a ainsi indiqué que le but de la discussion devait être d'adresser un "signal à la Russie indiquant qu'on n'est pas là pour déstabiliser [ce pays], ni politiquement ni économiquement", le ministre espérant d’ailleurs "être dans la situation de ne pas devoir prolonger les sanctions en mars", date à laquelle le paquet actuel arrivera à terme.
"J’espère que la Russie va, comme l’a souvent dit le président Poutine, respecter la souveraineté de l’Ukraine, y compris dans le Donbass", a-t-il par ailleurs souligné. Le communiqué diffusé par son Ministère à l’issue du Conseil confirme que, tout en insistant sur la nécessité du respect de la souveraineté ukrainienne ainsi que sur l’importance de favoriser une solution politique au conflit, le ministre Asselborn a rappelé que "le but de nos sanctions n’est pas l’effondrement économique de la Russie, mais la mise en œuvre du protocole de Minsk" qui doit mener à un véritable cessez-le-feu et à la mise en œuvre de solutions politiques.
"Il y a une volonté de poursuivre la politique telle que menée jusqu'à présent" pour maintenir une certaine pression sur la Russie a pour sa part expliqué le ministre belge, Didier Reynders, notant qu’il s’agissait également de "voir comment construire une relation a moyen long terme, si des progrès devaient être enregistrés" dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Ce n'est pas le moment "de renoncer à toute sanction ou d'envoyer des signaux indiquant que nous sommes prêts à le faire", a confirmé le ministre danois, Martin Lidegaard, tout en soulignant qu’il serait bon d’ "explorer toute possibilité de trouver une solution politique à cette crise".
Le ministre lituanien, Linas Linkevicius, s’est en revanche montré sceptique, affirmant qu’il ne pensait pas "que nous devrions maintenant penser à la manière de nous réengager, mais que la Russie devrait penser à comment se réengager avec l’UE dans les domaines d'intérêt commun".
La situation en République démocratique du Congo (RDC) était un autre sujet d’inquiétude du Conseil "Affaires étrangères" du 19 janvier. Se disant vivement préoccupé par la flambée de violences attribuées aux groupes armés et par les violations continues des droits de l'homme à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), le CAE a ainsi réitéré l’engagement de l’UE à promouvoir la stabilisation et le développement de toute la région et, en particulier, à la pleine mise en œuvre de l'accord de paix de sécurité et de coopération pour la RDC et la région, lit-on dans les conclusions du Conseil adoptées sans débat.
Constatant que la date butoir du 2 janvier n’a pas été respectée pour la démobilisation des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), le Conseil souligne dans ses conclusions que "le moment est venu de lancer une action militaire pour désarmer le FDLR", conformément à la résolution 2147 du Conseil de sécurité notamment. L'UE appelle donc les autorités congolaises et la MONUSCO (la Mission de l'ONU pour la stabilisation en RDC) "à s’engager immédiatement" dans cette opération et souligne que "la protection des civils et la neutralisation de tous les groupes armés à l'est de la RDC doivent demeurer une priorité".
Le Conseil note par ailleurs que l’UE regrette vivement la récente flambée de violence dans l'est de la RDC et que "les violations très graves des droits humains, en particulier, les viols des femmes et des jeunes filles, le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats, qu'ils soient le fait de groupes armés ou d'autres acteurs, sont absolument inacceptables et doivent cesser". "Mettre un terme à la menace du FDLR et autres groupes armés est crucial. L'action militaire doit être complétée par l'action politique pour créer les bases d'une stabilité à long terme", souligne encore le Conseil qui note que l'UE apportera son soutien tant politique que financier.
Le Conseil "Affaires étrangères" a par ailleurs validé la mise en place d’une mission militaire de conseil stratégique de l'UE en République centrafricaine (RCA EUMAM), destinée à prendre la suite de l'opération militaire de l'UE qui s’y déroule actuellement (EUFOR RCA) et qui doit prendre fin le 15 mars 2015.
La mission visera ainsi à soutenir les autorités centrafricaines dans la préparation d’une réforme du secteur de la sécurité. Il s’agit en particulier de préparer une réforme systémique des forces armées de la RCA (FACA). Les experts de l’UE offriront par ailleurs une expertise sur les conditions de mise en œuvre d'un programme de formation pour l’armée, tandis que des programmes d'entraînement "limités et à caractère non-opérationnel" pourraient être conduits.
Prévue pour une durée de 12 mois dès qu’elle aura atteint sa pleine capacité opérationnelle, la mission sera dirigée par le général de brigade français Dominique Laugel qui aura sous son commandement une équipe composée de jusqu'à 60 personnes. Le budget pour la phase de préparation et la première année de la mission est estimé à 7,9 millions d’euros, précisent encore les conclusions du Conseil.
"L'Union européenne est pleinement engagée à soutenir le retour de la RCA à la stabilité Cette nouvelle mission jouera un rôle crucial dans le renforcement du secteur de la sécurité en donnant des conseils sur les réformes nécessaires pour faire des FACA une armée plus multi-ethnique, professionnelle et républicaine", a déclaré Federica Mogherini, citée dans les conclusions.
Le Conseil a félicité la Tunisie pour la tenue d’élections législatives et présidentielles, qui se sont déroulées entre octobre et décembre 2014 et qui ont "permis de marquer une étape historique dans la transition démocratique du pays", selon les conclusions. Le Conseil a rendu hommage à l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) pour avoir organisé "plusieurs scrutins libres, transparents et démocratiques dans des délais rapprochés", en estimant que "la transition démocratique tunisienne est une source d'espoir et d'inspiration pour les autres peuples de la région". Elle s’est engagée à coopérer avec le prochain président et gouvernement "afin d'approfondir le Partenariat privilégié entre l'UE et la Tunisie".
Quant à la Libye, Federica Mogherini a salué le 17 janvier 2015 les avancées lors des discussions entre les parties libyennes. "Quelques pas dans la bonne direction ont été accomplis lors du cycle de négociations organisé par les Nations unies à Genève", a-t-elle souligné dans un communiqué, ajoutant que ce progrès initial était "un bon début" et devait être salué. "La gravité de la situation en Libye exige que tous les Libyens placent l'intérêt de leur nation au-dessus de leurs différences et parviennent à un accord qui puisse enfin mettre un terme à la crise politique et sécuritaire profonde dans le pays", a-t-elle souligné. L'armée libyenne a annoncé, le 18 janvier 2015, un cessez-le-feu, deux jours après une annonce similaire de la part de la coalition de milices Aube de la Libye.
Le Conseil a finalement décidé de faire appel de la décision de la Cour de justice de l’UE (CJUE) ordonnant le retrait du Hamas de la liste terroriste de l'UE. La Cour avait annulé le 17 décembre 2014 l'inscription du mouvement palestinien sur la liste noire de l'UE, où il avait été inscrit en décembre 2001, jugeant que cette inscription était fondée "non pas sur des faits examinés et retenus dans des décisions d'autorités nationales compétentes, mais sur des imputations factuelles tirées de la presse et d'Internet", contrairement à la jurisprudence. Les effets de la mise au ban du Hamas, dont le gel de ses avoirs en Europe, sont maintenus provisoirement dans l'attente du jugement de l'appel. Le Hamas a réagi en qualifiant cet acte "d’immoral".