Alors que la Lettonie a succédé à l’Italie, le 1er janvier 2015, à la présidence semestrielle tournante du Conseil de l’Union européenne, la Première ministre lettone, Laimdota Straujuma, était invitée à la première session plénière de 2015 du Parlement européen, le 14 janvier 2015, afin de présenter aux eurodéputés le programme du travail ainsi que les priorités de la Présidence lettone.
Dans un contexte marqué par le débat sur les suites à donner des attentats perpétrés en France quelques jours plus tôt, notamment contre la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, la Première ministre de Lettonie a débuté son discours – dont la version écrite, en anglais, est publiée sur le site de la Présidence – par un message de solidarité au peuple français et a condamné une attaque "contre la liberté d’expression et les valeurs européennes". Des valeurs – les libertés, la sécurité, la justice et la tolérance – qui caractérisent l’Europe et qu’il est "essentiel de défendre", a-t-elle plaidé.
Et d’en profiter pour lancer un appel à ce que tout le monde fasse preuve "d’encore plus de respect" envers les autres cultures. "En période de tension lorsque le terrorisme voudrait imposer l'escalade, des affrontements plus larges entre les religions et nous pousser à la violence, nous devons devenir encore plus humain", a-t-elle estimé. "Nous devons continuer à nous intéresser à d'autres cultures de sorte qu'il ne soit pas possible de brouiller nos esprits par la démagogie ou l'interprétation déformée des faits", a poursuivi la Première ministre lettone qui a précisé qu’un forum dédié à la Journée mondiale de la liberté de la presse se tiendra à Riga du 2 au 4 mai 2015, ce qui permettra d'échanger les points de vue sur les questions d'actualité.
Laimdota Straujuma a par ailleurs appelé à "activer tous les mécanismes à la disposition de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme", soulignant qu’une attention particulière devrait être accordée à la future stratégie européenne de sécurité intérieure ainsi qu’à la nécessité d’un échange efficace d'informations entre les services concernés. Et la Première ministre de se féliciter de la relance de la discussion sur le PNR européen, "un outil qui concerne une quantité limitée de données, mais qui permet de garder une trace des mouvements de certains individus".
Laimdota Straujuma est ensuite revenue plus en détail sur les priorités mises en avant dans le programme de la Présidence lettone. Celles-ci peuvent se résumer en trois objectifs : avancer vers "une Europe compétitive, numérique et forte sur la scène internationale".
La Première ministre lettone a ainsi indiqué que la Présidence assumée par son pays souhaitait renforcer la compétitivité de l'Europe et promouvoir la croissance économique. Il s’agit ainsi de faire progresser les travaux sur le plan d’investissement pour l’Europe, de continuer d'œuvrer en faveur du renforcement du marché unique, de lancer des discussions sur l’Union de l’énergie et d’en jeter les bases, ainsi que de promouvoir la compétitivité industrielle.
Dans ce cadre, alors que l'impact de la crise financière reste sensible, Laimdota Straujuma a souligné que les États membres et les institutions avaient travaillé dur pour rétablir la confiance dans les marchés financiers et que l’Europe revenait progressivement à la croissance. "Les réformes structurelles, la consolidation budgétaire et l'investissement sont les trois piliers de la croissance de l'Union européenne au cours des prochaines années", a-t-elle souligné.
La Présidence lettone se félicite dans ce contexte du plan d'investissement de la Commission européenne pour lequel elle "travaillera activement" en vue d’assurer que le Fonds européen d'investissement stratégique (EFSI) qu’il prévoit soit opérationnel dès juin 2015. "La création d'un environnement d'investissement attractif est de notre responsabilité commune", a-t-elle noté, disant s’attendre à une bonne coopération des institutions dans le processus législatif.
La création de l'Union de l'énergie, devant garantir la sécurité d’approvisionnement de l’UE, sera aussi une question prioritaire pour la Présidence lettone, Laimdota Straujuma soulignant le besoin d’une politique énergétique "qui repose sur la solidarité, la confiance et la sécurité, des infrastructures plus intégrées et une gouvernance plus efficace". Par ailleurs, la Première ministre promet de poursuivre les travaux sur l'amélioration du marché unique, de réviser la stratégie "Europe 2020" et d’encourager les travaux sur la compétitivité industrielle.
La Présidence lettone souhaite par ailleurs renforcer l’UE dans le domaine numérique. Il s’agit ainsi de "profiter pleinement du potentiel numérique de l'Europe et de travailler sur le développement d'un marché unique numérique efficace" afin d’offrir aux consommateurs en ligne "un accès égal aux biens et services au meilleur prix", indépendamment du lieu où ils vivent, a souligné la Première ministre lettone.
La sécurité et la confiance dans l'environnement numérique devraient également être encouragées, selon la Présidence, car cela créera des emplois, favorisera la croissance et permettra de faire de l'Europe l'économie de la connaissance numéro un dans le monde. La Présidence attend dans ce contexte une proposition concrète de la Commission relative à la stratégie du marché unique numérique à partir de laquelle elle lancera les travaux. Il s’agit en outre de faire progresser les travaux sur la réforme de la protection des données dans l’UE – via la création d’un cadre renforcé et plus cohérent, en cherchant à parvenir à un accord sur le règlement général et sur la directive générale sur la protection des données – et sur le paquet relatif au marché des télécommunications (dit "Continent connecté") – en trouvant un équilibre entre des services de haute qualité et un coût raisonnable.
La Présidence veut par ailleurs améliorer la cybersécurité en mettant en œuvre la stratégie de l’UE en matière de cybersécurité et en finalisant les négociations sur la directive concernant la sécurité des réseaux et de l’information (SRI). Il s’agit en outre d’instaurer le numérique par défaut en faisant avancer le processus de numérisation de l’Europe, en discutant des compétences numériques et en promouvant l’administration en ligne.
La troisième priorité mise en avant par la Présidence lettone est la volonté que l’UE joue un rôle global et actif sur la scène mondiale. Les principales tâches auxquelles veut s’atteler la Présidence sont ainsi de faciliter la révision de la politique européenne de voisinage, de faire progresser le partenariat transatlantique (TTIP) et de se concentrer sur les objectifs de développement pour l'après-2015.
Laimdota Straujuma a ainsi expliqué que les voisins de l'Europe seront la priorité de la Présidence lettone. " Il est naturel que notre principal objectif soit essentiellement à l'Est, mais nous allons travailler sérieusement sur les questions qui sont importantes pour nos voisins du Sud", a-t-elle dit, notant que les défis posés par les migrations étaient à l’agenda.
Elle a par ailleurs souligné que "l'agression de la Russie contre l'Ukraine est une menace pour les fondations européennes de paix et de justice. Il est hors de question que l'Union européenne reconnaisse le droit du plus fort qui viole l'intégrité territoriale des pays" Et d’ajouter que la force de l'Union européenne réside dans la cohérence de son action et dans son unité que "la Présidence lettone s’emploiera activement à préserver".
Le sommet du Partenariat oriental qui se tiendra en mai 2015 à Riga sera l'occasion d'évaluer les progrès accomplis depuis le Sommet du Partenariat oriental à Vilnius, a encore noté Laimdota Straujuma. "Il devrait être un signal clair que l'UE soutient les pays du partenariat oriental".
La Présidence souhaite par ailleurs s’engager à faire avancer les négociations commerciales de l’UE, notamment avec les Etats-Unis (TTIP) et le Japon et elle souhaite renforcer les relations avec la Région de l'Asie centrale, où la présence et l'implication de l'Union européenne n’atteint pas son plein potentiel, a dit la Première ministre qui promet de travailler pour réviser la stratégie Asie centrale de l'Union européenne. Enfin, dans le cadre de l’Année européenne du développement (AED), la Présidence se concentrera sur la contribution de l’UE au Sommet spécial des Nations Unies sur le développement durable à New York en septembre 2015.
"La présidence lettone est un petit miracle. Elle illustre merveilleusement la réconciliation de l’histoire et de la géographie européennes. Il y a trente ans, personne n’aurait pu l’imaginer", a déclaré Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, devant la plénière. La Commission soutient d’ailleurs les objectifs de la Présidence lettone qui sont identiques à ceux du programme de travail adopté par la Commission : créer de l’emploi et la croissance, relancer les investissements, renforcer l’économie et l’union monétaire ainsi que terminer le marché unique du numérique. Le président a par ailleurs annoncé que des propositions de la Commission en matière d’Union de l’énergie et de numérique seraient présentées au premier semestre 2015.
Du côté des députés, Manfred Weber, député démocrate-chrétien (PPE) allemand, a souligné que la Lettonie avait subi une crise économique terrible en 2009 mais qu’elle profitait désormais du retour de la croissance économique et d’une chute du taux de chômage. "La Lettonie est une lueur d’espoir en Europe", a-t-il dit, promettant à la Première ministre lettone le soutien de son groupe sur le dossier PNR et les mesures soutenant la croissance et la création d’emplois.
Gianni Pittella, député démocrate socialiste (S&D) italien, a pour sa part estimé que l’UE faisait face à un moment crucial dans lequel elle devra prendre des décisions qui traduiront une victoire de l’espoir ou bien de la peur. Rappelant que l’UE était une terre des droits de l’Homme et des valeurs fondamentales, il a appelé à "répondre aux exigences de sécurité des citoyens en respectant nos valeurs". Il s’agirait ainsi de ne pas céder aux peurs, notamment sur Schengen, "qu’il ne faut pas toucher mais qui doit être correctement appliqué". Sur le PNR, le député note n’avoir aucun apriori idéologique mais qu’il ne s’agit pas de céder aux peurs.
Député conservateur et réformiste (ECR) letton, Roberts Zīle, a centré son discours sur le TTIP et sur l’Ukraine. Concernant le TTIP, il a estimé que cet accord était l’instrument le plus important pour apporter la prospérité et une croissance durable des deux côtés de l’Atlantique. Le député a par ailleurs jugé qu’ "une Ukraine stable, libre et démocratique serait un modèle important pour les autres pays du partenariat oriental, qui montrerait que les valeurs européennes sont réelles. Grâce à cela, nous pourrions renforcer notre coopération avec d’autres pays".
Sophia in’t Veld, députée démocrate libérale (ALDE) néerlandaise, a de son côté salué les priorités de la Présidence, s’interrogeant sur leur sérieux en raison du blocage de nombreux textes au Conseil. "Nous voulons des actes, pas seulement des paroles", a-t-elle dit, soulignant que le Conseil devrait rejeter les textes lors ce qu’il n’est pas capable de s’accorder, plutôt que de les bloquer indéfiniment. Sur le PNR, elle a souligné que les données étaient déjà accessibles aux services répressifs, mais sans cadre ni garde-fous. Et d’en appeler à une proposition révisée au lieu de "demander au Parlement de voter encore et encore sur les mêmes textes en espérant aboutir au résultat voulu". L’adoption, sous pression, de la directive relative à la rétention des données, finalement invalidée par la Cour de Justice de l’UE, serait un exemple à ne pas répéter.
Dimitrios Papadimoulis, député grec membre de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte (GUE/NGL), s’est interrogé sur le plan d’investissement de la Commission. S’il le salue sur le principe, il se questionne sur la volonté du Conseil, et donc des Etats membres, à y injecter de l’argent frais. Sur la crise avec la Russie, il a estimé que "l’Union européenne a besoin de trouver des solutions à travers la diplomatie et la démocratie. C’est dans notre intérêt de réduire les tensions, de construire des relations amicales sur les principes de la démocratie".
Pour sa part, Philippe Lamberts, député belge membre du groupe des Verts/ALE, a dénoncé un langage entendu à de maintes reprises sur la croissance créatrice d’emploi et a invité la Première ministre à revoir son programme. "Avons-nous été élus ici pour satisfaire les marchés ?", a-t-il demandé avant d’ajouter que l’Union européenne ferait mieux de renforcer la confiance des citoyens avec la prospérité qui a été promise. "L’UE est un projet de prospérité partagée pas juste limitée à quelques-uns", a-t-il dit, notant qu’il s’agit de "remettre l’économie au service du bien commun".
Enfin, Rolandas Paksas, député lituanien membre du groupe Europe des libertés et de la démocratie directe (EFDD), a averti que les grands pays ont une forte influence sur les programmes des présidences des petits pays, soulignant que le programme letton était "très bureaucratique". "Nous avons besoin d’une stratégie de sécurité européenne, d’emplois et de croissance, mais avant tout d’un marché de l’énergie commun", a-t-il ajouté.
"La question des relations avec l’Asie centrale fait partie des priorités de la présidence lettone. Les pays d’Asie centrale ont besoin de notre soutien pour gérer la pression croissante de la Russie", a de son côté indiqué Iveta Grigule, députée lettone non inscrite qui a failli anéantir l’existence du groupe politique EFDD de Nigel Farage.