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Commerce extérieur
TTIP – Quatorze Etats membres plaident pour l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS) dans l’accord de libre-échange actuellement négocié entre l’UE et les USA
21-10-2014


ttip (source: Commission européenne)Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou TTIP en anglais) en cours de négociation entre l’UE et les USA, et plus particulièrement les dispositions prévues quant à l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS en anglais), semble diviser les Etats membres.

Si face à une contestation croissante issue notamment de la société civile et remontée jusqu’au sein du Parlement européen – notamment au sein du groupe des S&D, des Verts/ALE et de la GUE/NGL – , plusieurs Etats membres ont fait part de leur scepticisme, voire de leur opposition à un tel mécanisme dans le TTIP, 14 ministres européens en charge du Commerce extérieur ont pour leur part souligné leur volonté de maintenir le chapitre sur la protection des investissements dans le TTIP, dans un courrier daté du 21 octobre 2014 et adressé à la commissaire désignée au Commerce, Cecilia Malmström.

Le contexte

Pour mémoire, les mécanismes ISDS visent à protéger les investisseurs étrangers d'un traitement inéquitable de la part d'un pays hôte via la possibilité de recours à des tribunaux d’arbitrages ad hoc pour régler les litiges potentiels. Ce système fait polémique car nombreux sont les syndicats et les ONG qui redoutent qu’ils permettent à une multinationale qui s'estimerait lésée par une politique publique d'attaquer un Etat – comme cela est le cas en Allemagne avec Vatenfall dans le contexte du changement de paradigme énergétique –, ce pourrait avoir un effet dissuasif sur les Etats souhaitant réglementer en matière sociale, environnementale et sanitaire. Le même mécanisme est d’ailleurs inclus dans l’accord de libre-échange négocié entre l’UE et le Canada (dit CETA) où il suscite des interrogations similaires.

Confrontés à une inquiétude grandissante sur ce sujet, plusieurs Etats membres ont exprimé leurs craintes quant à un tel système. Ainsi, l’Allemagne avait estimé en juillet 2014 par la voix d’un porte-parole du gouvernement ne pas voir de nécessité pour de telles dispositions puisque les USA offrent une protection juridique suffisante aux investisseurs européens devant leurs tribunaux nationaux et vice-versa. Au Luxembourg, le gouvernement avait pour sa part assuré, dans une réponse parlementaire datée du 24 juin 2014, que "le Luxembourg est d'avis qu'un tel système n'est pas nécessaire avec un pays membre de l'OCDE", soulignant néanmoins que "la Commission européenne rest[ait] convaincue de l'importance" d’un mécanisme de ce genre qui soit "ambitieux" et réformé "sur base d'une analyse des faiblesses du système existant".

Les inquiétudes sur l’inclusion d’un mécanisme ISDS dans le TTIP avaient d’ailleurs poussé la Commission européenne, dès mars 2014, à suspendre, dans les négociations au plan technique, le chapitre sur la protection des investissements et le mécanisme ISDS, le temps de mener une large consultation publique sur le sujet avec l’objectif "d’assurer un juste équilibre entre la protection des investisseurs et la préservation du droit de l'UE et de ses États membres de réglementer", expliquait-elle. Actuellement, la Commission analyse les réponses reçues lors de cette consultation et ses résultats devraient être présentés d’ici la fin de l’année 2014.

Quatorze Etats membres plaident pour l’inclusion de l’ISDS dans le TTIP

Co-signée par les ministres du Commerce de Chypre, de Croatie, du Danemark, d'Espagne, d'Estonie, de Finlande, d'Irlande, de Lettonie, de Lituanie, de Malte, du Portugal, de République tchèque, du Royaume-Uni et de Suède, la lettre, qui a été adressée aussi au président élu de la Commission, Jean-Claude Juncker, ainsi qu’à son président sortant, José Manuel Barroso, et au commissaire sortant au Commerce, Karel De Gucht, plaide ainsi en faveur d’un mécanisme ISDS dans le TTIP.

Si les Etats membres signataires reconnaissent l’existence "d’interrogations légitimes sur les négociations", nombre d’entre elles "reposent sur des idées fausses", affirment les ministres qui citent en exemple la crainte que le TTIP puisse "miner les services publics, miner le droit des gouvernements à légiférer ou encore miner les normes européennes en matière de santé, d’alimentation ou de sécurité". "La réponse à ces critiques ne peut être de se délester des questions difficiles […] car cela mènera au mieux à un accord avec un dénominateur commun moins important, voire à pas d’accord du tout", écrivent ainsi les ministres dans ce courrier qui n’a pas été rendu public mais qui a été publié par la rédaction bruxelloise du Financial Times.

Et de poursuivre : "L'une des questions qui suscite la critique sur le TTIP est la protection des investissements. La Commission analyse actuellement les résultats d'une consultation publique et nous attendons avec impatience sa réponse". Selon les 14 ministres, "la consultation était une étape importante pour nous assurer que nous trouvions le juste équilibre afin de garantir que les gouvernements conservent l'entière liberté de réglementer, mais pas d'une manière qui discrimine injustement les entreprises étrangères".

Pour les signataires, "il est important que le résultat de cette consultation suive son cours et nous nous soucions de tenir pleinement compte des vues exprimées par les parties prenantes avant de décider de la voie à suivre", peut-on ainsi lire, les ministres précisant enfin que "le mandat du Conseil est clair quant à l'inclusion d'un mécanisme de protection des investisseurs dans les négociations TTIP. Nous devons travailler sur le meilleur moyen d'y parvenir". Pour précision le Conseil de l’UE avait fini par déclassifier le mandat relatif au TTIP plus d’un an après le lancement officiel des négociations, le 9 octobre 2014, ce qu’il n’avait pas fait jusque-là faute d’unanimité parmi les Etats membres.

Jean-Claude Juncker n’acceptera pas que "la compétence des tribunaux des Etats membres de l'UE soit limitée par des régimes spéciaux"

Le contenu de ce courrier tranche avec les déclarations du président élu de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lors de son discours d’investiture prononcé devant le Parlement européen le 15 juillet 2014, puis réitérées devant les eurodéputés le 22 octobre 2014 lors de la confirmation de son équipe. Il avait alors assuré que "[s]a Commission n'acceptera pas que la compétence des tribunaux des États membres de l'UE soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs et États" et que "l’Etat de droit et le principe d'égalité devant la loi doivent s'appliquer aussi dans ce contexte".

Le nouveau président de la Commission avait par ailleurs affirmé que "le mandat de négociation prévoit un certain nombre de conditions qui doivent être respectées par ce type de régimes ainsi qu'une évaluation de la relation avec les tribunaux nationaux". Selon Jean-Claude Juncker, "il n'y a donc aucune obligation à cet égard: le mandat laisse la question ouverte et nous sert de guide", le président assurant encore que "l’accord que [s]a Commission soumettra en dernière instance à l'approbation du Parlement ne comportera aucun élément de nature à limiter l'accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d'avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États".

Devant le Parlement européen le 22 octobre, Jean-Claude Juncker a également précisé qu’il a chargé son futur premier vice-président, Frans Timmermans, titulaire du portefeuille de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux, de "[l]e conseiller sur le sujet". "Il n'y aura aucune clause ISDS dans le TTIP si Frans [Timmermans] ne le soutient pas aussi", a-t-il dit.

Lors de son audition devant la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, la future commissaire en charge du Commerce, Cecilia Malmström, s’était montrée moins claire à ce sujet. Reconnaissant qu’il y avait "des problèmes avec l'ISDS, car il y a eu des abus dans l'utilisation de ce système" jugé "pas très clair quant au droit de réglementer dans l'intérêt public" et trop sujet à interprétation, la future commissaire avait estimé qu’il fallait "modifier les choses pour limiter la possibilité d'abus [et] veiller à ce que l'ISDS n'empêche pas de réguler dans les domaines de politiques publiques". Mais dans le même temps elle s’était dite convaincue de la possibilité "de mettre sur pied un système qui évite les abus et assure une transparence complète. C'est ce que nous avons fait avec l'accord commercial avec le Canada", peut-on lire dans la version écrite de son discours.

Suite au discours du président Juncker au Parlement le 22 octobre, la future commissaire avait par ailleurs affirmé sur son compte Twitter qu’il n’y avait "pas de différences au sujet de l’ISDS au sein de la Commission" européenne. Et d’assurer "se réjouir d’aborder la question avec le président Juncker et le vice-président Timmermans, si [l’ISDS] devait être inclus" dans l’accord.