L'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International a reproché à l’UE d’accueillir trop peu de réfugiés syriens, dans son rapport annuel sur la situation des droits humains dans 160 pays publié le 25 février 2015. Sur les quatre millions de réfugiés syriens, seulement 150 000 vivent dans l’UE, pointe Amnesty, qui dénonce le fait que les Etats membres "ne se sont engagés à accueillir que 36 300 réfugiés syriens sur les quelque 380 000 considérés comme nécessitant une réinstallation" par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Le rapport nomme l'Espagne, la France, l'Italie, la Pologne et le Royaume-Uni qui, n'auraient offert qu’environ 2 000 places, "soit 0,001 % de leur population cumulée", alors que 95 % se trouvaient dans les pays voisins de la Syrie, dont au moins 1,1 million au Liban et 1,6 million en Turquie.
L’organisation évoque un nombre de morts par noyade "sans précédent", qu’elle explique par "l’absence de voies sûres et légales" permettant aux réfugiés et aux migrants de rejoindre l'Europe ainsi que par "la détermination de l'UE à fermer ses frontières terrestres". Pour rappel, le HCR avait estimé en décembre 2014 que 3 419 personnes auraient perdu leur vie en traversant la Méditerranée en 2014.
Dans son rapport, Amnesty International dénonce par ailleurs la fin de l’opération de sauvetage italienne Mare Nostrum. Pour rappel, l’Italie avait annoncé en octobre 2014 la fin de l’opération, créée un an auparavant suite au naufrage de Lampedusa avec 366 morts, en raison des coûts élevés d’environ 9 millions par mois. L’opération Triton, gérée par l’agence européenne des frontières Frontex, était censée de prendre le relais, sans pour autant remplacer Mare Nostrum, vu les moyens mis à sa disposition et son champ d’intervention, tous les deux plus restreints.
Amnesty International juge pour sa part que la fin de cette opération "impressionante" qui avait permis de sauver plus de 100 000 personnes est intervenue suite aux "fortes pressions exercées par les autres États membres de l'UE". Elle critique le fait que la "solution de remplacement collective" proposée par l’UE est "nettement plus restreinte, en termes de capacités, de champ d'intervention et de mission".
"Les Italiens ont pris une excellente initiative avec l'opération Mare Nostrum (...) mais le reste de l'Europe n'a pas pris ses responsabilités", a accusé Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty, lors d'une conférence de presse à Londres, qualifiant l'action collective de l'Union européenne de "scandaleuse". "La Syrie a des millions de réfugiés et l'Europe en a seulement accepté quelques milliers. Pire, ils poussent les gens à s'embarquer" pour traverser la Méditerranée, a-t-il fustigé.
"Il est insupportable de constater que les efforts déployés par les pays riches pour maintenir ces personnes hors de leurs frontières prennent le pas sur ceux visant à les maintenir en vie", a déclaré Salil Shetty dans un communiqué. Amnesty y dénonce une réponse "scandaleuse et inopérante" de la communauté internationale aux violations commises par des États et des groupes armés. L’organisation constate que des groupes armés ont commis des atrocités dans au moins 35 pays en 2014, soit plus de 20 % de ceux sur lesquels Amnesty International a travaillé.
Le rapport critique également des expulsions de réfugiés qui se feraient "en toute illégalité" en Bulgarie, en Espagne et en Grèce vers le Maroc et la Turquie. "Les renvois sommaires s'accompagnaient de plus en plus souvent de pratiques visant à retenir les migrants et demandeurs d'asile dans leur pays d'origine ou de transit, l'UE s'employant à renforcer sa gestion des contrôles aux frontières avec ces pays", note le texte. Amnesty met en garde contre des centres de détention pour migrants trop pleins et contre le fait que "des familles entières et des enfants isolés y étaient maintenus en détention pendant des périodes souvent longues et dans des conditions parfois déplorables".
En Grèce, Amnesty évoque des allégations de recours excessif à la force et de mauvais traitements par la police ainsi que des conditions de détention "très mauvaises". Le rapport dénonce le fait que la durée maximale de rétention de migrants en situation irrégulière a été portée à plus de 18 mois. Amnesty met d’ailleurs en garde contre un "niveau de violence raciste devenait de plus en plus inquiétant" et dénonce des refoulements de migrants "en toute illégalité" au-delà de la frontière avec la Turquie.
En Bulgarie, Amnesty indique que les conditions d'accueil des demandeurs d'asile arrivant se sont "en partie améliorées grâce, dans une large mesure, à une assistance de l'UE et à l'aide bilatérale". Le rapport note en revanche que la question de l'accès au territoire bulgare et de l'intégration des réfugiés reste "préoccupante". Il dénonce des renvois illégaux vers la Turquie de personnes qui "n'ont même pas eu l'occasion de déposer une demande d'asile". Dans ce contexte, il faut rappeler que le HCR avait appelé en janvier 2014 les États membres de l’UE à une suspension temporaire (jusqu’en avril) des renvois vers la Bulgarie, évoquant "un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en raison des lacunes systémiques dans les conditions d'accueil et les procédures d'asile".
A Chypre, Amnesty dénonce des détentions de demandeurs d’asile pendant des périodes "trop longues", dont des réfugiés syriens. Le rapport critique des conditions de détention qui "ressemblaient fort à celles d'un établissement pénitentiaire classique". Il fait état d’une nourriture médiocre et d’une fermeture à clé des cellules pendant la nuit. Selon Amnesty, des femmes ont été séparées de force de leurs jeunes enfants dans au moins deux cas.
En Espagne, Amnesty fait état d’un traitement illégal de réfugiés et des demandeurs d'asile dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, notamment des expulsions vers le Maroc, lors desquels les agents des forces de l'ordre ont recouru de "manière injustifiée ou excessive à la force". L’organisation critique le fait que le gouvernement a annoncé en décembre 2013 la réinstallation de 130 réfugiés syriens, mais qu’aucun n’aurait été en fin de compte réinstallé jusqu’à la fin de 2014.
Amnesty salue les "efforts unilatéraux" des autorités italiennes avec l’opération Mare Nostrum, qui aurait permis de sauver 156 362 personnes. Le rapport critique le fait que l’Italie n’est pas parvenue à garantir des "conditions d'accueil acceptables". Il évoque des cas de recours excessifs à la force lors des procédures d'identification depuis l’autorisation donnée par le ministère de l’Intérieur aux policiers de recourir à la force pour recueillir les empreintes digitales des réfugiés.
Malte est critiquée pour placer "systématiquement" les migrants sans papiers en détention pour une durée allant souvent jusqu’à 18 mois, et les demandeurs d'asile jusqu'à 12 mois, dont des mineurs et des personnes vulnérables.
Plusieurs Etats membres ont par ailleurs été critiqués pour une mise en détention de demandeurs d’asile, dont la Finlande, la Hongrie, la Lettonie et les Pays-Bas.
En Pologne, une loi de mai 2014 a porté la durée possible de détention d'un demandeur d'asile à 24 mois, alors que près d'un quart des personnes détenues dans les centres pour migrants étaient des mineurs, indique le rapport.
Le rapport évoque également la situation de minorités en Europe, comme les Roms qui "font toujours l'objet d'une ségrégation généralisée dans l'éducation en Europe centrale et de l'Est, en particulier en République tchèque et en Slovaquie". Il fait état d’une "évolution positive", à savoir une procédure d'infraction engagée par la Commission européenne contre la République tchèque pour non-respect de la directive sur l'égalité de traitement sans distinction de race ou d'origine ethnique, en raison de la discrimination à l'égard des Roms dans l'éducation. Dans ce contexte, la France est critiquée pour ses expulsions forcées de Roms de campements précaires. En Roumanie, les Roms sont toujours
victimes de discriminations, d'expulsions forcées et d'autres violations de leurs droits fondamentaux, note le rapport. En Hongrie, les Roms font l'objet d'un "profilage ethnique" et sont inquiétés de façon disproportionnée par la police pour des infractions administratives mineures, insiste le rapport.