Le Parlement européen appelle la Commission à achever aussi vite que possible ses enquêtes sur les rescrits fiscaux et à renforcer les moyens de l’équipe chargée des aides d’Etat, dans un rapport adopté le 10 mars 2015.
Le rapport annuel sur la politique de concurrence rédigé par le Danois Morten Messerschmidt (ECR) a été approuvé par une large majorité (526 voix pour, 108 contre et 59 abstentions) et consacre une partie aux aides d’Etat fiscales : les révélations de Luxleaks du 6 novembre 2014 qui pointaient le Luxembourg comme un moteur d’évasion fiscale mettent "en exergue la nécessité d'analyser en profondeur et en toute indépendance les pratiques des États membres en matière de rescrit fiscal" et leur conformité avec la législation européenne, note le rapport. Les eurodéputés y demandent à la Commission "d'achever ses enquêtes en cours sur les rescrits fiscaux aussi vite que possible en utilisant tous les éléments de preuve disponibles" et d’accorder un "traitement prioritaire pour les enquêtes portant sur des allègements fiscaux qui pourraient constituer une forme d'aides d'État non autorisées".
Pour rappel, la Commission a ouvert en juin 2014 des enquêtes approfondies contre trois Etats membres sur leurs pratiques fiscales envers certaines grandes multinationales. Une enquête étendue en décembre 2014 à l’ensemble des Etats membres. Le Luxembourg est concerné pour des accords fiscaux anticipatifs conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon.
Le rapport appelle le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, à "garantir l'indépendance des enquêtes actuelles" et demande d’être informé de l'avancement de ces enquêtes "pour garantir leur transparence et leur indépendance". Il demande à la Commission de présenter "le plus rapidement possible un rapport présentant ses conclusions" sur les enquêtes.
Le Parlement européen souligne l’importance de l'indépendance de la Direction Générale (DG) Concurrence et appelle à un renforcement de l'unité chargée des aides d'État fiscales, en "réaffect[ant] des ressources depuis des lignes budgétaires obsolètes ou sous-utilisées en faveur de la DG Concurrence". Il souligne que la Commission "doit bénéficier d'effectifs suffisants pour élargir et approfondir sensiblement ses enquêtes (…) afin de pouvoir adopter une approche suffisamment proactive en matière de concurrence". Il estime de plus que la Commission devrait "disposer de moyens juridiques suffisants pour continuer de recenser les lacunes que nous avons pu découvrir grâce à la révélation des arrangements fiscaux ciblés pratiqués par divers États membres".
Dans le rapport, le Parlement européen "s'inquiète" des pratiques fiscales "potentiellement illégales" des entreprises dans les États membres et souligne l’importance "d'effectuer une analyse approfondie des dispositions fiscales propres à chaque État membre afin de pouvoir présenter des mesures d'harmonisation fiscale bénéfiques aux PME et à leur croissance". Il constate que "l'évasion fiscale pratiquée par certaines entreprises fausse la concurrence sur le marché unique".
Quant aux aides d’Etat au secteur bancaire, les eurodéputés demandent "pour la quatrième fois consécutive" qu’il y soit mis fin et de limiter le montant d'aide pour les banques. Ils tiennent à souligner que "les aides d'État en faveur du système bancaire n'ont ni augmenté le volume de crédit ni rétabli la confiance".
Le rapporteur Morten Messerschmidt a souligné que l’UE a besoin d’une politique fiscale "saine", lors d’un débat en plénière le 9 mars 2015 en amont du vote. Il a dit espérer que le rapport servirait de base pour une "harmonisation politique", sans pour autant plaider pour une harmonisation complète des politiques fiscales. "Si on ne s’accorde pas sur des règles claires, il y aura le chaos", a-t-il dit selon un communiqué de son groupe. Il a appelé à ne pas instrumentaliser Luxleaks pour procéder à une harmonisation des politiques fiscales au niveau européen et s’est réjoui du fait que cet appel à une harmonisation ne figure plus dans le rapport final. Le problème des rescrits fiscaux doit être traité selon lui dans le cadre de la politique de concurrence et des aides fiscales.
Quant à l’enquête visant le moteur de recherche américain Google, les eurodéputés déplorent que la Commission n'ait "pas obtenu de résultats tangibles" après "quatre ans d'enquête et trois ensembles de propositions d'engagements". Pour rappel, la Commission européenne a ouvert en novembre 2010 une enquête visant Google pour abus de position dominante. Le groupe se voit reprocher de mettre en avant sur ses pages ses propres services spécialisés, au détriment des moteurs de recherche concurrents. La Commission a déjà retoqué par trois fois les propositions de solutions avancées par Google, la dernière fois en septembre 2014. Le Parlement européen insiste sur la "nécessité que la Commission règle rapidement le dossier contre Google afin de rester crédible dans sa stratégie de programme numérique" et lui demande d’agir "de façon résolue" en s'appuyant sur le principe de non-discrimination contre les entraves à la concurrence.
Morten Messerschmidt a souligné lors du débat que ce rapport "n’est pas une mise au pilori de Google". "Ce qui nous préoccupe, c’est que les négociations traînent depuis quatre ans et que la Commission prend initiative après initiative sans résultats", a-t-il dit. Il ne s’agit pas d’accuser Google, mais ce qui se passe est selon lui "inacceptable". Il a demandé à la Commission de s’imposer des délais pour avancer dans le dossier. Pour rappel, le 27 novembre 2014 le Parlement européen avait adopté à une large majorité une résolution non contraignante appelant à un dégroupage entre les activités de recherche et les autres services commerciaux des moteurs de recherche sur Internet, sans pour autant mentionner Google.
Le rapport évoque à plusieurs reprises le dumping social comme "pratique préoccupante", notamment dans les services de transport. "Nous prenons ce problème très au sérieux", a déclaré Morten Messerschmidt pour qui le dumping social doit dorénavant jouer un rôle dans chaque domaine politique. Le problème ne sera plus traité comme "une mention par hasard" par les commissions parlementaires, mais dans le cadre d’une "approche horizontale".