Face aux drames de l’immigration, la Commission européenne a présenté le 13 mai 2015 un agenda européen en matière de migration. Le programme qui est détaillé dans une communication prévoit entre autres un programme de réinstallation pour offrir 20 000 places ainsi qu’un mécanisme temporaire de répartition dans l'UE des personnes qui ont besoin d'une protection internationale. Un autre point est le triplement des ressources des opérations de surveillance maritime en Méditerranée (Triton et Poseidon), point sur lequel les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient accordés le 23 avril 2015 lors d’un Conseil européen extraordinaire, convoqué suite à plusieurs naufrages dramatiques de migrants en Méditerranée. En amont, les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur s’étaient accordés le 20 avril 2015 sur un plan en dix points pour lutter contre les trafiquants en Méditerranée.
La Commission a présenté le 13 mai 2015 plusieurs actions concrètes, indique un communiqué :
Le programme prévoit le triplement des capacités et des ressources disponibles en 2015 et 2016, pour les opérations conjointes Triton et Poséidon gérées par l’Agence des frontières Frontex, comme cela avait été annoncé lors du Conseil européen extraordinaire du 23 avril 2015. Selon la Commission, un budget rectificatif pour 2015 a été adopté ce jour pour garantir les fonds nécessaires – un total de 89 millions d'euros (ce qui équivaut au budget initialement prévu pour Frontex), dont des financements d'urgence par les Fonds FAMI et FSI de respectivement 57 millions et 5 millions d'euros destinés aux États membres situés en première ligne. Le nouveau plan opérationnel Triton sera présenté d'ici la fin du mois de mai.
La Commission propose d'activer pour la première fois le mécanisme d'urgence prévu à l'article 78, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), pour aider les États membres qui "se trouvent dans une situation d'urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers". D'ici la fin du mois de mai, la Commission proposera un mécanisme temporaire de répartition dans l'UE des personnes qui ont manifestement besoin d'une protection internationale. Une proposition relative à un régime européen permanent de relocalisation dans les situations urgentes d'afflux massifs sera présentée ultérieurement, d'ici la fin de l'année 2015.
A noter que le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni n’y participent pas en raison de clauses d’exemption, mais peuvent décider de le faire selon l’article 78.3 du TFUE. La répartition proposée par la Commission se trouve dans une annexe – selon ce calcul, le Luxembourg devrait accueillir 0,85 % des personnes concernées. L’Allemagne devra accueillir le plus de personnes (18,4 %), suivie de la France (14 %) et de l’Italie (11,8 %). Le calcul prend en compte la PIB de l’Etat membre (40 %), sa population (40 %), le nombre moyen de demandes d’asile et le nombre de réfugiés réinstallés par un million d’habitants entre 2010 – 2014 (10 %) ainsi que le taux de chômage (10 %).
Tandis que la relocalisation signifie un transfert de personnes ayant obtenu un statut protecteur entre Etats membres en vertu de la directive 2011/95/EU, la réinstallation désigne l’accueil (volontaire) par un Etat membre de réfugiés provenant de pays tiers et ayant un besoin manifeste de protection internationale sur proposition de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Dans un glossaire publié par la Commission, on peut constater que ce sont la Finlande et la Suède qui ont offert le plus de places de réinstallation entre 2008 et 2014.
La Commission propose, d'ici la fin du mois de mai, un programme de réinstallation à l'échelle de l'Union pour offrir 20 000 places, réparties dans tous les États membres, à des personnes déplacées qui ont manifestement besoin d'une protection internationale en Europe, avec un financement spécifique supplémentaire de 50 millions d'euros pour 2015 et 2016. Selon le tableau présenté dans l’annexe, le Luxembourg devra accueillir 147 personnes (0,74 %). L’Allemagne se voit attribuer le plus grand nombre de personnes (3086, soit 15,4 %), suivie de la France (2 375, 11,8 %), du Royaume-Uni (2 309, 11,5 %) et de l’Italie (1 989, 9,9 %).
La Commission a annoncé le lancement, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), d'une opération dans la Méditerranée pour démanteler les réseaux de passeurs et lutter contre le trafic de migrants, dans le respect du droit international. Pour avoir le soutien de l’ONU, Federica Mogherini avait plaidé le 11 mai 2015 devant le Conseil de sécurité pour une résolution commune, tout en appelant à un "effort commun et global". Lors de la conférence de presse, Federica Mogherini, la Haute Représentante de l'Union pour les Affaires étrangères, a rappelé ce qu’elle avait dit à l’ONU: "nous ne planifions pas une intervention militaire en Libye. Cela n’est pas une option à considérer pour nous. Nous souhaitons bien plus agir en coopération avec les autorités libyennes pertinentes pour mener une opération navale dont l’ampleur sera présentée après la prise de décision par les ministres" lors du Conseil des Affaires étrangères le 18 mai 2015.
La crise des migrants en Méditerranée a "révélé que notre politique migratoire collective dans l'UE n'est pas à la hauteur", indique la Commission dans son communiqué. C’est pourquoi l'agenda européen en matière de migration est fondé sur quatre piliers, afin de mieux gérer les migrations dans tous leurs aspects :
La Commission a par ailleurs publié des fiches sur les financements dans les domaines de la migration et la gestion des frontières dans les Etats membres. Il en ressort que le Luxembourg a profité entre 2014-2020 de 12,56 millions d’euros à titre du Fonds pour la sécurité intérieure (7,16 millions) et du Fonds «Asile, migration et intégration (5,4 millions). Un projet (75 000 euros) était consacré à la mise en application d’un lecteur d’empreintes digitales portable connecté au Système d’information Schengen.
L’Europe fait face à une situation exceptionnelle et dramatique "sans précédent" qui nécessite des actions "exceptionnelles et sans précédent", a déclaré Federica Mogherini lors de la conférence de presse qui s’est félicitée du fait que "la réponse est finalement européenne et intégrale", c’est-à-dire qu’elle traite tous les aspects de la migration. "L’UE est prête de prendre sa responsabilité et de prendre au sérieux le sentiment d’urgence", a-t-elle ajouté. Elle a appelé les Etats membres à être "cohérents", vu qu’il s’agit d’un "prolongement naturel" de l’appel lancé le 23 avril 2015 par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du Conseil européen extraordinaire.
Le collège des commissaires a décidé de renforcer l’opération EUCAP au Niger où la présence européenne "sera beaucoup plus forte", a annoncé Federica Mogherini, qui a ajouté que 90 % des migrants venant de l’Afrique de l’Ouest passent par le Niger. Le renforcement de cette mission constitue "un élément déterminant de notre action". Selon la communication, un centre polyvalent sera installé au Niger, en coopération avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'UNHCR et les autorités nigérianes afin d'offrir de l'information, de la protection et des possibilités de réinstallation et afin d'avoir une "image réaliste" des chances de réussite en ce qui concerne les voyages des migrants.
Le commissaire en charge de la migration Dimitris Avramopoulos a pour sa part déclaré qu’il s’agissait bien d’une "responsabilité partagée" et donc qu’il ne pouvait "qu’espérer que les Etats Membres joueront pleinement leur rôle afin que cet agenda devienne une réalité concrète".
Interrogé par un journaliste sur la réticence de certains pays à appliquer le système des quotas obligatoires, le vice-président de la Commission, Frans Timmermans a indiqué que "tous les pays doivent comprendre que chacun doit partager ces responsabilités", tout en soulignant que "nous développons aujourd’hui la politique de demain en établissant des règles bien claires en matière de migration et cela doit être compris par tous les Etats membres".
En réponse à la critique que l’agenda proposé par la Commission ne présentait rien de nouveau par rapport à ce qui avait été déjà proposé précédemment, Frans Timmermans a indiqué qu’il fallait aujourd’hui une "politique d’ensemble qui traite les questions d’urgence mais aussi les problèmes de fond". "On n’est pas là pour jardiner mais pour créer de nouvelles initiatives pour résoudre des problèmes épineux", a-t-il ajouté tout en réaffirmant la nécessité de revoir le règlement de Dublin II. "En 2014, 72 % des demandes d’asiles ont eu lieu dans cinq des vingt-huit Etats Membres. C’est une solution intenable", a-t-il dit.
La proposition d’un système de relocalisation parmi les Etats membres, qui avait été annoncée dès le 29 avril 2015 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen, n’a pas manqué de susciter des critiques en amont de la présentation de la Commission.
Le gouvernement letton s’est clairement opposé au système des quotas par pays, comme l’a souligné la Premier Ministre Laimdota Straujuma le 11 mai 2015 à Riga, prônant d’autres mesures comme une surveillance plus poussée des frontières ou un apport d’aide médicale.
"Nous ne sommes pas séduits par l’idée des quotas obligatoires, mais plutôt sceptiques" a pour sa part déclaré Raimundas Karoblis, le représentant permanent de la Lituanie auprès de l’UE, tout en soulignant qu’il fallait s’en tenir au principe de l’accueil volontaire de migrants.
Pour l’Estonie également, la répartition des réfugiés dans l’UE devrait se faire sur une base volontaire, comme l’a déclaré une porte-parole du ministère des Affaires étrangères estonien le 12 mai 2015, des propos rapportés par l’AFP.
Le Premier ministre conservateur Viktor Orban a pour sa part dénoncé le 8 mai 2015 l’introduction de quotas par pays comme étant une "idée folle". "Le moment n'est pas à la solidarité, mais à l'application de la loi", a-t-il encore estimé, soulignant que "chaque cas d'immigration clandestine est une enfreinte à la loi".
Dans une tribune publiée le 13 mai 2015 dans le Times, la ministre britannique de l'Intérieur, Theresa May, a clairement déclaré être "en désaccord avec la suggestion" de la chef de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini, selon laquelle "pas un seul réfugié ou migrant intercepté en mer ne sera renvoyé contre son gré". Pour la ministre, "l'UE devrait travailler à établir des sites d'accueil sécurisés en Afrique du Nord, avec un programme actif de retours". Elle a par ailleurs annoncé que son pays ne participera pas aux programmes de relocalisation ou de réinstallation.
"Les gouvernements sont les mieux placés pour savoir ce qu’ils peuvent faire en matière de solidarité partagée", a déclaré le Premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka, dont le gouvernement avait déjà annoncé pouvoir accueillir 70 réfugiés syriens sur une base volontaire. "Ce n’est pas seulement le sud de l’Europe qui se trouve dans une situation difficile, mais également l’est", a-t-il encore précisé, alors que la République tchèque a proposé l’asile à 305 Ukrainiens en 2014.
La Suisse souhaite pour sa part être intégrée à un système européen de répartition géographique des demandeurs d'asile en Europe, comme l’a indiqué le 6 mai 2015 la présidente de la Confédération helvétique, Simonetta Sommaruga, à l'issue d'une rencontre avec son homologue autrichien Heinz Fischer à Vienne. "Il est plus que temps d'avoir en Europe une clé de répartition qui fonctionne selon le principe de la solidarité. La Suisse y participera", a assuré la présidente, dont le pays a d'ores et déjà décidé d'accueillir 3 000 réfugiés syriens supplémentaires, en plus des quelque 10 000 déjà sur son sol.